Aline Kiner : Le jeu du pendu
Entreprendre la lecture d’un roman policier, écrit par une française, amène presque fatalement à faire la comparaison avec la très grande Fred Vargas, un des maîtres du genre. Le lecteur n’étant pas différent de l’homme, il a toujours besoin de se référer à des valeurs sûres. Poser la question en ces termes serait aussi rabaisser chaque nouvel écrivain, et lui conférer, pour qu’il soit reconnu comme tel, un lien d’élève à maître ou pire, d’esclave à patron, et par voie de conséquence lui dénier l’originalité et l’individualité à laquelle au contraire, il peut à juste titre prétendre.
Eh bien non, Aline Kiner n’est pas Fred Vargas ! En est-elle pour autant moins respectable ?
C’est à ce moment là qu’il faut ressortir toute son érudition et mentionner négligemment la célèbre phrase de Saint Augustin (celle que, entre nous soit dit, il aurait bien fait de s’appliquer à lui-même en matière religieuse !) : « Timeo hominem unius libri ! » (faut-il traduire ? : « Je crains l’homme d’un seul livre ! »)
Ces préliminaires posés, Aline Kiner a signé là un premier roman qui augure très bien de sa future carrière de romancière.
Construit simplement mais efficacement : dans une enquête policière où le déroulement dans le temps a une très grande importance, quoi de mieux, pour le rendre, que de l’indiquer tout simplement ! Les divisions deviennent alors des jours, et les subdivisions, des heures ; mais attention, ce n’est pas fait de façon automatique, il faut varier ces paramètres en fonction de l’évolution de l’enquête et de ses rebondissements. Ce qu’Aline Kiner fait naturellement, laissant ainsi pointer son talent.
Autre facette dudit talent, le suspens : avant de réussir à deviner quel est l’assassin, il en faut du temps ; mieux, le lecteur ne le découvre qu’au moment où cela devient absolument indispensable à la conclusion de l’enquête ; c’est dire alors que l’auteur maîtrise parfaitement l’art de mener une enquête.
Histoire simple, sans nul doute, mais qui se complique au fur et à mesure où, au contraire, l’enquête aidant, elle devrait se simplifier et trouver une conclusion tout à fait logique. C’est une histoire de pendu et d’un jeu, oh combien macabre, qui trouve des prolongements dans l’assassinat, quelques trente ou quarante ans plus tard, de deux jeunes filles complètement innocentes.
Les personnages sont ainsi traités qu’ils entraînent la sympathie du lecteur, les deux policiers principaux, Jeanne et Simon, dont la complicité dans l’action, et l’humanité dans leurs relations aux interrogés nous montrent un visage presque idéal de ce que devrait être chaque policier. Tout aussi intéressants, souvent émouvants, voire poignants sont les témoins involontaires du drame, de l’ancienne institutrice à la retraite au mineur lui-aussi en retraite et victime d’un accident grave de la mine.
La Mine ? à défaut de la considérer comme le principal personnage, frappante est l’atmosphère qu’elle dégage tout le long de son roman ; il y a une vérité de ces paysages, de tout ce qu’ils dégagent, de cette empreinte qu’ils ont laissée sur les hommes ; difficile à analyser en termes objectifs, car il y a des sentiments qui ne se livrent pas à la critique scientifique. Ici, c’est vraiment de l’ordre affectif : on sent que l’auteure aime cette terre, celle de son origine, elle ne le proclame pas sur tous les toits, mais elle nous le fait sentir par la façon dont elle en parle. C’est très beau et en même temps très émouvant ! Mais attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit et que surtout l’auteure n’a pas écrit : il ne s’agit pas d’un éloge de l’hymne national ni d’un attachement à un drapeau, il ne s’agit pas du nationalisme et du territorialisme de quatre sous à la Front National !
J’ai noté quelque part dans mon cerveau ce nom Aline Kiner, et j’espère bien que ses prochains romans me procureront les mêmes plaisirs et émotions. En tout cas, comme il est loin ce temps des romans policiers, celui des années 1950 : je me rappelle encore des couvertures dessinées de ces romans essentiellement américains, que lisait mon grand-père : c’étaient toujours les mêmes histoires, avec force whisky et cigarettes … mon amour pour lui m’en a fait lire quelques-uns, avais-je seize ans ? … comment avons-nous pu nous intéresser à de telles bêtises, quand on voit cette évolution qui a mené à des Fred Vargas et Aline Kiner ?
PS Editions Liana Levi, 2011, 231p., 16€
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