Zoé Valdés : Le paradis du néant.
Elle me plait bien cette Yocandra, jeune écrivain cubain, qui affronte les périls de la mer sur une embarcation de fortune, et qui se retrouve à Miami, avant de se réfugier à Paris.
Elle me touche, et comment pourrait-il en être autrement, cette sincérité qui l’habite et dont elle ne peut se départir.
Sincérité de cette vie collective que reconstituent ces cubains exilés dans un immeuble parisien ; cette vie de débrouille que chacun est obligé de mener ; cette diversité qu’est leur jusqu’à cohabiter, sans le savoir, avec un « pédé », voleur et aussi membre des services secrets de Castro ; ces caractères qui peuvent s’affronter mais qui participent tous de la même chaleur, de celle qu’ils ont quittée et qu’ils tentent de retrouver. Elle nous assène la réalité de la multitude des sentiments qui peuvent enchaîner les humains entre eux : de l’amour maternel, à l’amitié y compris entre femmes, de la nécessaire tendresse, en passant par cette haine que peuvent engendrer certains comportements, tout y passe, jusqu’à ce désir de la plus minime jouissance, cette douceur qu’on ne peut s’offrir !
Elle émeut aussi cette Yocandra par l’acharnement du destin sur sa propre vie ; ayant laissé à Cuba l’homme qu’elle aime, « Le Nihiliste », elle se laisse embobiner par un beau parleur, la voilà mariée à … un dangereux espion cubain, chargé de la surveiller elle, ses compatriotes et surtout d’avoir des tas de renseignements sur ce fameux Nihiliste, avec qui elle correspond encore un peu ! Quand, sa mission est terminée, il l’abandonne comme une vieille chaussette, et notre Yocandra toute désemparée a aussi la tentation de l’amour … oui, elle est émouvante dans cette humanité viscérale dont elle a besoin, car ce n’est pas une faiblesse de femme, non, mais bien un profond désir de vie ; et qui va la mener jusqu’à faire la connaissance d’un étrange italien …
Mais elle est encore plus émouvante, quand, elle retrouve à Madrid son « Nihiliste » que les autorités cubaines ont libéré et exilé en Espagne, ne voulant pas qu’il meure emprisonné d’une tuberculose contractée ou inoculée dans les geôles de Castro. Et les pages qui suivent et racontent leur vie parisienne méritent d’être lues et relues non pour ce qu’elles racontent, mais pour ce qui fonde le récit lui-même.
Car c’est un sacré caractère que cette Yocandra !
Et qui réfléchit en plus !
Réflexions sur l’exil, le sens d’abandonner volontairement sa terre natale ; les mots sont parfois terribles, mais la réalité est aussi là, impitoyable ; car il est impitoyable ce régime castriste. Elle sait Yocandra que cette constatation choque nombre de militants de gauche pour qui, dès les années 1970, Castro a représenté l’espérance de l’évènement d’un communisme différent de celui soviétique ; mais elle demande, mieux, exige, que ces mêmes militants aient le courage de regarder la réalité en face : qu’est-ce qu’un régime qui flique toute une société, qui emprisonne et torture y compris des « innocents », des citoyens qui ont eu le seul malheur de connaître un dissident. Et de poser aussi la question : qu’est-ce qu’un dissident ? qu’est-ce qu’un opposant ? et si le fait de vouloir vivre libre constitue en soi un délit et l’appartenance à l’opposition, alors quel sens peut avoir un tel régime qui embastille ceux qui veulent vivre libres ou qui les force à s’exiler ?
Elle ne donne pas de réponses théoriques ou idéologiques à ces questions : elle se contente, Yocandra, de les vivre dans sa chair et de vivre parfois avec beaucoup de souffrance, la solution qu’elle a été amenée à trouver pour sauvegarder sa liberté. Mais elle est aussi très dure –et cela se comprend – avec tous ceux qui pour des raisons de confort personnel pactisent avec le régime castriste ; avec ces intellectuels ou artistes qui se proclament dissidents, parce qu’ils vivent la moitié de l’année en « exil » mais qui retourne au pays l’autre moitié de l’année avec la bénédiction du régime ; avec ces gouvernements étrangers qui ne veulent pas d’histoire avec Castro et qui compliquent à l’infini la vie des exilés au lieu de les aider dans leur lutte pour que Cuba, ses habitants retrouvent leur liberté ; avec ces médias qui refusent aussi de publier ces témoignages accablants de la dictature castriste. Car la force du régime castriste c’est d’avoir ancré dans l’opinion publique internationale que tous les exilés étaient des traitres !
Pour tout cela elle est séduisante Yocandra, et pour achever ce portrait vous ajoutez aussi ces quelques réflexions sur l’acte créateur et ce qu’est l’œuvre, aussi bien poétique, littéraire que picturale.
Le moins qu’on puisse dire c’est qu’avec un tel roman, Zoé Valdès nous interroge et nous renforce dans notre conviction qu’il est temps que naisse un nouveau type de société où des aberrations comme le castrisme ne puissent avoir lieu ; mais ne nous méprenons pas, ce n’est surtout pas une apologie du libéralisme et du capitalisme !!!
Commentaires