Peter May : L’éventreur de Pékin
Encore un auteur que l’on me recommande, et encore un qui ne me déçoit pas, et loin de là !
Pourtant le sujet n’est pas si facile, malgré toutes les apparences.
Pas facile parce que situé dans une contrée aussi lointaine et encore tellement mystérieuse et trop souvent incompréhensible qu’est la Chine. Même si on connaît parfaitement un pays, se mettre à la place d’un autochtone, avec ses réflexes, ses modes de pensée et ses réactions est une gageure sur laquelle ont buté tant et tant d’écrivains !
Pas facile aussi de transposer des faits divers dramatiques qui ont marqué la Londres des années 1880, en un Pékin du début du 21e siècle : plagiat ou caricature, grands étaient les écueils qui pouvaient saper une telle entreprise.
Me voilà donc lancé dans cette aventure, enfin relativisons quand même ! Car il se n’agit pas d’un traité philosophique d’un quelconque Spinoza contemporain, mais bien d’une œuvre directement accessible, et dont l’histoire pour épouvantable qu’elle soit ne nécessite pas une grande puissance de réflexion … sauf à tenter de découvrir l’assassin avant même Li Yan, l’inspecteur chargé de l’enquête sur ces crimes.
Et là premier bon point de Peter May : il sait parfaitement mener le suspens, et jusqu’à la fin nous nous interrogeons sur l’identité du tueur en série. Pourtant, si on relit (mais je n’ai pas eu le courage de le faire) le roman, je suis presque sûr que l’auteur nous donne très rapidement quelques indices qui nous mettent sur la piste de l’assassin.
Deuxième bon point, la personnalité de Li Yan : elle ressemble à tous ces bons commissaires dont la littérature occidentale raffole (allez fouiner du côté de Fred Vargas ou d’Andrea Camilleri !) ; responsable d’une équipe avec des tas d’éléments disparates, du brillant second au paumé, il sait faire fonctionner ses méninges. Il est définitivement aboli le temps (les années 50-60) où les inspecteurs de police étaient d’épaisses brutes qui se shootaient à la bière ou au whisky et dont les poings et raclées servaient de raisonnement.
Pourtant demeure une réelle interrogation : la hiérarchie et le mode de fonctionnement de Li Yan et de son équipe correspond-elle à la réalité de la police chinoise ou bien n’est-elle que calquée sur le modèle occidental ? L’intrusion du monde politique, ou plutôt du politique tout court, dans l’enquête n’est pas l’apanage de nos sociétés et de nombreux faits divers chinois nous indiquent que la société chinoise reste aussi très « policée » et qu’est omniprésente la main mise du politique sur tous les faits de la vie quotidienne.
En ce domaine aussi, Peter May se révèle passionnant : les relations hiérarchiques ou non des Chinois entre eux qu’il évoque ne sont pas que des images d’Epinal que nous autres occidentaux avons fabriquées : la relation du père et du fils est quelque chose de très fort, sans doute beaucoup plus que chez nous, mais aussi les préjugés sociaux sur les liaisons ou mariages entre personnes de nationalités différentes (le commissaire Li avec une américaine, et un policière chinoise avec un américain) qui ne sont pas sans rappeler ceux qui ont encore cours dans notre société même française !
Pour mieux nous immerger dans cette société chinoise, l’auteur fera appel aussi à tous ces grands phénomènes qui la caractérisent et qui nous frappent tant ; pêle-mêle : l’enfant unique, la pollution, la politique d’enrichissement, la circulation urbaine (vélo de plus en plus supplanté par l’automobile !). Ils ne sont pas de la simple figuration ou des clichés cités çà et là pour faire bonne figure, non ils sont partie intégrante du récit et donnent une réelle consistance au cadre dans lequel l’action « thrillérienne » se déroule.
A sujet exceptionnel, il fallait bien aussi des circonstances exceptionnelles ; je passe sur la découverte de l’assassin, dont la personnalité surprendra (certains lecteurs auront tôt fait d’en tirer une conclusion d’un anticommunisme primaire, qui ne me semble pourtant pas dans l’esprit de l’auteur !) ; beaucoup plus intéressante me semble, par contre, l’introduction dans la recherche du coupable de technique modernes voire avant-gardistes, telles que des méthodes toutes nouvelles de détection de mensonges. Et ce qui passionne, ce ne sont pas tant ces méthodes elles-mêmes, que les répercussions qu’elles peuvent avoir sur les protagonistes ainsi que la « panique » qu’elles provoquent sur l’assassin lui-même, l’obligeant à commettre des fautes et peu à peu à se démasquer.
Un grand thriller donc, et qui a toute sa place dans ce très grand monde de la création qu’est la littérature (et tant pis si je froisse certains puristes !)
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