Alon Hilu : La maison Rajani
Fin 19e siècle, une première vague d’immigrants juifs de Pologne débarquent en Palestine ; parmi eux, un ingénieur agronome, Isaac Luminsky.
Intrigué par une très belle jeune femme palestinienne, Afifa, et son fils, Sala, il découvre le domaine de Rajani, que le propriétaire semble délaisser, ou tout au moins n’exploite pas aussi bien qu’il le faudrait.
Isaac va séduire Sala, qui le prendra pour l’ange Gabriel, mais il deviendra aussi très rapidement l’amant d’Afifa.
C’est donc un journal à deux voix que nous offre l’auteur : celui d’Isaac et celui de Sala ; une vision juive et une palestinienne sur la société de cette époque et surtout sur cette rivalité qui va saisir les deux communautés. Et si au début tout semble aller pour le mieux, tant que Sala ne découvrira pas les relations coupables entre sa mère et Isaac, par contre très rapidement, les deux journaux vont nous révéler ce conflit de plus en plus dramatique qui va opposer l’enfant et l’adulte… jusqu’à la conclusion finale.
Ce livre passionne tant par sa forme que par le fond historique qu’il nous fait approcher.
Mélange constant de deux points de vue, d’autant plus intéressant qu’il nous offre un raccourci saisissant entre deux évolutions historiques : celle d’un peuple, les Palestiniens, qui a toujours vécu sur cette terre, la Palestine, et qui, tant par fatalisme que par pur confort, se refuse à voir le danger qui arrive avec les Juifs. Les accents de prophète que prendra Sala pour convaincre ses compatriotes d’en prendre conscience ont alors une résonnance particulière, celle de cette réalité que nous présentent aujourd’hui les autorités israéliennes.
L’autre évolution, c’est celle de ses immigrés juifs ; ils ne viennent pas là en conquérants, mais bien pour essayer de se faire une petite place en total accord avec les arabes installés depuis tant et tant de temps ; et c’est toute la symbolique de ce domaine. Mais très vite cela se révèle impossible, parce qu’utopique pour cette autre raison, qu’il ne peut y avoir deux maîtres d’un même territoire, surtout deux maîtres qui n’ont pas les mêmes visions, ni les mêmes projets pour ce territoire.
La symbolique là-aussi apparaît avec toute sa force tragique : celui qui était le plus partisan de cette coexistence pacifique, Isaac, parce que la racine profonde en était bien la passion amoureuse, deviendra bien malgré lui, le destructeur de cette même coexistence.
Autre symbolique toute aussi tragique, déroutante : la force et la justesse politique sont le fait de ceux qui arrivent, qui apportent l’innovation, et contre qui les coutumes et les mœurs ancestrales n’ont aucune prise.
Emouvants aussi ces personnages.
Cet Isaac et sa recherche sensuelle ; « victime » d’une femme froide et complètement insensible, il n’a de cesse de trouver celle qui le comblera ; banalité qui sous une autre plume ennuierait par son côté très fleur bleue, alors qu’avec Alon Hilu cette quête à la fois analysée et indispensable prend une toute autre dimension : aspiration à la paix et à la béatitude qu’apporte la satisfaction totale des sens. Il y a là-aussi toute une symbolique, dans la mesure où ce « bonheur » il va l’obtenir avec Afifa, la Palestinienne : ce qui peut arriver à un couple, comment ne le pourrait-il pas au niveau de deux peuples ? Et le drame n’est-il pas que cette union ne peut absolument pas durer ?
Emouvant aussi cet enfant, ce Sala qui après avoir idolâtré, son ange Gabriel, Isaac, va le haïr avec une violence telle qu’elle ne peut que présager aussi cette autre haine, celle qui existe actuellement entre de nombreux Palestiniens et Israéliens.
J’avais beaucoup aimé d’Alon Hilu, son premier roman, mais avec ce second ouvrage, l’auteur confirme sa maîtrise d’écrivain ; et il réussit ce tour de force de nous faire comprendre, lui, l’Israélien, la diversité des deux cultures qui se livrent à une guerre fratricide pour la même terre.
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