Que peut bien penser l’infortuné Richard Wagner qui arrive en Angleterre après un périple qui ressemble plus au voyage de retour d’Ulysse qu’à une promenade en bateau mouche sur le Rhin ?
Sera-t-il un second Haendel qui a trouvé gloire et fortune à Londres après avoir quitté l’Allemagne ?
En tout cas, il compte bien sur la recommandation qu’il a en poche et qui devrait grâce au Lord Bulwer, lui ouvrir toutes grandes les portes de tout le Londres musical … ah le rêve des romantiques ! … mais hélas pour Richard Wagner, ce personnage si important, est absent de Londres ! Alors à défaut on lui fait visiter la Chambre des Pairs, le saint des saints de la politique anglaise. Il est certes impressionné, mais deux personnages le déçoivent, le duc de Wellington, dont la bonhomie et l’ordinaire n’ont rien à voir avec l’homme qui a vaincu Napoléon à Watterloo ! et l’évêque de Londres « Peut-être – écrit Richard Wagner- étais-je influencé par le préjugé que j’ai toujours eu contre le clergé. ».
Londres, ayant tout à coup perdu tout attrait, restait donc Paris.
Aucune mention de la traversée du pas de Calais, sauf cette indication : « en disant adieu à la mer, nous formions le vœu ardent de ne plus jamais y naviguer .»
Etape indispensable à Boulogne (été 1839) pour permettre à Richard d’achever une partie de son Rienzi, il aura ainsi une œuvre toute nouvelle à présenter à Paris qu’il entend bien conquérir.
Etonnante attraction qu’exerce Paris sur Wagner ! Il s’en expliquera plus tard dans « Un communication à mes amis » ; ce n’est certes pas la Paris, capitale d’un royaume de France qui l’intéresse ; non, c’est cette place primordiale qu’elle occupe dans le monde des idées et des arts ; qui veut faire triompher ses idées doit assurément se faire connaître et reconnaître à Paris (indépendamment de toute considération de petite gloriole personnelle … encore que, en ce qui concerne Wagner… il a une telle revanche à prendre sur toutes les sociétés ! La lecture de « Ma vie » est, de ce point de vue là, très significative !)
A Boulogne, il trouve un misérable logis pour quelques pièces, et il travaille d’arrache-pied à la composition du deuxième acte de Rienzi qu’il achève en quelques jours. De plus, la chance semble lui sourire ! Se trouve précisément à Boulogne, Meyerbeer. Ce n’est pas un Dieu pour Richard Wagner, mais il a une réelle admiration pour ce compositeur dont il a pu apprécier comme nombre de contemporains, « les Huguenots ».
Richard Wagner frappe donc à la porte de Meyerbeer qui le reçoit fort amicalement… et qui lui demande de lui lire le livret de Rienzi, qui l’intéresse tellement qu’il va demander à Wagner de lui laisser la partition des deux premiers actes écrits, …il les déchiffre et émet une opinion qui intrigue Wagner :
« Quelque chose pourtant me troublait un peu, c’est qu’il revenait sans cesse sur l’éloge de mon écriture, dans laquelle il reconnaissait toutes les qualités du « Saxon ».
Cette appréciation semble beaucoup plus importante qu’il n’y paraît à première vue ; car, de fait, Rienzi porte en germe ce qui fera l’une des caractéristiques fondamentales de toute l’œuvre de Wagner : son caractère germanique, et Wagner va de plus en plus apparaître comme le représentant de l’opéra allemand en opposition (ou au mieux en parallèle !) avec l’opéra italien que représentera l’autre grand du genre, Giuseppe Verdi … et alors apprécions à sa juste valeur l’humour du sort : alors que Verdi, après le triomphe éclatant de son Nabucco, commence une brillante carrière de compositeur, n’a-t-il pas envisagé dans les années 1844, d’écrire un opéra sur … Rienzi ! Il en a été dissuadé, au prétexte que le thème de Rienzi, quelque peu défaitiste, ne servirait pas la cause des « révolutionnaires » italiens ; dommage, il eut été très intéressant de voir comment le même sujet aurait pu être traité par deux personnalités aussi différentes.
Meyerbeer donc promet des lettres de recommandation pour le directeur du Grand Opéra, Duponchel, et le chef d’orchestre Habeneck.
Wagner verrait-il la fin du tunnel ? Son horizon s’ouvrirait-il enfin ?
Et comme Meyerbeer n’a pas trouvé mauvais son projet d’aller s’installer à Paris, il y court avec Mina.
Grâce à un beau-frère, il trouve une petite chambre dans un hôtel où un buste de Molière indique que c’est là sa maison natale ; Wagner y voit un présage de très bon augure.
Mais voilà, autant il a besoin de Paris autant Paris n’a pas besoin de lui !
Et nombreux sont ceux qui sont venus à Paris pour chercher eux-aussi gloire et épanouissement personnel et qui se retrouvent immensément seuls ! L’univers n’est-il pas peuplé de tous ces génies méconnus ?
Vont graviter autour de Richard Wagner et de Mina, tous ces inconnus, ceux dont la vie pourrait faire le meilleur des romans, comme cet Anders, pseudonyme pour un personnage noble et de très grande lignée que l’infortune et la méchanceté des humains ont réduit à la misère ; vivotant d’un chiche salaire à la Bibliothèque, alors même que les compétences auraient du lui donner accès aux plus hautes fonctions ! Ceux aussi qui ont eu la naïveté de croire que leurs connaissances pouvaient être d’une quelconque utilité, comme ce Lehrs, philologue émérite, dont les talents sont si bien exploités par un certain libraire …
Et heureusement des personnes aussi qui sans avoir laissé un nom impérissable dans l’histoire de l’art, ont néanmoins aidé de leur générosité le couple Wagner ; il s’agit entre autres du peintre Kietz (qui fit une lithographie de Richard) ; connu comme portraitiste et côté dans le monde de la bourgeoisie, il permit à Wagner de survivre en les recommandant à quelques personnes qui devinrent leurs hôtes.
Car la gêne était de plus en plus grande chez les Wagner, et Richard dut même se résoudre à faire appel au Lombard, autre nom du Mont de Piété (puisque situé dans cette rue sombre du même nom.
Ah oui, les lettres de recommandation de Meyerbeer !
« M. Duponchel me reçut dans son bureau ; il lut la lettre de Meyerbeer à travers un monocle qu’il se fourra dans un œil et ne manifesta aucune émotion. Il avait, sans doute, ouvert déjà bien des lettres de ce genre venant de Meyerbeer. Il me congédia et ne me donna plus jamais signe de vie. »
Quant à Habeneck, il le reçut de façon fort aimable et s’engagea à donner une oeuvre de Wagner qui lui proposa son ouverture « Christophe Colomb ». Il réussit à tenir parole, malheureusement l’oeuvre apparut avec tous ses défauts de jeunesse et n’eut absolument pas le succès escompté.
Meyerbeer, de passage à Paris rencontra à nouveau Wagner, et ne put que constater avec lui que le public parisien était ingrat, et que pour d’authentiques compositeurs comme Richard Wagner, l’avenir parisien était plus que difficile…
Wagner s’entête quand même ; il lui faut achever la partition de Rienzi ; c’est la seule voie possible, car il a enfin compris que ce n’était pas la personne Richard Wagner qui inquiétait, mais le compositeur qui allait dans une toute autre direction que celle demandée par le goût frivole des parisiens.
Car il le connaît ce goût frivole ! Il a écrit des romances, il a même mis en musique un poème des « Orientales » de Victor Hugo… et mieux encore, le sonnet « Mignonne allons voir sir la rose » d’un certain Ronsard !!!
On le recommande à Maurice Schlesinger, directeur de la Gazette Musicale ; il fait la traduction des « Deux grenadiers » de Heine, il en composera un musique pour baryton … mais il lui faudra déchanter : tous les chanteurs contactés, même s’ils trouvent, devant Wagner, que sa musique est belle, lui déclarent tout de suite après qu’ils ne peuvent l’interpréter, et ce pour tant de raisons toutes plus valables les unes que les autres … il écrira aussi quelques articles ; c’est ainsi qu’il fit un éloge quelque peu démesuré de la musique allemande, éloge tellement remarqué que cet article fut même traduit en Italie ! D’autres articles plus techniques comme « Du métier de virtuose et de l’indépendance du compositeur » se sont révélés trop techniques ou trop polémiques pour avoir le retentissement attendu ; enfin, certains autres articles, comme « Un musicien étranger à Paris » ont été une revanche purement intellectuelle de ce mépris ou tout au moins indifférence dont il aura été la victime.
Mais il y aura pire ; on lui demandera d’écrire une méthode pour le cornet à piston : il y réussit si bien que cette méthode se révéla particulièrement inappropriée ! A défaut on lui demanda d’écrire quatorze études pour cet instrument … et lorsqu’on les lui soumit, M. Schmiltz, principal piston de Paris, s’insurgea et les déclara injouables, parce qu’elles avaient été écrites dans une tonalité trop haute.
Il accepte en désespoir de cause, une transcription de l’opéra à la mode, « La Favorite » de Donizetti … ; il y a de l’avenir à l’époque dans toutes ces transcriptions ; le public veut pouvoir réentendre ce qu’il a découvert et aimé à l’Opéra, alors, il lui faut des arrangements pour des instruments, pour le piano, certes, mais pas seulement, pour quatuor à cordes, et même pour cor !
L’anecdote rapportée par Wagner est intéressante par le jugement de valeur qu’il porte tout de suite sur le grand compositeur italien, celui qui, avant Giuseppe Verdi, marquera la première moitié du 19ème siècle.
Très lapidaire, mais oh combien explicite, ce Wagner :
« Pour un certain temps le succès d’un nouvel opéra de Donizetti allait enfin me procurer indirectement quelques revenus, mais cet argent je dus le gagner péniblement. Le public parisien, dont le goût avait beaucoup baissé, venait d’accueillir avec grand enthousiasme, surtout à cause de deux cabalettes, une œuvre des plus faibles du Maestro. »
Tout est dit, et la rupture définitive entre l’opéra italien qui semble avoir les faveurs du public parisien et les conceptions de Wagner en matière d’opéra.
Richard Wagner se résignera à avaler toutes les couleuvres, car il lui faut achever Rienzi !
Paris, deux ans et demi, qu’il y séjournera.
Tout aurait été donc complètement négatif ?
Allons, ne soyons pas aussi pessimistes !
Un nom qui nous toujours fait plaisir, un de ceux qui nous rendra toujours aussi fous de plaisir, Hector Berlioz ! Sa « Symphonie fantastique », mais encore ce « Harold en Italie », Wagner les a-t-il entendues ? par contre il souligne les impressions que lui a laissées « Romeo et Juliette » donné l’hiver 1840 :
« C’était sans contredit un monde tout nouveau pour moi, dans lequel je tâchai de me retrouvai avec impartialité. Tout d’abord, j’avais été presque étourdi par la puissance d’une virtuosité d’orchestre dont je n’avais encore aucune idée. La hardiesse fantastique et la sévère précision avec lesquelles on abordait les combinaisons les plus osées, rendaient celles-ci comme palpables. Elles agissaient avec violence sur moi et refoulaient impétueusement en moi mon sentiment personnel de la musique et de la poésie. J’étais tout oreilles pour des choses dont je n’avais encore aucune notion et que je cherchais à m’expliquer… Je compris alors la grandeur et l’énergie de cette nature d’artiste incomparable, unique au monde. »
Texte étonnant, à mettre en parallèle avec le jugement de Berlioz, quelques années plus tard, sur la musique de Wagner qui remplit le vide harmonique par d’intempestifs trémolos de cordes … excessif ???
Le soir du 4 février 1841, c’est la déconvenue totale ; les six trompettes de son ouverture du Christophe Colomb, sonnent comme une marche funèbre de première classe :
« Mais ces malheureuses trompettes, aux couacs réguliers dans les plus tendres pianissimos, causèrent aux auditeurs, un mécontentement difficile à cacher… Je ne me dissimulai que j’avais subi un échec complet, et qu’après cette débâcle Paris n’existait plus pour moi. Il ne me restait plus qu’à me renfermer dans ma misérable chambre à coucher et à fabriquer des arrangements d’opéras à la Donizetti. »
Les évènements vont s’enchaîner et vont enfin faire émerger le couple Wagner.
Rienzi est achevé le 19 novembre 1840, la partition est partie en Allemagne, à Dresde … attente insupportable sur son devenir.
Enflammé par la légende du Vaisseau Fantôme, Wagner commence un livret ; mais le sujet est connu en France, d’où une série de passe-passe par lesquels Wagner abandonne le Hollandais Volant au librettiste français, Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo, ce qui lui vaut un dédommagement de 500 Francs (les bienvenus !) ; mais dans le même temps Wagner se réserve une version allemande, qu’il entreprend immédiatement.
Son livret sera à peine achevé qu’une formidable nouvelle lui arrivera : son Rienzi a été retenu à Dresde où il est prévu de le représenter 20 octobre 1842.
Il va se démener quelques semaines, le temps de réussir à gagner les sous nécessaires à son voyage de retour en Allemagne, et le 7 avril 1842 il ferme cette douloureuse parenthèse parisienne.
PS : Pour cet article : sources principales :
- toutes les citations sont tirées de « Ma vie » Plon, 1911
- Richard Wagner, « Une communication à mes amis »,
- E. Porée, « Wagner » Henri Laurens 1921,
- M. Schneider, « Wagner » 1960
PS3 : Les autres sources remontent à ce que j’ai appris sans que je puisse m’en remémorer l’origine …
PS 4 : La lithographie de Wagner jeune est due à Johann Caspar, et trouvée sur Internet.
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