Nous avons laissé Giuseppe Verdi après le demi-succès d’Alzira à Naples, et ulcéré des critiques parfois virulentes de quelques journalistes et écrivains.
Mais le maigre repos qu’il prend à Bussetto sera vite oublié. Faché avec Merelli, le directeur de La Scala, Verdi sera sollicité par Alessandro Lanari pour créer un autre opéra à La Fenice et ce pour la saison 1846 ! Ce n’est pas n’importe qui cet Alessandro Lanari, ce n’est pas pour rien qu’on l’a qualifié de Napoléon des imprésarios ! Né en 1787, il a pratiquement dirigé, de 1820 à 1852, date de sa mort, tous les grands opéras d’Italie de La Scala à la Fenice, en passant par San Carlo de Naples, La Pergola de Florence ou l’Argentina à Rome, sans oublier cette myriade de petits opéras de province qu’il a conseillés et toujours pour leur plus grand succès ; il aura aussi un choix très judicieux dans les compositeurs, et tous ceux qui comptent ou sont appelés un grand avenir, comme Verdi, dans la musique italienne et européenne travailleront pour lui : de Rossini, Weber à Meyerbeer, Halevy, en passant par Bellini, Donizzetti, tous lui fourniront des opéras qu’il montera dans tous les théâtres qu’il dirige.
Flatté, Verdi ne peut qu répondre favorablement aux sollicitations de Lanari, d’autant qu’il est aussi l’impresario d’une certaine Giuseppina Strepponi, et que cette dernière noue un peu plus qu’une simple amitié avec Giuseppe Verdi
… avec quelques moments d’intimité, où fuyant Paris, la Strepponi vint rejoindre Verdi durant l’été 1846 …
Or Verdi est travaillé par un sujet éminemment dramatique, Attila ! Attila c’est toute une histoire qui le hante depuis 1844, époque où il a découvert le drame de l’écrivain allemand Zaccharias Werner « Attila roi des Huns », il en devine toute l’intensité musicale qu’il peut en tirer ; Attila face aux romains, n’est ce-pas aussi de façon évidente les Puissances occupantes de l’Italie face aux Italiens, eux-mêmes ? Et puisqu’il doit donner ce drame à Venise, autant y ajouter une touche qui, sans pour autant avoir de ré&el fondement historique, ne pourra que séduire le public vénitien ; et de situer le prologue dans l’antique cité d’Aquileia (2) d’où partirent au VIIème siècle les premiers vénitiens à la conquête de l’île de Torcello, dans la lagune vénitienne, avant de s’avancer un peu plus avant vers la mer jusque sur ces minuscules îlots qui forment les fondements de l’actuelle Venise.
Verdi a de quoi enrager ; son librettiste Termistocle Solera met beaucoup de temps à achever le livret et de plus il ne correspond pas exactement à ce qu’attend Verdi ; et comble de malchance, Solera n’est plus joignable car criblé de dettes, il s’est réfugié à Madrid … Mais il faut encore souligner que le compositeur a ses exigences et a pris l’habitude d’être très dur avec ses librettistes ; Verdi fait donc appel à Francesco Piave, pour parfaire le livret ; dans sa fougue et dans les recommandations qu’il lui fait, il oublie, que, fin esprit parmi l’intelligentsia vénitienne, Piave n’avait nul besoin de se voir souligné ce qu’il avait déjà du saisir ! Pour la petite histoire Solera sera tellement offensé par l’attitude de Verdi qu’il cessera toute collaboration avec le compositeur.
En décembre 1845 Verdi entreprend un voyage à Venise, et c’est à nouveau la grande aventure de la création d’un opéra qui commence. Le temps passe toujours très vite dans ces moments d’exaltation qui préludent à la réalisation d’une oeuvre ; et c’est déjà la première, le 17 mars 1846, un triomphe qui renoue avec les succès de Nabucco ou des Lombardi. Il faut dire que Verdi Piave et aussi Solera (prévu à l’origine comme librettiste, mais qui a du être aidé et soutenu par Piave) ont mis la barre très haut avec ce duo Attila, Ezio – général romain – et dans lequel ce dernier ose cette phrase :
« Avrai tu l’universo, resti l’Italia a me » (Tu auras le monde, mais que me reste l’Italie.)
Ou encore cet air de Foresto, un chevalier d’Aquileia : « Cara patria, già madre e reina » (Chère Patrie, autrefois mère et reine)
Tous les patriotes se reconnaîtront dans ces airs, surtout en cette période où l’on commence à sentir quelques frémissements qui s’amplifieront au point que, deux ans plus tard à peine, toute l’Europe sera saisie d’une fièvre nationaliste irrésistible.
A la suite du succès d’Attila, qui ne se démentira dans aucune des nombreuses autres villes où il sera représenté, Lanari, toujours lui, commande à Verdi un opéra pour le théâtre de La Pergola à Florence, et comme Londres en a demandé un aussi, Verdi se retrouve avec deux opéras à écrire de front : ce sera Macbeth, pour Londres, et I Manasdieri pour Florence…
Mais voilà, il se trouve que, malgré toutes les ressources exceptionnelles de Lanari, le théâtre de La pergola ne peut fournir à Verdi les voix propres à interpréter I Manasdieri, Verdi va intervertir les deux opéras, et c’est ainsi que le Macbeth prévu initialement pour Londres sera représenté à Florence.
Etonnant théâtre que ce théâtre de La Pergola, l’un des plus anciens de toute l’Italie, et en tout cas le premier théâtre à l’italienne c’est-à-dire en arc de cercle avec parterre et baignoires. C’est un grand mécène de la famille des Médicis, le cardinal Giovanni Carlo dei Medici qui le fit construire et il fut achevé en 1661.
Et fait unique dans toute l’histoire des opéras ; hormis pour cause de destruction totale ou presque (comme lors du dernier incendie de la Fenice, dans les années 1995), La Pergola a suspendu toutes ses activités pendant 27 ans et ce à la suite de la mort du cardinal mécène et fondateur survenue en 1666.
Donc Macbeth sera pour Florence, et Verdi n’a pas de temps à perdre.
Il confie le soin à Piave de tirer du Macbeth de Shakespeare un livret,
« Oh ! Je te recommande de ne pas me négliger ce Macbet, je t’en supplie à genoux, et soigne-le au moins pour moi et pour ma santé qui se détériorera tout de suite si tu me donnes des inquiétudes … De la brièveté et du sublime … »
A-t- réellement réussi, Piave, à donner totale satisfaction à Verdi ? Connaissant le compositeur, on peut en douter, car, ne confia-t-il pas à Andrea Maffei (l’autre librettiste qui devait tragailler sur I Manasdieri) le soin d’opérer quelques retouches au travail de Piave ?
Mais on découvre en même temps un compositeur de plus en plus sûr de lui et de sa musique. Certain même d’être parmi les premiers de son temps … étrange monde que celui des compositeurs ! Ne retrouve-t-on pas les mêmes certitudes chez un Richard Wagner ? et ces mots de Verdi ne pourraient-il pas être signés du compositeur qui à l’époque s’attèle avec fougue à son Lohengrin ?
« La musique du Macbeth est immensément belle. Il n’y a pas un morceau insuffisant… je crois que personne ne peut faire une musique plus belle que celle de Macbeth. Si les effets de mise en scène sont réussis, on ne trouvera dans aucun opéra contemporain un spectacle aussi grandiose et aussi solennel. »
D’autant que le sujet traité était totalement nouveau pour Verdi ; il l’avait choisi bien sûr pour Londres, ce qui expliquait largement qu’il se situe en Ecosse et au 11ème siècle ; mais l’ayant transféré à Florence, il était impératif pour Verdi de rendre les spectateurs florentins aussi réceptifs que l’auraient été les Londoniens : cela n’était pas gagné d’avance, et pour y arriver il fallait qu’il se surpasse dans son travail de composition.
La gradation dramatique des airs jusqu’à celui terrible du somnambulisme de Lady Macbeth, la suggestion des sorcières, si étrangères à l’esprit latin alors que si proches de l’atmosphère anglaise, le choeur final de la Victoire, toute la musique est conçue et surtout écrite pour tenir en haleine le spectateur, pour l’entraîner dans un monde dont se nourrissent à loisir histoire médiévale et conception romantique.
Le travail de mise en place et de réalisation sera impressionnant ; même si le chiffre avancé par la soprano Barbieri-Nini de « plus de cent répétitions » peut sembler exagéré, il n’en demeure pas moins que rien ‘a été négligé à Florence pour que la première ait toutes les chances d’une totale réussite et donc d’un immense succès.
Si l’œuvre reçut donc pour la première du 14 mars 1847 (presque un an seulement jour pour jour après la première d’Attila à Venise) un accueil chaleureux (était-ce dû au fait que Verdi dirigeait lui-même son œuvre ?) il n’empêche que Macbeth déconcerta nombre d’intellectuels qui s’interrogèrent sur le sens même de l’opéra, et de sa relation au public.
Quoi qu’il en soit, l’année 1847 est loin d’être achevée, et Londres attend l’opéra du « maestro », I Manasdieri.
Andrea Maffei va en tirer un livret du roman « Die Raüber » de Friedrich Schiller et lui restera fidèle :
« Carlo, à cause d'un intrigue provoquée par la jalousie de son frère Francesco, quitte sa famille et part tenter sa chance dans une vie de brigandage, mais cette vie au milieu des parias le déçoit. Il ne peut cependant se réconcilier avec son père puisque son frère fait tout pour l'empêcher par des nouvelles mensongères. Il fait ainsi croire à Massimiliano, le père, et à Amalia, amoureuse de Carlo, que ce dernier est mort et veut qu'Amalia épouse Francesco. Cette dernière, ne le voulant pas, se réfugie dans la forêt de Bohème. Francesco enferme son père et prend sa place, Carlo s'en rend compte mais il est trop tard pour agir: son père est mourant, lui-même est brigand par serment et pour éviter à Amalia la honte, il la tue et se suicide à son tour. »(3)
C’est vrai qu’on s’impatiente à Londres, la soprano qui doit avoir le rôle titre, Lind, comme le directeur, un certain Michael Costa ont hâte de découvrir cet opéra : c’est en effet la première fois que le théâtre royal (qu’on appelle aussi maintenant le Covent Garden) a commandé à un compositeur italien un opéra … alors ?
C’est seulement fin mai que Maffei a achevé le livret, et que Verdi peut donc envisager la totalité de la musique … si vous avez à l’esprit que I Manasdieri ont été créé le 22 juillet 1847, vous voyez le peu de temps qui est resté entre la composition, et toutes les répétitions qui n’ont commencé qu’à partir du … 11 juillet ! Et dire que certains musiciens se plaignent de nos jours du peu de répétitions qu’ils ont pour assurer les concerts !!!
Est-ce pour cette raison que le public a accueilli fraichement l’opéra ?
Et dire que la Reine Victoria a assisté en personne à cette première !
Juillet 1847 … 1848 est tout proche, qui marquera l’histoire européenne. Les frémissements se font de plus en plus sentir.
Mais pour le moment retour de Verdi vers l’Italie et Busseto ; une étape, à Paris, une occasion de penser à soi. La Strepponi n’est jamais loin.
(1) Photo de la lagune vénitienne, tirée de mes archives personnelles
(2) L’opéra sera représenté à Aquileia le 17 juillet 2010
(3) Tiré de wikipédia
A toutes les références citées lors des précédents épisodes du bicentenaire de Verdi, il convient d’ajouter les suivantes :
http://www.fondazionelanari.it/lanari.htm
www.fondazioneteatrodellapergola.it
http://fomalhaut.over-blog.org
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