Eloi Laurent : Nouvelles mythologies économiques
Même si je reconnais leur indispensable utilité pour qui veut comprendre les faits contemporains (et pas seulement), les essais ne sont pas le genre littéraire que j'affectionne, et n'occupent donc qu'une place minime dans eontos. Mais pour une fois l'exception confirmant la règle, il faut bien que je m'attarde sur l'un d'entre eux : les « Nouvelles mythologies économiques ».
Ah, l'art du titre ! N'y-a-t-il pas antinomie absolue entre la fantaisie, l'impromptu irraisonné de toutes ces créatures humaines qui portent le nom de dieu, semi-dieu, héros et autres êtres supérieurs, dont voudraient rendre compte les « mythologies », et puis cette science qui se veut rigoureuse, parce que s'appuyant sur des faits précis, des chiffres encore moins incontestables et qui veulent quantifier les activités économiques des humains ? Alors, associer déjà ces deux notions est un véritable régal pour l'esprit ; et déjà une hypothèse séduisante, cet économiste (forcément distingué, comme tous les économistes qui se respectent!) ne se serait-il pas nourri de tous ces récits plus ou moins (mais beaucoup plus que moins !) imaginaires qui ont marqué, des siècles durant, l'éducation des petits occidentaux ? De fait, et d'entrée de jeu, l'auteur nous prévient.
Les études économiques, ou plutôt et surtout les économistes virent dangereusement à ce qu'on pourrait appeler une religion d'état. Ils ne souffrent plus le débat, la critique, ils érigent en dogmes des données contestables par ce simple fait que les conséquences qu'il en tirent sont pour eux incontestables puisque non soumises à la moindre critique, et par conséquence ils ne peuvent ni surtout ne veulent en démordre ; à preuve, ce prix Nobel (ce n'est pas rien quand même !) d'économie, de Français de surcroît, qui déclare urbi et orbi que la réduction du temps de travail n'a jamais créé d'emplois … alors que dans le même temps de nombreuses études toutes plus rigoureuses les unes que les autres tendent à démontrer que le passage aux 35h hebdomadaires aurait créé entre 300.000 et 500.000 emplois. Pour Eloi Laurent, le problème ne porte pas sur le fait qu'il y aurait eu tant ou tant d'emplois, mais seulement sur le fait que ce prix Nobel refuse toute discussion. C'est donc là tout le sens qu'il faut donner aux mots « Mythologies économiques » : quelqu'un de consacré (c'est bien ce que signifie un titre tel que le Prix Nobel) dans sa discipline transforme de par ses seules paroles ou prises d position sa discipline en vérité révélée, même si les points de départ de son raisonnement sont faux ! Il crée alors une vérité imaginaire qui n'a rien à voir avec la réalité ! Le pire alors survient ; c'est que, comme cet individu est consacré, tout ce qu'il dit est parole d'évangile (que les expressions populaires peuvent avoir de sensé !), et alors les politiques se réfugient derrière lui pour mettre en œuvre des politiques dites économiques qui vont se révéler totalement désastreuses, ou tout au moins infondées !
Tout le long de cet essai Eloi Laurent va nous montrer en quoi, le fait de se soustraire à tout débat critique amène les économistes à préconiser des théories aussi erronées que fort préjudiciables pour la société. L'on retiendra entre autres tout ce passage concernant l'écologie et les politiques énergétiques. La gauche de la gauche officielle, les écologistes, ou tout simplement les gens de simple bonne foi l'avaient tout autant pressenti que dénoncé ; à ne prendre le problème des transports, ou de la dépense énergétique, par exemple, par le petit bout de la lorgnette sans replacer ces deux problèmes dans le contexte général on satisfaisait l'intérêt de quelques-uns au détriment de la collectivité et surtout du devenir de la planète.
Pour qualifier ce type de comportement, Eloi Laurent a un certain moment une formule qui non seulement fait mouche, mais oblige aussi son lecteur à réfléchir :
« C'est le chat qui fait remuer sa queue, et non la queue qui fait remuer le chat ! » (je transcris de mémoire !)
En ces jours qui précèdent une campagne électorale, où jamais les enjeux sur une France repliée sur elle-même ou tournée sur l'avenir n'auront eu autant d'importance, il était temps que dans ce débat où de nombreux pontifes et faux prophètes voudront dicter leurs opinions, intervienne un économiste qui ramène l'électeur (et l'électrice, cela va de soi !) vers une meilleure appréhension et compréhension de ces enjeux.
Vous voyez bien que 2017 n'est pas aussi tristounet qu'on pourrait le penser !
PS Editions Les liens qui libèrent, 2016, 108 p., (je n'ai pas le prix et je n'ai pas voulu le rechercher, puisque c'est un livre qu'on m'a offert!)