Urbano Moacir Espedite : Palabres
Rarement roman ne m’aura fait passer par autant d’états d’âme !
Enthousiasme, indifférence, ennui même très profond, tout cela a alterné, semant une confusion et un désordre indescriptible dans mon pauvre esprit de lecteur !
Pourtant tout commence très bien : une action très dynamique, racontée de façon très drolatique, dans un bordel de seconde zone de Berlin ; nous sommes dans les années 30 ; l’hitlérisme s’affirmant, avec ses théories aryennes, il faut à tout prix trouver du sang pur … or cela tombe bien dans cette maison close, il y a une jeune fille, originaire d’une tribu amérindienne au sang très pur, les Farugios dont toute la civilisation est basée sur la parole et l’art oratoire. Rosario, un aventurier, Italien de surcroît, va tenter d’aller chercher quelques-unes de ces femmes indigènes pour de valeureux combattants aryens ! Et nous voilà parti dans de rocambolesques aventures, pastiche de romans de cape et d’épée.
Pastiche que cette traversée en mer ; où par moments se superposent à notre lecture des images de « La Nave va » de Fellini ; vaisseau invraisemblable où manquent toute rigueur et discipline propres à faciliter la navigation. Où une ubuesque mutinerie renverse un général d’opérette ! J’avoue que c’est ce passage surtout qui m’a ennuyé, et venant après l’enthousiasme du passage initial, j’ai failli abandonner cette lecture …
Et j’aurais manqué de grands moments (eux-aussi entrecoupés de passage bien plus faibles) !
Mais par delà l’histoire proprement dite, faut-il voir un jugement et une satire de notre société contemporaine ?
La prédominance, voire la suprématie totale du Verbe dans une société, n’est-elle pas à considérer comme la critique définitive d’une société totalement matérialisée ? La description du monde industriel de Nuevo Rico est à cet égard particulièrement significative : contremaîtres remplacés par des robots, ouvriers qui sont tellement peu habitués à la parole et à l’échange qu’ils en meurent. De même que cette formulation « Comment allez-vous » qui assume des fonctions révolutionnaires, malgré sa totale banalité.
La place faite au pouvoir politique n’est pas exempte, loin s’en faut, de critiques acerbes ; décisions importantes prises par un Président sous la coupe d’une maîtresse, hitlériens qui se défoncent au sens fort du terme par de la drogue …
Quant à la caricature, elle est omniprésente : outre le général d’opérette, les personnages religieux, le policier imbu de son rôle dans la ville de Nuevo Rico, mais aussi la manipulation humaine ! De très nombreux ressorts de notre société sont passés au crible de l’humour, de la satire : même les élans révolutionnaires sont traités avec une verve qui n’aurait pas déplu à nombre de surréalistes, Boris Vian n’est pas si loin de ce roman !
Tout compte fait, une fois terminée et « digérée » cette lecture, il me prend une grande petite faiblesse ! Et je ne peux achever ce compte-rendu sans mentionner l’apport de dessins dus à la plume multicolore de Donatien Mary ; ils sont en totale osmose avec le texte et apporte à l’imagination débridée du texte un support visuel qui ne peut que nous enchanter, et surtout stimuler notre propre imagination si stérilisée et standardisée par notre monde.
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