Concert de Noël, vous avez dit concert de Noël ?
Vous aimez la musique, vous êtes un tantinet agnostique et on vous propose un concert avec des chants de Noël ! Alors, un tant soit peu déformé par des certitudes laïques et par d’autres certitudes encore plus définitives, celles de la science musicale, du contrepoint et autres théories toutes plus savantes les unes que les autres et hop, au diable (quelle belle expression pour des chants de Noël !) un tel concert et vous restez chez vous !
Remarquez avec des averses de grésil et de neige fondue, votre conscience musicale se sent soulagée …
Pourtant, pourtant, si vous pouviez savoir ce que vous avez perdu, vous comportant ainsi, ce samedi 17 décembre, jamais vous n’auriez laissé parler votre raison au détriment de votre cœur et surtout de votre amour de la musique !
Tinténiac ? Vous connaissez ? Non, bon vous ne perdez pas grand-chose ! un gros bourg que la quatre voies Rennes-Saint Malo (et vice versa !) ignore et dont la seule originalité architecturale consiste en une église de style byzantin construite à la fin du 19e siècle … mais attendez, même si je l’ai traversé des centaines de fois, comment aurais-je pu un instant oublier qu’il y avait une école de musique d’autant plus remarquable et dynamique qu’elle est dirigée par un vieux de la vieille, un de ces choristes et chanteurs passionnés rencontrés dans un des chœurs les plus célèbres de Rennes.
Mais il n’est pas, ce Vincent de La Rose, que directeur d’une école de musique, il est aussi un défenseur acharné de la musique comme pratique sociale, et donc promoteur de concerts qui, loin de tout carcan snobinard, entendent (c’est le mot vraiment approprié !) faire découvrir ce que le son, ce que son organisation, ce que son utilisation très populaire aussi, a pu représenter, et comment tout cet univers peut encore signifier quelque chose de réel et de stimulant culturellement parlant, actuellement.
Alors, Tinténiac ?
C’était ce samedi 17 décembre.
Un chœur, je l’avais entendu (n’allez surtout pas me reprocher ce si peu !), une fois, il y a bien longtemps, 15 ou 20 ans, je ne sais plus ; mais pas n’importe quel chœur : indéfinissable, presque hors catégorie ; composé et constamment renouvelé de jeunes enfants, adolescents, qui suivent une formation vocale très poussée jusqu’au moment où, à la fin de Classes à Horaire Aménagé, ils passent leur bac.
Mais, quelle qualité !
Des voix très travaillées, il n’y a aucun doute, mais aussi avec la préoccupation de garder leur nature, que rien de leur qualité première ne soit altéré par ces prétentions opéristiques ou concertistes qui transforment les plus belles voix en source artificielle à la limite de l’insupportable !
Oui, j’attendais ce Jean-Michel Noël, le directeur de ce chœur ! Je n’ai aucune envie d’épiloguer sur ses compétences reconnues par des diplômes ; peu m’importe son passé, sa formation ; ne m’intéresse que ce qu’il a été capable de faire de ce chœur : grandiose, c’est le premier et sans doute le seul mot qui me vient immédiatement à l’esprit.
Grandiose par ce travail dont le résultat est que chacune des voix se fond totalement aux autres, et pas seulement à l’intérieur de chaque pupitre (ce qui est le B.a.-Ba de chaque chœur !), mais aussi chaque pupitre qui se fond dans les autres ; ajoutez à cela, que les voix utilisées comme solistes n’ont jamais tranché par une intensité, vibrato ou mise en avant exagérée, avec le reste du chœur qui les accompagnait.
Mais grandiose surtout par ce travail musical accompli : l’art des nuances, exceptionnel ! Facile, direz-vous, avec une acoustique qui amplifiait chaque son, et l’élargissait jusqu’à la limite où, la réverbération aidant, l’auditeur n’était plus capable de distinguer ce qui pouvait être du domaine de l’harmonie –superposition des sons – de la mélodie –succession de notes-.
J’ai rarement entendu des pianos aussi pianos, j’ai rarement entendu des superpositions de voix et de timbres aussi distinctivement : un véritable travail (et résultat) de professionnels, avec une simplicité et une aisance déconcertante.
N’allez surtout pas croire non plus que le répertoire choisi facilitait les choses : la musique populaire bretonne. Il en est de la musique populaire bretonne comme de toutes les autres dites populaires : c’est ce qu’on en fait –arrangements et harmonisations – qui les rend intéressantes ou non ; on comprend alors que, quand on a à sa disposition un chœur de très grande qualité, on a envie de soigner, de perfectionner tout ce qui peut mettre en valeur ces pièces populaires. Et même si la mélodie peut sembler facile, voire « niaise » on arrive ainsi par tout un travail minutieux d’embellissement à les rendre passionnantes.
C’est dire si nous avons connu d’intenses moments musicaux !
Et pourtant Tinténiac n’est ni Rennes et encore moins Paris.
On aurait pu craindre après une telle prestation que l’Ensemble de musique ancienne « la Camerata Antiqua Bettoniensis » fasse pâle figure !
C’aurait été peu connaître Yves Touquet, le directeur de cet ensemble, et les quelques professeurs de l’école de musique de Betton qui le composent !
Notons au préalable cette performance : la gambiste empêchée et remplacée presque au pied levé par une violoncelliste ; cela peut sembler une petite chose, mais la différence du timbre, le changement du son lui-même dû à un autre diapason (en gros, les notes un demi-ton plus haut !), il y a de quoi altérer et rendre encore plus complexe un jeu collectif et des œuvres déjà un peu difficiles pour notre oreille contemporaine.
Et pourtant, avons-nous entendu, mieux, ressenti, ces difficultés ? Bien prétentieux celui qui pourra l’affirmer !
Subjugués ? oui, car nous attendions aussi, en particulier dans le concerto grosso d’Arcangelo Corelli « La notte di Natale » (la Nuit de Noël), un violon au moins ; la transcription qui nous a été proposée, ne démérite absolument pas, et même si par moments, notre oreille séduite mais tout autant curieuse, relevait ce je ne sais quoi d’étrange et de peu conforme par rapport à nos souvenirs musicaux, à aucun moment nous n’avons été dérangés par cette transcription. Bien au contraire nous avons retrouvé tout cet esprit de l’art baroque, où l’on était capable de jouer dans toutes les transcriptions possible toutes les grands œuvres qui circulaient dans toute l’Europe ! (Avons-nous encore en mémoire cette transcription des « Quatre saisons » de Vivaldi, réalisée pour … accordéon par un certain Chefdeville dans les années 1770 ?)
Dans ce foisonnement d’instruments baroques, entre un traverso, un clavecin (dont on pourra regretter qu’il n’ait pas assez sonné dans cette grande église, mais, s’il n’avait pas été là, comme on aurait déploré son absence !!!), et deux flûtes à bec, un timbre, peut-être un peu acidulé, mais oh combien séducteur, celui d’une clarinette baroque, sachant chanter juste comme il le fallait un peu au-dessus des autres, mais réussissant aussi, quand c’était nécessaire, s’intégrer aux autres.
Ce fut encore et aussi de très grands moments musicaux dans ce concert, et l’on souhaiterait que notre région puisse faire une belle part à un tel ensemble.
La conclusion s’impose, non ?
Si vous entendez parler d’un concert de l’un comme de l’autre (Le Chœur mixte de la Maîtrise de Bretagne, ou la Camerata Antiqua Bettoniensis) alors aucune hésitation, vous aurez rendez-vous avec la qualité et l’émotion.
Commentaires