Giuseppe Verdi : l’autre bicentenaire !
Voilà un compositeur qui commence par naître sous une doubler ambiguïté.
La première et non des moindres : lui qui représente par excellent l’opéra italien, qui naît dans une des régions italiennes par excellence, l’Emilie Romagne, il se trouve par les hasards de l’épopée napoléonienne, voir le jour en territoire français, dans un tout nouveau département voulu par l’empereur : celui du Taro ! Son acte de naissance est par conséquent écrit en Français, et porte la date du 12 octobre 1813.
L’autre ambiguïté c’est aussi cette date : très longtemps, Verdi lui-même a cru être né un an plus tard, et ce n’est que lorsqu’il a atteint sa 64ème année, qu’il a découvert qu’il était en réalité un an plus vieux ! … comme si ses parents avaient voulu gommer en quelque sorte les hasards historiques !
Très longtemps ont perduré sur le compositeur lui-même des clichés dûs sans nul doute tant à la personnalité de Verdi qu’à l’image qu’on a pu avoir de l’artiste. Il s’est dit paysan, et alors on a vu dans sa musique de nombreux aspects rustres, populaires à l’instar de ce que nombre d’esthètes romantisants s’imaginaient être la culture populaire !
Paysan ? voire, car ses parents possédaient la seule auberge-épicerie des Roncole (hameau d’un millier d’âmes, à côté d’un gros bourg, Busseto, 7 à 8.000 habitants) ; mais l’auberge reçoit des voyageurs, et il y a brassage de populations et de culture ce qui n’a pas échappé ni aux parents ni au tout jeune Giuseppe d’autant que le fournisseur attitré de l’auberge est un riche commerçant de Busseto : Antonio Barezzi, un bourgeois, lettré, musicien et ayant une part active dans le monde culturel de la ville, il organisait même des concerts chez lui.
Paysan, certes, mais plutôt tendance propriétaire terrain, car les parents Verdi possèdent des terrains qu’ils savent exploiter. Giuseppe s’en souviendra sur la quarantaine !
De constater alors que dans ce milieu de « paysan » puisse éclore un génie musical tel Giuseppe Verdi, rien n’était plus propice à faire fantasmer toutes les imaginations ! Ah, le brave petit gars qui, partant de rien, arrive à se créer un nom, à devenir l’un des plus grands qui soient !
Et l’on s’émerveille de ce que le jeune Giuseppe soit subjugué par le son d’un pauvre violoniste qui vient jouer devant l’auberge paternel, ou encore qu’il s’extasie sous les sonorités de l’orgue de la petite église des Roncole au point que …
Et commence ici la première des nombreuses anecdotes qui émailleront la vie du compositeur ; Verdi lui-même l’a racontée à son premier biographe Melchiorre De Filippis Delfico (1). Enfant de chœur, avait-il seulement sept ans ?, il se trouve tellement subjugué par l’orgue, qu’il n’entend pas le curé lui demander les burettes ! Ah, ces burettes, surtout celle qui renferme le vin, que de convoitises n’ont-elles pas suscité, et pas seulement religieuses ou mystiques, oh, non ! bien plus de l’ordre de la gourmandise charnelle … Bref, Giuseppe n’entend pas, et ne réagit même pas à la seconde demande du curé, qui alors se fâche, et envoie au petit enfant de chœur un coup de pied. L’enfant s’est-il évanoui ? A-t-il eu le temps d’envoyer au curé ce mot qui restera dans les annales « Puisses-tu être foudroyé ? » … ou ces mots ont-ils été rajoutés quelques années plus tard lorsque le curé a été effectivement foudroyé dans son église même ?
Toujours est-il que le jeune Giuseppe semble profondément sensible à la musique, et de cela l’instituteur et organiste des Roncole, Maestro Baistrocchi en est intimement convaincu, il lui apprendra en même temps que la lecture des lettre, celle des notes.
Tant de prédispositions seraient-elles venues par hasard, de « rien » ? Que la science musicologique fait bien les choses ! En fouillant un peu plus dans la généalogie maternelle, on s’est rendu compte que la mère de Giuseppe, était une Uttini … cette même famille bolognaise dont un de ses représentants, Francesco Antonio s’est illustré, quelques dizaines d’années seulement auparavant, comme compositeur d’opéras et de musique de chambre à Stockholm. Comment chante-t-on déterminisme dans l’opéra ???
Et si la mère n’avait pas été au plus profond d’elle-même un tant soit peu musicienne, aurait-elle accepté que son mari achetât une épinette pour Giuseppe qui n’avait pas encore huit ans ? Remarquons juste que cet instrument était déjà moribond, puisque, en partie détrônée par le clavecin, lui-même périclitant depuis une bonne cinquantaine d’années au bénéfice du piano ! Et si Giuseppe n’avait pas de réels dons pour la musique, est-ce que le même marchand d’épinettes aurait accepté de la réviser entièrement et ce … gratuitement ?
L’avenir de Giuseppe musicien, et qui sait compositeur, semble tout tracer. La famille Barezzi le prend en charge à Busseto, il fréquente le lycée, et les deux personnalités musicales de la ville, l’organiste et maître de chapelle Provesi et le chanoine violoniste Seletti vont prendre en charge la formation musicale de Giuseppe.
Jusqu’au jour où …
Notre futur grand compositeur se sentit amoureux de la fille de son mécène.
Il était temps qu’il aille étudier dans de plus prestigieuses institutions ; Barezzi usa de toute son influence pour que Giuseppe, même s’il avait dépassé l’âge réglementaire, puisse être admis au Conservatoire de Musique de Milan. Il commença par lui obtenir une bourse et en attendant qu’elle lui soit livrée (à la condition que Giuseppe ait été reçu au concours d’entrée du Conservatoire), il prit sur ses deniers personnels.
Arriva donc la première grande épreuve : celle du concours d’admission ! Giuseppe devait se sentir prêt, comment aurait-il pu en être autrement ? Il avait eu d’excellents professeurs qui lui avaient déjà donné un solide métier, il avait manifesté ses dons de pédagogue, certes par amour, mais dons quand même !, il avait montré que le talent de composition était à sa portée ; alors, cette épreuve n’était pas plus qu’une simple formalité !
Il n’y eut pas de publication des résultats, mais on fit savoir à Giuseppe qu’il n’était pas admis. Qu’il avait été donc naïf cet adolescent de croire que le talent s’impose de lui-même ! Alors que tout ce qu’il croyait être des qualités ou des avantages n’était que l’inverse ! Il pensait que, sujet du duché de Parme, la Lombardie serait honorée d’accueillir un étranger qui désirait profiter de l’excellence de son enseignement ! Que nenni ! De tout temps, depuis l’antiquité, l’étranger quelles que soient sa bonne réputation ou les bonnes volontés qu’il manifeste, reste un étranger donc quelqu’un dont il faut a priori se méfier ! Il pensait qu’il possédait un certain art ? Oh que non, ne lui a-t-on pas reproché une position peu académique des mains sur le clavier … quant à sa musique proprement dite, elle ne démontrait en rien qu’il soit doué pour la composition.
On comprend la désillusion et l’amertume qu’a du ressentir le jeune Giuseppe Verdi. Mais ses mentors ne s’avouent pas vaincu et l’encouragent d’autant plus qu’ils ont déniché une perle rare, le compositeur Lavigna (2), professeur au conservatoire de Milan et qui a été choqué de la non admission de Giuseppe Verdi audit conservatoire. Vincenzo Lavigna sera pendant trois ans, de 1832 à 1835, le maître de Verdi et lui enseignera en particulier l’art de la fugue et du contrepoint, avec sans doute plus d’efficacité que si Verdi avait suivi les cours du conservatoire. En tout cas il vouera à ce maître une admiration et une reconnaissance sans bornes.
Pendant que Verdi achève ses études avec Lavigna, Busseto est tout a coup en ébullition : en 1833, le brave organiste et maître de chapelle Provesi meurt ; ses admirateurs, ses partisans, ses fans, ne jurent que par un seul nom, Giuseppe Verdi pour le remplacer. Mais voilà les cléricaux étaient nourris de préjugés contre Giuseppe et n’en voulaient absolument pas comme successeur de Provesi.
Verdi suit d’assez loin les évènements qui marquent Busseto ; il est totalement plongé dans sa formation et dans le monde musical de Milan, il découvre la Scala, bien évidemment, mais aussi des formations bien moins prestigieuses qui lui fournissent l’occasion non seulement d’exercer son talent mais surtout de le montrer ; ainsi dans une société philharmonique de Milan qui, avec de bons musiciens, travaillaient la partition de la Création de Joseph Haydn (3), Giuseppe qui se contentait d’observer dans son coin et le plus discrètement possible le travail de tous ces musiciens, se voit tout à coup proposer de remplacer au pied levé un des chefs défaillants. Ce fut un tel succès qu’il fut alors chargé du concert qui remporta lui aussi un tel triomphe qu’il y en eut un second.
Ses talents de musicien découverts, on lui demanda tout naturellement d’écrire une grande œuvre pour un mariage dans une famille noble de Milan. Ce qu’il fit et qui assit sa réputation. Le poste de maître de Chapelle de Monza étant vacant, on le lui proposa ; il offrait tant d’avantages : bien mieux rémunéré que celui de Busseto et surtout si proche de Milan.
Mais voilà, rien ne s’arrange à Busseto ; il y a des tas de tractations, des tas de tergiversations (toutes choses qui ne pouvaient que favoriser les fans de Giuseppe, puis qu’il ne devait achever sa formation avec Lavigna qu’en juillet 1835. Mais pendant ce temps Busseto se trouvait toujours sans organiste ni maître de chapelle ; on fit alors appel tout naturellement à la Grande Duchesse de Parme qui rendit son verdict en juin 1835, et un concours pu être organisé en janvier 1836.
Giuseppe dut choisir entre Monza et Busseto, et c’est cette dernière qu’il préféra bien plus par reconnaissance vis-à-vis de ses bienfaiteurs, et par amour, que par carriérisme musical … mais à l’époque …
Le concours a lieu ; Giuseppe fournit un avis plus qu’élogieux de son maître Lavigna, il montre toutes les œuvres qu’il a composées et qui ont été déjà données en public ; il exécute toutes les épreuves, mieux il en déjoue les pièges et suggère d’autres épreuves … les rares concurrents poussés par ses adversaires déclarent forfait, et le dernier qui reste avoue benoitement que s’il avait su, il ne se serait pas présenté.
Bref, Giuseppe Verdi remporte haut la main le concours, à tel point que même le président du jury, qui était pourtant au début hostile à sa candidature, lui déclare :
« Vous avez assez de science pour exercer comme maestro à Paris, Londres, non à Busseto. »
Le résultat proclamé en mars 1836, Giuseppe peut enfin se marier, ce sera chose faite le 11 avril de la même année.
PS Pour cet article j’ai utilisé les sources suivantes :
- « Verdi par Verdi », Gérard Gefen
- « Verdi », Pierre Petit
- « Verdi et son temps » Pierre Milza
(2) Melchiorre De Filippis Delfico (1825-1895) : intellectuel qui savait aussi bien manier la caricature, que la plume (a écrit des comédies), ou la composition musicale ; a été à partir de 1857 l’un des intimes de Giuseppe Verdi et l’un de ses premiers biographes.
(3) Elève de Paisiello, Vincenzo Lavigna (1776-1836), chef d’orchestre et compositeur de 11 opéras.
(4) Ce fait est intéressant parce qu’il démontre qu’à l’époque, et malgré tous les préjugés que l’on porte maintenant sur la musique dite classique, les musiciens savaient jouer et interpréter des œuvres de leur temps : La création de Joseph Haydn a été composée entre 1796 et 1799, et on la travaillait en vue d’un concert à Milan en 1833.
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