E.L. James : Cinquante nuances de Grey
Ah ces journalistes ! Quels sacrés plaisantins ! De nous annoncer, il y a quelques jours la parution en France d’un livre qui fait fureur aux Etats-Unis, déjà vendus à 40 millions d’exemplaires, et avec une réputation pornographique sulfureuse.
Et de me précipiter chez mon libraire habituel (ou presque !) pour acheter cet ouvrage et verser à la pornographie mon obole de 17 euros. Il faut bien que de temps à autre, je satisfasse le petit cochon qui sommeille en moi (comme en chacun de nous, merci oh vous les pontes de la psychanalyse !).
Vous me connaissez, ce ne sont pas 653 pages (moins celle des remerciements !) qui vont me rebuter, quand on a lu l’intégrale de « l’histoire de ma vie » de Giacomo Casanova, c’est presque une bagatelle.
Alors si vous êtes enclin à croire que ce vous disent les journalistes de la télévision, vous allez être très déçus ! Car pour la pornographie au sens de l’activité sexuelle la plus débridée et la plus bestiale, alors là oui vous allez immédiatement demander le remboursement de vos 17 euros ; car à réfléchir de très près, il n’y a rien, mais vraiment rien au sens strict du terme de pornographie ; certes il y a des passages très très osés, mais alors que dire d’un Bukowski ?, et encore, il faut attendre plus de cent pages avant qu’ils n’arrivent, mais ces passages, pour débridés qu’ils soient ne sont jamais bestiaux dans la mesure où Anastasia (c’est l’héroïne) est follement amoureux de Christian qui lui-même se dit ensorcelée (et donc sentiments humains) par ladite Anastasia.
Certes si vous êtes prudes, ou seulement si des parties très provocatrices de pattes en l’air, ce n’est pas votre tasse de thé, alors ce livre oui, ne vous convient pas, mais on ne peut pour autant le bannir et le mettre au plus profond des enfers parce qu’il serait pornographique.
Alors le reste !
L’histoire d’abord : elle est très fleur bleue ! Imaginez, une jeune étudiante, Anastasia, qui achève son cursus universitaire, doit interviewer un richissime homme d’affaires, Christian, qui se trouve être aussi un des mécènes de son université. Elle se révèle d’une étonnante maladresse (cliché classique), mais Christian au contraire a tellement été séduit qu’il va comme par hasard la rechercher (autre cliché convenu !) Et il va lui proposer un contrat où la pratique sexuelle devra être accommodée à une sauce telle que même les mille figures du Kamasutra seraient amusement de petite fille en comparaison. Et le tout essentiellement basé sur la relation Dominant à soumise.
Elle craque la jeune Anastasia, la très pure Anastasia, car vous l’apprendrez elle est encore vierge (autre cliché très convenu !) et n’a jamais connu le moindre homme avant ! Oui, elle craque et elle a une irrésistible attirance amoureuse et passionnelle, même pour Christian. Et tout le reste du roman, ce sera cliché sur clichés : tiens, je te fais des cadeaux, non, je n’en veux pas, mais si tout compte fait j’accepte ; ou encore cette série de mails qu’ils s’envoient ; ou encore, comme il est très riche ce Christian, alors il a un hélicoptère personnel et l’Ana en profite, comme des suites d’hôtel qu’il ne cesse de réserver pour lui et bien sûr Ana.
Clichés encore que tous ces éléments de vie qu’on découvre peu à peu : Christian est un enfant adopté, dans une famille de doués, donc obligé de l’être (tiens, on ne s’interroge même pas sur ce que c’est qu’être doué, comme si cela était mécanique) et en tout domaine, il joue même très bien du piano.
Et comme la demoiselle, enfin elle ne l’est plus, se montre tout à coup exigeante, car elle aime tellement ce Christian qu’elle voudrait bien se l’attacher définitivement ; Christian bien sûr est stupéfait, lui à qui on obéit sans la moindre hésitation, voit tout à coup sa volonté mise en question ; alors il va aimer cela, et donc il va vraiment être ensorcelé par Anastasia.
C’est-y pas beau tout cela ! et tout cela sur 650 pages.
Vous vous dites, eh bien, il n’est pas tendre le gus d’eontos avec EL James !
Vous auriez presque raison, car on ne lit quand même pas 650 pages en trois jours, si ce livre a tout pour vous déplaire.
Que ce soit fleur bleue, roman à l’eau de rose, roman feuilleton etc … il y a quand même des choses qui interpellent le lecteur. A commencer par cette description de la société américaine, et de celle qui, comme par hasard, n’a aucun problème de survie, ni même de vie quotidienne. Et même si le côté « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes » est parfois agaçant (oh oui !), il n’empêche que cette vision d’un monde qui serait totalement idyllique s’il n’y avait ce sacré problème de cul qui taraude tous les humains (pourquoi vouloir se cacher la face ?) interroge profondément : comment peut-on être aussi individualiste alors même que l’organisation de la société vous oblige à être collectif ?
J’aime bien l’organisation de ce roman ; en particulier deux « trucs » sans dout faciles, mais il fallait y penser ; l’intégration dans le discours romanesque des mails ; mais non, ne faites pas la fine gueule ! Les premiers écrivains qui ont utilisé, au 17ème siècle (si ma mémoire est bonne) les lettres pour écrire un roman n’ont pas fait mieux : ils se sont servis de ce qu’il y avait de mieux dans la communication à l’époque (merci Madame de Sévigné !) pour créer un style original et sans doute passionnant pour les lecteurs de l’époque. Alors pourquoi donc rejetterions-nous l’introduction de mails ? Certes cela fait drôle, d’autant plus que contrairement à ceux que l’on reçoit fréquemment, ils sont à peu près lisibles, c’est-à- dire dans une langue qui n’est pas trop massacrée, ce qui n’est pas rien dans notre monde cybernétique actuel (il n’est que de lire les tchats pour voir à quel point l’ignorance crasse de la langue est devenue règle générale !) Cette utilisation de mails offre bien des avantages entre autres celui de prendre une distance objective face à l’immense problème qui affecte les relations entre nos deux « héros » et qui, à dire vrai, n’est pas des plus passionnants.
De même l’apparition d’un tiers personnage, la bonne conscience d’Anastasia, qui intervient par le jeu d’une écriture en italique ; ne serait-ce cet emploi trop répété du mot merde (eh, oui même dans un roman osé, je reste d’une pruderie totale en ce qui concerne la langue !), il permet, ce personnage, d’évacuer le trop plein de tension que subit l’héroïne ; elle peut alors devenir elle-même.
Je ne reviens pas sur tous ces personnages plus ou moins secondaires, on ne va quand même pas entreprendre une thèse sur ce qui, somme toute, ne reste qu’un roman d’occasion : une production d’un moment donné qui a su profiter habilement de tendances du moment et qui a surtout bénéficié d’une publicité autant tapageuse qu’injustifiée. Avec un immense regret : à la suite de ce roman, la dernière page présente les deux autres tomes qui forment cette trilogie et nous en donne un bref aperçu. Mon regret est le suivant, pourquoi ne pas avoir condensé le tout en un seul volume ?
Ah, ils sont malins les éditeurs ! Mais tant pis pour eux, le premier tome m’aura suffi !
Et tant pis pour mes 17 euros
Editions JC Lattès, 2012, 653p., 17€
très intéressant ce que tu as ècrit
j'ai vu l'*dition italienne de ce livre et des deux autres tomes mais ils n'ont pas attiré ma curiosité , je ne sais pas pourquoi J'ai eu de la chance donc a ne pas les acheter !!!
Rédigé par : ericablogger | 01 novembre 2012 à 07:10