Nous avons laissé Richard Wagner à la veille de 1830 (cf.précédent épisode). Année importante en Europe ; des signes avant-coureurs d’un nationalisme exacerbé apparaissent en Europe ; les peuples commencent à regimber, veulent se libérer des jours des princes ou des puissances occupantes. Les premières révoltes populaires dans les années 1820 en Italie, en particulier à Naples et dans le Piémont.
La France en 1830 met fin au règne de Charles X, avec les trois glorieuses qui voient édifier les premières barricades depuis fort longtemps, et une répression extrême : 800 civils tués, d’un côté, et 200 militaires, de l’autre.
Inutile de dire que les révolutionnaires s’activent en Saxe, et ce sont les émeutes de 1830 à Leipzig : Wagner, malgré ses dix sept ans seulement, se range du côté des émeutiers et en particulier des étudiants ; toute cette période est éminemment romantique :
« Sérieux et décidés, ils (les étudiants) se dirigèrent du marché vers l’Université, où se trouvaient les cachots, afin d’enfoncer les portes et de délivrer les étudiants prisonniers ».
Les étudiants sont alors appelés par les autorités à faire régner l’ordre à Leipzig, et Richard Wagner va se mêler à eux et partager leurs missions : « Je ne laissai passer aucun jour, et, ce qui est pis, aucune nuit sans monter la garde avec eux. »
Ce qui va renforcer son attitude vis-à-vis des étudiants, dont il n’est pas encore, c’est celle de son beau-frère, Brockhaus, qui va, par certains de ses propos, enthousiasmer ces émeutiers d’opérette et les mettre dans sa poche :
« Déjà je voyais en mon beau-frère Brockhaus un Lafayette saxon ; c’en était assez pour nourrir mon exaltation. Je me mis à lire avidement les journaux et à faire de la politique. Cependant la société des bourgeois ne pouvait me satisfaire au point de me rendre infidèle à celle de mes chers étudiants. Du corps de garde, je les suivis dans les cafés et locaux où ils se retirèrent, et leur gloire avec eux. »
Etonnant ce Wagner ! Tout ce qu’il entreprend, c’est avec passion, mais sans aller jusqu’au bout : de tentatives poétiques, à des incursions dans le domaine musical, et maintenant avec la politique … et à bien y regarder, en fait Richard Wagner n’est ni plus ni moins qu’un adolescent, la reproduction de l’éternel adolescent : c’est sous le coup d’influences de personnalités adultes qu’il réagit.
Courage, d’ici peu, il deviendra adulte, mais il lui faut encore passer une ultime épreuve, celle où une force obscure abolit toute volonté.
Le cadre, d’abord : il lui fallait à tout prix réussir l’examen qui l’amènerait à pouvoir s’inscrire à l’Université ; l’objectif était d’obtenir ce titre tout à coup si désiré, d’étudiant. Donc ultime espoir, il s’inscrit au Collège St Thomas, mais là il passe le plus clair de son temps à organiser des corporations calquées sur le modèle de celles des étudiants, et réglant en particulier « beuveries » et escrime … résultat, pas de cours, donc pas d’amélioration de son niveau scolaire, et donc pas d’obtention du fameux diplôme…
Et le paradis idyllique universitaire de s’éloigner vers l’infini …
Sauf que Richard réussit un tour de force : puisqu’il ne peut prétendre à être étudiant dans une discipline universitaire reconnue, il obtient alors d’être inscrit comme « studiosus musicae » étudiant de musique.
Il rejoint alors les paradis artificiels de l’alcool coulant à flots, l’illusion de la chaleur humaine que provoque l’ivresse partagée, ne craignant ni les duels (il y échappe de justesse à deux reprises !), ni la réprobation tacite de sa mère et de sa sœur ; c’est dans ce cadre qu’il va passer la dernière épreuve, celle qui, une fois réussie, lui fera tourner le dos à sa vie d’adolescent pour rentrer dans celle d’adulte, enfin responsable !
A lire cette épreuve, dont Wagner en fait le récit dans « Ma Vie » (pp.84-86), on a l’impression de plonger dans l’atmosphère du « Joueur ». On sait que le mal d’argent est le problème récurrent de la vie de Wagner, et passer son temps en fêtes estudiantines nécessite des ressources qu’il n’a pas. Alors s’empare de lui, comme ultime solution, la passion du jeu, jusqu’au jour où il franchit ce qui pourrait être irréparable : il joue la pension de sa mère qu’il est allé encaisser. Il perd tout jusqu’à l’avant-dernière pièce ; il joue quand même cette dernière pièce … il gagne, rejoue, regagne, continue de jouer et gagne encore et toujours.
« A mesure que ma chance augmentait, il me semblait sentir plus vivement à mes côtés Dieu ou son ange me conseillant et m’encourageant. A l’aube, je dus escalader le mur une dernière fois pour rentrer chez moi. Je tombai dans un sommeil profond dont je ne m’éveillai que très tard, fortifié et comme régénéré. Aucun sentiment de honte ne me retint d’aller raconter à ma mère l’évènement de cette nuit décisive. En lui rendant son argent, je lui dis de mon plein gré que j’avais risqué ce qui lui appartenait. Elle joignit les mains et remercia Dieu de sa grâce ; puis elle exprima la certitude qu’elle ne croyait sauvé et que je ne retomberais plus dans de pareils vices. Et, en vérité, dès ce jour, la tentation n’eut plus de prise sur moi. La société dans laquelle un vertige m’avait entraîné me parut soudain incompréhensible et sans attrait ; la fureur du jeu m’avait rendu insensible aux vanités habituelles des étudiants. Délivré de ces passions, je me trouvai tout à coup en face d’un monde nouveau, auquel j’allais appartenir désormais, grâce à l’ardeur dont je me sentis saisi tout à coup pour mes études musicales. J’entrais dans une phase nouvelle de mon existence, dans la phase des études sérieuses. »
La musique ne l’a jamais abandonné ; il compose une ouverture en ut, une sonate pour piano à quatre mains qu’il joue avec sa sœur (Rosalie sans doute !), qu’il va transformer en une grande ouverture en si bémol. Œuvre bien évidemment de jeunesse dont on doit souligner qu’elle fut jouée en public la veille de Noël 1830 ; à l’orchestre Henri Dorn, chef réputé, quoiqu’encore très jeune ! Dans la partition, une originalité, à la fin de chaque mesure de l’exposition du thème, un coup de timbale … originalité incongrue et qui fut ressentie comme telle par le public qui, le moins qu’on puisse dire ne manifesta guère d’enthousiasme pour cette œuvre !
Jusqu’en 1835, deux faits majeurs interviendront dans la formation de Richard Wagner :
D’abord, grâce à sa mère et à sa sœur, l’intervention de Théodore Weinlich qui, en 1831, va soumettre notre apprenti compositeur à la plus dure des écoles : la maîtrise de la fugue et du contrepoint ; en six mois Richard Wagner possèdera tellement bien l’art de l’écriture que Weinlich lui déclarera :
« Vous n’écrirez sans doute jamais ni fugues ni canons, mais vous vous êtes approprié l’indépendance. Vous pouvez maintenant marcher tout seul, car vous savez travailler selon les règles de l’art, si c’est nécessaire. »
Le deuxième fait majeur : l’importance de la musique de Beethoven dans l’esprit créateur de Richard Wagner.
Beethoven, rien d’étonnant à ce qu’il soit régulièrement joué en Allemagne après sa mort ; sa 9ème symphonie est même donnée chaque année à Leipzig ; pourtant, sous la direction de Polenz, ce chef d’œuvre de Beethoven devient incompréhensible au point qu’à l’issue d’une représentation à laquelle il a assisté, Wagner note :
« Mais depuis que j’avais entendu cette dernière partie (le 4ème mouvement) dans de telles conditions, alors inexplicables pour moi, un doute humiliant avait germé dans mon esprit : je ne savais plus si j’avais compris ou non cette œuvre extraordinaire. »
Il n’empêche que Wagner s’empare tellement de l’esprit beethovénien que trois de ses œuvres de cette période seront inspirées, selon Wagner lui-même, par lui.
- une première ouverture en ré,
- une seconde ouverture, pour le drame de Raupach, « Le Roi Enzio » ; bien accueillie lors de la première, elle fut intégrée à l’oeuvre lors de chaque représentation,
- une grande symphonie en ut, qui s’inspire directement de la 3ème Symphonie de Beethoven. Cette grande symphonie fut exécutée en 1833 à Leipzig, par la société « Euterpe » ; elle fut très bien accueillie et fut remarquée par l’écrivain Laube, avec qui il conservera des liens amicaux, même si Wagner refusa toujours les projets de livrets d’opéra que voulait lui donner Laube.
L’Europe n’en finit pas d’être secouée, c’est au tour de la Pologne de se rebeller contre le maître russe. 1831, constitution d’une diète et d’un gouvernement provisoire, mais les Russes interviennent tout de suite et c’est la sanglante défaite d’Ostrolenka en septembre ; Wagner en est d’autant plus affecté qu’à l’époque il s’est lié avec le comte Tyskiéwitsch, réfugié polonais à Leipzig :
« Le type idéal de l’homme viril que j’entourais de mon admiration et de mon amour. Cet homme remarquable répondait à ma sympathie. »
Wagner s’enflamme et prend fait et cause pour les Polonais au point qu' il écrira quelque temps plus tard une ouverture « Polonia » à la gloire de la Pologne.
Les rares enregistrements qui nous en sont donnés ne nous montrent pas une œuvre « géniale », on est encore très loin du compositeur du « Vaisseau fantôme », une dizaine d’années nous en sépare.
Wagner va pouvoir voyager, se familiariser avec Vienne, il échappera à l’épidémie de choléra qui frappe la capitale autrichienne ; à Prague en 1832, ses premières aventures amoureuses :
« Je devais aller voir, dans ses terres de Pravonin, à huit milles de Prague, la famille du comte Patcha, si agréablement mêlée à mes souvenirs de jeunesse. Accueilli de la façon la plus cordiale par le vieux seigneur et ses charmantes filles, je jouis là jusqu’à la fin de l’automne d’une hospitalité féconde en inspiration de toute espèce. Des relations constantes et familières avec d’aussi belles et amicales jeunes personnes ne pouvaient manquer d’impressionner l’imagination d’un jouvenceau de dix neuf ans… »
Les réalités économiques rattrapent encore une fois (et déjà !) Richard Wagner et il accepte le poste de Chef d’Orchestre de Magdebourg en 1834 ; pourtant, il a bien failli le refuser, car les premiers contacts avec le directeur et le régisseur furent particulièrement mauvais, et ne pouvaient laisser que présager une très mauvaise collaboration entre les trois hommes … mais voilà l’homme peut proposer, et la femme décide ! Car il se trouvait à Magdebourg une actrice remarquée et remarquable (sans nul doute) : Melle Minna Planer.
Sa première rencontre avec cette jeune actrice fut aussi courte que déterminante, puisque Wagner revint sur sa décision accepta immédiatement le poste et tous les ennuis à venir :
« Le sort en était jeté. La vie sérieuse commençait pour moi avec ses lourdes expériences. »
(à suivre)
PS : Toutes les citations sont extraites de « Ma Vie » Plon, 1911
PS 2 : Pour cet article comme autre documentation :
. Le Wagner de Marcel Schneider,
. Différents articles en particulier historiques tirés de l’Encyclopédie Universalis.
PS 3 : La photo de Beethoven (Vienne) est tirée de mes archives personnelles.
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Rédigé par : katom coupon | 02 mai 2013 à 18:22