Les joyeusetés d’une grève
M’étant trouvé, bien malgré moi, au milieu de la grève SNCF, je dois bien reconnaître que si le mot grève a un sens, c’est bien celui de pagaie que, bien suivie, elle est capable de mettre dans un service public.
(ne déduisez pas tout de suite du simple fait que j’ai écrit le mot pagaie, que je suis un anti-gréviste à tout crin !!!)
Pourtant tout avait très bien commencé ce vendredi 9 : notre train à destination de Paris, parti à l’heure juste de Rennes et arrivé avec peut-être une demi-minute de retard. La liaison effectuée, grâce aux indications fournies par le service internet de la RATP, entre la gare Montparnasse et la gare de Lyon en une trentaine de minutes…
Et puis l’arrivée gare de Lyon (à Paris !!!) quelle foule immense dans le hall principal, celui sur lequel s’ouvrent toutes les entrées (ou sorties !!!) vers les différents quais ! Foule agglutinée autour des multiples écrans annonçant les trains, ceux en fonction et ceux supprimés, bien plus nombreux évidemment que les premiers ! Brouhaha d’une intensité sonore à faire mourir d’envie tous ceux qui bidouillent le son sur tous ces engins électroniques qui ont l’art de modifier à l’infini toute source sonore … mais quand même au milieu de ce magma effervescent un avis dans les hauts parleurs qui passe par-dessus comme l’air du ténor au troisième acte ! Oh mes amis, quelle délectation suprême, ou plutôt quelle dérision, et en même temps quelle condamnation sans appel de notre société technologique : comme si la pagaie n’était pas assez grande, il fallait que la technique s’en mêle, une panne informatique empêchait tout affichage des voies d’où les quelques rares trains partaient … il fallait donc s’en remettre à la suavité immatérielle et complètement impersonnelle des voix microphonées !
Ce que notre sens musical nous permit de faire !
Et nous voilà installés dans notre train (un des rares à avoir été maintenu !), bondé, à se demander même comment il pouvait contenir tant et tant de gens.
Malgré tout nous arrivons à Marseille … n’aurait été cet intermède à la gare de Lyon, on aurait pu se demander où était donc cette grève annoncée !
Nous attendons le départ pour Toulon … ah oui, mais voilà qu’un incident technique nous cloue pendant trois quarts d’heure dans cette gare de Saint Charles, magnifique, sans nul doute, mais vue des quais et d’un bout de quai même, en dehors d’un groupe d’ouvriers de la CGT avec leurs oriflammes près d’un baraquement, il y avait peu à admirer.
Qu’est-ce trois quarts d’heure, rien, mais quand même à l’heure de midi (plus exactement entre 13h15 et 14h … cela fait un petit creux qui dure dans l’estomac, et après l’expérience d’un café, pardon d’une eau à peine teintée de noir au wagon dit de restauration, je ne me vois pas manger ce qui pourrait ressembler à un morceau de pain orné d’une illusion de saucisson, fromage ou autre tranche de jambon … les mirages sahariens très peu pour moi en matière culinaire !
Juste cette pensée, en forme de souhait, que notre arrêt imprévu soit bien le fruit d’une panne technique et non pas seulement cette nécessité de respecter l’heure du pastis (nécessité que je comprendrais si les passagers assoiffés que nous étions en profitaient aussi !).
Arrivés à Toulon, 15h ou presque, juste à temps pour voir se fermer devant nous la restauration chaude de la brasserie de la gare … mais qu’importe le Midi est là avec cette perspective de quelques jours mémorables à passer (mais comme cela m’est trop privé, vous n’en saurez rien !) ; il nous fallait rejoindre Hyères, train supprimé, mais remplacé par un car quelques deux heures plus tard, avec un prix de près de 8 euros par personne ; mais mon esprit entreprenant étant bien connu, et surtout la gare routière jouxtant la gare ferroviaire, nous voilà acheminés bien plus rapidement à Hyères et pour un prix dérisoire (1,40 euro : je signale au passage que la pratique du département du Var est en matière de transport public exemplaire, au moins en ce qui concerne les prix, et que, même si quelques autres départements en France ont la même politique, il serait intéressant qu’elle soit généralisée, ne serait-ce que pour montrer à l’Etat qui se vante –et je ne vais pas vous énumérer tout ce dont se vante l’Etat, sinon, j’y serais encore demain !- de tout, que son tout c’est bien peu en comparaison.
Mais le plus drôle, si j’ose dire, c’est qu’alors que nous attendions des amis qui devaient venir nous chercher à la gare d’Hyères nous constatons que la dite gare est fermée, la raison nous étant fournie par les panneaux d’affichages que nous voyions à travers la porte vitrée : les deux derniers trains de la journée étaient supprimés !
A ce sujet, il va falloir que je demande des indemnités à la SNCF, car nous avons renseigné un nombre impressionnant d’autochtones en quête d’information, en leur fournissant gratuitement les résultats imparables de notre sens incontestable de la déduction…
Vous raconterai-je notre voyage de retour ?
Train supprimé pour rejoindre Marseille ; mais que grâce au secours charitable, mais encore plus sûrement amical d’amis, la cité phocéenne a réussi à nous accueillir à temps ?
Vous raconterai-je ces gens dépités, mais en général très compréhensifs vis-à-vis des grévistes, rencontrés à la gare St Charles ?
Vous raconterai-je ce faux départ … à plus de 20 minutes après l’heure indiquée, parce que notre chauffeur a dû avoir du retard et a monté trop tardivement dans sa locomotive ? Authentique, ce fut l’annonce faite au micro !
Ou encore ce retard de près de 40 minutes à Lyon Part-Dieu, retard qui augmentant avec le temps, atteignait 45 minutes à Massy pour s’établir à une heure à notre arrivée à Rennes (22h12 au lieu de 21h10 prévu !), après avoir eu un arrêt supplémentaire au Mans, une panne dans le système de frein nous a-t-on dit.
Mais en définitive quel gâchis !
Accessoirement avec toutes ces indemnisations que la SNCF va devoir payer aux usagers (à commencer par moi-même !),
Accessoirement aussi avec tout ce manque à gagner dû aux perturbations mêmes,
Principalement avec toutes ces perturbations morales, psychiques, mais aussi financières subies par les usagers,
Principalement encore avec cette image de bien piètre gestionnaire que va avoir la SNCF.
Et encore et toujours ces deux questions :
Je n’ai pas vu durant ces jours de grève, un seul agent de la CGT ou du SUD distribuant tracts et autres prospectus pour expliquer les raisons de leur grève, cela aurait permis n’en doutons pas de contrer toute l’intoxication des médias ; je le regrette d’autant plus que …
Avec ne serait-ce que ces trois pannes dont j’ai été le témoin (et il en y a sûrement eu beaucoup d’autres) la démonstration était faite que les demandes en personnels étaient tout à fait justifiées et motivaient à elles-seules la grève.
La deuxième question est bien de savoir jusqu’à quand une direction peut-elle se montrer aussi peu soucieuse de ses personnels et aussi de ses usagers, car, les pannes, par exemple, ne font-elles pas tout autant souffrir les usagers que les grèves ?
Et comme il n’y a jamais deux sans trois, l’ultime question : devant le refus méprisant de la direction, n’y-a-t-il pas aussi d’autres moyens de lutte que la grève, à trouver qui impliquent activement aussi tous les usagers…
Ceci dit … même avec une heure de retard, faire Marseille-Rennes en 7 heures, c’est quand même un voyage surprenant !
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