Eric Fottorino : L’homme qui m’aimait tout bas
Vous cherchiez un roman ? Mieux, vos yeux, déjà émoustillés, croyaient enfin saisir cette histoire palpitante qui aurait délicieusement occupé quelques instants de vos soirées ?
Eh bien non, vous avez tout faux !
Ce n’est ni le roman ni le pseudo-érotisme que vous avez entre les mains, mais un de ces très rares livres qu’un cœur, avide de s’épancher, est capable de produire sans pour autant tomber dans le vulgaire ou le voyeurisme de bas étage.
Mais de quoi s’agit-il ? Tout simplement, un homme déjà mur apprend que son père s’est suicidé ; mais ce n’est pas n’importe quel père, puis qu’il s’agit en fait de cet homme qui est tombé amoureux d’une fille mère (votre mère) au point non seulement de l’épouser mais de vous considérer comme son propre fils ; et il vous élève de telle façon que non seulement vous vous considérez comme son propre fils, mais que vous vous appropriez son passé, son identité et ses propres manies.
Et c’est de cette relation qui s’est brutalement achevée entre ce père et ce fils, que l’auteur nous entretient.
Que vous aimiez déjà le romancier Eric Fottorino (c’est mon cas) ou que vous veniez seulement de le découvrir, vous ne pouvez résister à son style, à cette façon très personnelle et très intimiste qu’il a de dénouer cet écheveau très complexe des liens qui peuvent unir père (et a fortiori un père putatif) et son fils. On quitte très rapidement l’univers (factice) de la fiction, du roman, pour rentrer dans celui bien plus subtil de l’introspection, de ces évènements qui forgent le quotidien et réussissent à souder des êtres entre eux.
Il y a une vérité du cœur que la seule raison est incapable de concevoir et de formuler ; les mots et les phrases se succèdent toutes empruntes de cette chaleur insaisissable, incommensurable : deux êtres se trouvent et se retrouvent dans cette sphère unique du non dit, où les mots tendresse, affection, amour n’ont pas besoin d’être prononcés pour être vécus avec toute la simplicité et l’innocence de l’enfant qui s’abandonne dans les mains de son père.
Eric Fottorino, goncourable ? On aimerait bien qu’il obtienne cette récompense presque unique, mais son livre est trop fort et a trop de « péchés » pour que les caciques de la littérature lui accordent ce prix ; et son principal défaut, ce qui est pour moi sans doute sa principale qualité, c’est qu’il ne s’agit pas d’un roman, ni même de souvenirs d’enfance à proprement parler ; il n’y a aucune construction dans ces pages remplies de souvenirs, ou plutôt la seule construction est celle de ce chemin imprévisible qui relie un père mort (suicidé) à son fils ! Et ce journal à deux voix, mais seule une, celle du fils, Eric, s’exprime, est d’une telle intériorité qu’elle est propre à décontenancer le jury le plus coriace soit-il comme celui du Goncourt !
Quel dommage ! Car ce livre est tellement beau !