Jean-François Marmontel : Trois contes moraux
Il m’a donc fallu assister à un conte musical tiré de ce recueil pour que je découvre cet écrivain français du 18e siècle. Mes maîtres l’avaient-ils négligé ou rêvai-je, mauvais élève, lorsqu’ils en ont parlé ? toujours est-il que grâce à ce conte musical réalisé par les Malins Plaisirs sous la direction de Jean Tavernier (dont j’ai eu le plaisir de vous en donner un compte rendu ici-même), j’ai découvert cet auteur et ce charmant recueil.
Balayons tout de suite cet anachronisme (ou cette erreur historique) que nous mettrons au compte de la fantaisie de l’auteur ; mais la Roxelane à laquelle consacre son premier conte Jean-François Marmontel fut bien l’épouse de Soliman le Magnifique (1494-1556), et non de Soliman II qui régna quelques 120 ans plus tard !
Charmant, oui, parce qu’on est en plein univers de cette littérature badine qui a rendu si délicieux son siècle. J’aime ce faire semblant de parler avec légèreté de choses graves ; feindre de ne rien prendre au sérieux pour mieux affirmer quelques vérités essentielles.
Elles paraissent volages ces trois femmes qui se jouent avec aisance des prétentions si réalistes des hommes ; elles les mépriseraient presque ces galants qui osent leur demander de céder à leurs avances… mais en définitive que souhaitent-elles d’autre ? Et en contrepartie ils s’affichent bien sages ces hommes là qui ne souhaitent qu’une chose, que les femmes détruisent ce masque qu’ils se sont donné !
Le plus important est sans nul doute ailleurs : c’est à une civilisation de plaisir et de quête de bonheur que nous invite Jean-François Marmontel ! Nous sommes, ne l’oublions pas, à l’époque d’un Condillac, et c’est par les sens qu’on obtient plaisir et bonheur ; et quand on parle de sens, c’est dans toute la force du mot : et avant que l’érotisme ne trouve toute sa place dans les actes, il se servira des mots avec toute leur puissance de suggestion pour s’insinuer chez les êtres. Tout le discours tend alors vers ces frissons amoureux, se délectant des sous-entendus, des qui pro quo, des jeux de mots …
Immoraux ces textes ? Certes oui, si on associe immoralité et puritanisme, mais oh combien moraux au contraire, si on considère que cette quête ne vise en fait qu’au bonheur des êtres impliquant leur total épanouissement … et qui dit être épanoui dit forcément société épanouie !
C’est toute une philosophie qui nous est alors proposée ; et ne nous méprenons pas, elle n’est pas seulement petite bourgeoise, elle a une portée bien plus révolutionnaire, car la libération des sens provoque inévitablement une libération politique : n’est-ce pas, par exemple, à cause de Roxelane que Soliman bouleverse le grand ordre de la société turque, et que désormais le Sultan a le droit non seulement de se marier mais aussi de choisir sa propre épouse ?
Je dois être très rétro, mais comme j’ai succombé aux délices de cette littérature ; et c’est aussi le seul malheur que je vous souhaite !
Editions Le Promeneur, 1994, 128 p.
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