Dire que dans quarante huit heures, à ce moment très précis, je serai depuis une heure dans ce train qui me mènera à Venise !
Déjà commence cette préparation mentale, cette mise en condition absolument indispensable pour affronter victorieusement cet énorme choc qu'est l'arrivée vers les 8 heures du matin à Venise dans cette merveilleuse gare de Santa Lucia qui donne juste sur le Grand Canal.
Alors, déjà un bain de musique (pardon pas vénitienne ! mais romaine ) avec Franco Donatoni, l'un de mes compositeurs préférés, presque l'égal pour moi de Luciano Berio ...
et puis cette littérature typiquement vénitienne, et d'abord le guide personnel de Corto Maltese qui sait vous entraîner dans cette Venise peu connue, et dont encore une fois je me promets de suivre quelques-uns de ses itinéraires. Plus sérieux ? certes non, et tout aussi fantasque qu'Hugo Pratt, même si dans un tout autre domaine, un retour à Carlo Gozzi : et son "Roi-Cerf", comédie pleine de fantastique : imaginez, un roi plein de sagesse et qui se fait aider de certains pouvoirs que lui a confiés un grand mage ; imaginez encore, ce roi qui décide de commettre la plus grande folie qui soit, trouver parmi ses sujets la fille qui sera digne de lui ; et les prétendantes ne manquent pas, celle imposée, comme la fille du premier ministre que son père verrait tellement bien comme souveraine.... mais quand grâce à ses pouvoirs, le roi voit clair dans l'âme et le coeur de ladite jeunne fille (qui en fait aime un autre garçon !) et qu'il ne la choisit pas comme femme, alors son premier ministre devient non seulement méchant mais s'arrange pour prendre la place du roi ... la fin, on la devine ! Elle est à la fois conforme à l'esprit du temps, c'est-à-dire pleine de sagesse et de respect des conventions, et en plus, dans le cas de Carlo Gozzi, elle respecte complètement ce parti pris de fantaisie badine qui lui est si cher.
On sait la rivalité qui a opposé l'autre grand Carlo vénitien du 18e siècle, Carlo Goldoni à Carlo Gozzi, le premier pouvant très facilement être considéré comme un avant-gardiste, un homme voulant faire passer les idées nouvelles, celles des encyclopédistes français, à Venise ; l'on sait aussi comment les Vénitiens dans leur frivole inconstance se sont détournés de lui pour s'enticher du plus réac des écrivains, Carlo Gozzi ... réac ? pas si sûr que cela, en tout cas sachant manier avec bonheur et pour la plus grande délectation des lecteurs ou spectateurs, le fantastique.
Quitte à choquer certains de mes lecteurs, je dois bien avouer que, autant Goldoni me plait pas sa satire sociale, par sa quête de vérité qui taille en pièce tous ces grands ou pseudo grands qui ne sont grands que parce qu'ils ont un nom ou un titre, autant Gozzi me divertit par cette espèce d'ingénuité qui l'habite et qui remplace la critique sociale par l'incantatoire ou l'apparition de phénomènes d'autant moins crédibles qu'ils sont surnaturels. Mais qu'importe, son art est tel que le surnaturel devient chez lui tellement naturel que le spectateur s'en régale !
Alors devinez ? si je sais bien où se trouve à Venise la stature de Carlo Goldoni, et que je ne manquerai pas de vous envoyer (enfin la photo !) par contre il va falloir que je me mette en quête de celle de Carlo Gozzi ... ou alors, si elle n'existe pas c'est à désespérer des caprices vénitiens !