Michel Onfray : Le crépuscule d’une idole Quel livre ! Je m’en étais réservé sa lecture pour cet été, jugeant que pour en apprécier toute la saveur, il fallait avoir cette disponibilité que confère à juste titre la période estivale ; car sans être grand clerc en matière de lecture, l’ouvrage de Michel Onfray n’est pas de ces livres qu’on dévore comme un roman et dont on peut avaler des dizaines et dizaines de pages sans fatiguer, non, bien au contraire : il faut prendre le temps non seulement de digérer toutes ces informations dont il fourmille, mais aussi de profiter de toutes ces pistes de réflexion qu’il nous offre, et Dieu sait s’il y en a ! Ce fut sans nul doute pour moi l’occasion d’un bain de jouvence, puisque dans les années 60 Freud était l’une des grandes vedettes de nos classes de philosophie, et que comme nombre d’adolescents j’avais été enthousiasmé par la personnalité du Grand Sigmund. Quel iconoclaste que ce Michel Onfray, et comme je comprends toutes les critiques féroces qu’il a suscitées avec cette étude … J’ai commencé par lire le début de la bibliographie intitulée « tout lire dans l’ordre » : le ton à la fois polémique et désacralisateur est donné d’emblée ; remise en cause de toutes ces traductions dont le but hagiographique est évident. Et je me suis alors rendu compte la somme de travail qu’avait du accomplir le philosophe pour décortiquer et mettre à nu Freud. Plonger alors dans cet ouvrage c’est aussi plonger avec minutie, force déduction et réflexion approfondie sur l’un des pères de la psychanalyse. A commencer par la personnalité et le comportement familial de Freud ? Et ce n’est pas « violer » la vie privée d’un grand homme quand ce dernier l’expose lui-même dans sa correspondance et jusque dans ses ouvrages. Et ce n’est pas porter atteinte non plus atteinte à Freud que de reprendre ses désirs de coucher avec sa mère, ou son comportement de fiancé puis de marié avec Martha, ou la très grande ambiguïté incestueuse de son attitude avec sa fille Anna ou encore de souligner l’importance de sa liaison quasi permanente avec sa belle sœur, lorsque tout cela est clairement affirmé tant dans ses ouvrages que dans sa correspondance. Dès lors, il était aisé pour le philosophe habitué à manier raisonnement et réflexion de montrer qu’en fait le système psychanalytique érigé et formulé par Freud n’était ni plus ni moins qu’un des moyens de se découvrir, lui et seulement lui, et éventuellement de se guérir, mais qu’il ne pouvait absolument pas s’adresser d’une façon général au genre humain. A l’aide des pseudo guérisons annoncées et mises en avant par Freud pour soutenir ses thèses alors que, de fait, elles n’en ont pas été, à l’aide d’innombrables citations de tous (ou presque !) les ouvrages de Freud, la démonstration est alors faite que la psychanalyse n’est pas une science exacte au même titre que le système copernicien ou darwinien, et est beaucoup plus du domaine de l’invocation chamanique, voire du tour de passe-passe du charlatan. Les mots peuvent sembler durs, mais ils sonnent si justes ! Oh certes, ils ne convaincront pas les illuminés ou les sectaires, mais les autres verront vaciller ces certitudes qu’on leur a inculquées, et évidemment de très bonne foi (je ne saurais mettre en cause la probité intellectuelle, et la valeur philosophique de ces deux professeurs de philo qui se sont partagés mon année de terminale !) D’autant que viendront s’ajouter d’autres arguments tant philosophiques que politiques détruisant cette idole ; Freud, du simple point de vue philosophique, bien plus représentant du courant antiphilosophique du 18e siècle que du courant de la philosophie des lumières ; ou encore Freud, en tant que citoyen bien plus proche des aristocrates et des fascistes (comme le montre en particulier la dédicace qu’il fait d’un de ses livres à Mussolini !) que du peuple et/ou du marxisme. Toutes accusations qui portent, assurément, mais qui se trouvent aussi confortées par l’attitude de Freud lui-même en tant qu’organisateur matériel du monde psychanalytique ; société savante conçue comme une église ou une chapelle, ou encore une secte, avec ses gourous, ses sections, séminaires et autres congrès ouverts exclusivement à ceux qui ont été jugés dignes d’en faire partie. Et quand j’ai fini cet ouvrage, un immense regret, ou plutôt une impossible rêverie, avoir 18 ans maintenant, et être en terminale littéraire : de quels débats riches l’ouvrage de Michel Onfray n’aurait-il pas été l’occasion ! Mais pourquoi un rêve ? Et qui me dit que ce ne sera pas le cas ? C’est tout le « mal » que je souhaite à cette remarquable étude.