« Mer libre, toujours tu chériras les hommes libres … »
Un peu de pastiche de temps en temps ne fait pas de mal, et permet de mieux supporter la crétinerie des humains.
Le temps des réactions à chaud est passé, celui où tout le monde cédant à l’inévitable compassion, s’émeut à juste titre du drame. Comparé par ceux qui l’ont vécu, à la tragédie du Titanic, celui du Costa ne pourra pas ne pas marquer nos esprits, et il est sans doute plus que temps qu’on en tire quelques leçons.
Balayons tout de suite l’hypothèse avancée pourtant par le commandant lui-même, d’un écueil non repéré sur les cartes marines … attends, la Méditerranée ce n’est pas l’Amazonie ou l’Océan pacifique où il reste encore des tâches d’ombre, et où tout n’est pas découvert ! Et en dehors d’îles volcaniques qui peuvent surgir à tout moment, les cartes marines de la Méditerranée sont d’une exactitude exemplaire ; et comme aucune éruption d’un quelconque volcan sous-marin n’a été signalée pouvant engendrer l’apparition d’un îlot … exit l’argument du commandant
Plus grave par contre m’apparaît l’attitude de ce dernier. Car pour quelle raison n’a-t-il pu lire correctement les cartes marines et surtout se situer par rapport à cet écueil ? C’est pourtant ce que qu’apprennent tous les apprentis marins, lire une carte, établir une route en fonction des courants et des éventuelles marées, et savoir à tout moment faire le point pour connaître sa position précise !
Je m’interroge d’autant plus qu’actuellement ces mêmes marins sont aidés par le fameux GPS qui est capable de situer précisément le navire, et même de le diriger en cas de défaillance humaine.
Cela fait quand même beaucoup d’erreurs en même temps, d’autant que, autre circonstance troublante, si le commandant est seul maître à bord, il n’est quand même pas tout seul et est assisté par quelques seconds ; car, le drame s’est bien déroulé au moment où il n’était pas dans la cabine de pilotage et qu’il devait bien y avoir quelqu’un qui était aux commandes ou qui, tout au moins, surveillait la marche du navire.
Inquiétant tout cela non ?
Dépassons cette période critique qui va avoir marqué tant et tant de personnes, les familles des victimes et des disparus en premier lieu ; pour elles, il n’est même pas sûr que le temps guérisse leurs plaies.
Je m’interroge plutôt sur cette folie humaine qui consiste à construire des paquebots toujours plus grands, et sur cette autre folie que celle des croisières, les deux allant bien évidemment de pair.
Pour prendre une comparaison gastronomique, la croisière est aux voyages en mer ce qu’est le vin de la Communauté européenne, cet affreux picrate, par rapport à un grand cru de Bordeaux : illusion de boire du bon, mais qui vous donne les pires maux d’estomac, de foie, sans oublier les migraines !
Or qu’est-ce qu’un voyage en mer, je ne parle pas de ceux obligés qu’on fait pour affaires ou pour raisons économiques ; non je parle de ceux d’agrément, ceux qui permettent d’allier l’utile – franchissement de distances – et l’agréable – plaisirs de la mer. Or si ces derniers ne doivent être que repas mondains, soirées de galas, activités ludiques de casinos et autres salles de jeux, et éventuellement quelques moments culturels – concerts …-, alors cela ne vaut pas la peine d’aller sur l’eau pour tout cela, autant rester à terre ! Ah oui, me direz-vous, mais il y a aussi toutes les étapes faites dans la journée, on peut visiter Naples, Corfou, Athènes, Barcelone et même pousser pourquoi pas jusqu’à Alexandrie ! Attendez où est alors le plaisir de la mer, si au seul moment où vous pouvez encore être un peu frais, vous êtes à terre pour admirer des chefs d’œuvre impérissables ? Une, je me demande bien ce qu’en une petite journée de quelques heures vous allez pouvoir connaître de ces hauts lieux qui nécessitent pour les comprendre des jours et des jours ; deux, quelle disponibilité intellectuelle ou spirituelle allez-vous avoir pour découvrir ces lieux si vous occupez vos soirées en des activités qui sont à mille lieux de la nature même de ces lieux : quel rapport entre les casinos, les soirées mondaines de votre luxueux bateau et la découverte de ces quartiers populaires qui font la vie même de Barcelone ou de Naples ? Mais il est vrai que ce n’est pas cette vision qu’on vous propose de ces villes, mais au mieux un monument le plus célèbre, cela va de soi, et du shopping dans les boutiques pièges à con des touristes !
Mais il y a pire dans cette attitude et dans cet esprit que supposent et développent toutes ces croisières, c’est qu’on en arrive à oublier la vie de la mer elle-même. Oh non, je ne suis pas un animiste totalement arriéré, mais il me semble que vivre sur l’eau, ne serait-ce que le temps d’une croisière, c’est aussi s’imprégner de ce qu’est un rythme complètement différent de celui terrien : ne pas ressentir la puissance des vagues, l’odeur spécifique de cette eau salée, la chaleur ou le froid qui s’en dégagent, c’est déjà se couper de ce monde sur lequel on la prétention de vivre quelques jours… et précisément tout ce que vous offrent ces paquebots est fait pour vous empêcher de connaître ce monde là. Ne parlons pas de cette vie qui grouille sur et sous la mer et qu’il faut prendre le temps aussi d’observer.
La mer se venge de l’insulte qu’on lui fait en la traitant comme une vulgaire esclave : car rien n’est plus humiliant que de consentir des plaisirs pour lesquels on n’est pas fait, ou que l’on ne peut partager.
Mais on n’a pas fini d’en parler de ce naufrage : une fois « fini » l’aspect purement humain des croisiéristes secourus, il faudra bien penser aussi à Dame Nature et voir toutes les conséquences tout autant catastrophiques de ce naufrage, à commencer par cette pollution aux hydrocarbures qui menace …
Et tout cela parce que notre société de consommation a fait miroiter à quelques pigeons fortunés que la croisière était le nec plus ultra du tourisme.
C’est à vomir d’imbécilité !
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