Guénane : Dans la gorge du diable
Elle est Bretonne et mariée à un Argentin, dont elle a deux grands garçons. Elle rencontre par hasard un ancien ami d’enfance, Edward, qui a été mariée à Elma, d’origine serbo-croate, dont il a eu une petite fille Irina, quelque peu maltraitée par Dame nature. Mais voila Elma meurt dans d’étranges circonstances. Alors Edward demande à notre héroïne, de venir avec lui au Paraguay (où il exerce le noble métier de banquier) pour s’occuper d’Irina.
Etrange aventure où, en passant par le Salvador, le Nicaragua, l’on va découvrir le Paraguay et ce qu’en a fait l’innommable dictateur Stroesser.
Roman à l’articulation claire, qui commence par le « fait divers », comme dans ce qui pourrait présager un excellent thriller : scène pleine d’angoisse … mais qui débouche ensuite sur ce qui pourrait être seulement un roman d’aventure et d’amour.
Mais dont on se rend compte très rapidement qu’il y bien autre chose derrière ces deux termes tellement galvaudés.
Autre chose, parce que d’abord notre héroïne est avant tout une femme libre, ou, à tout le moins, complètement libérée ; mariée et mère de famille, certes, mais comme elle n’est plus indispensables (du moins le croit-elle), elle est prête à se lancer dans une aventure où elle peut être utile. Et si vous vous attendiez à de la gaudriole ou à des parties de jambes en l’air, arrêtez tout de suite votre lecture, car le propos est bien ailleurs, et tant mieux ! Il s’agit bien de transformer en actes tout ce qu’il peut y avoir de générosité chez l’être humain. La « prise en charge » par l’héroïne d’Irina devient alors possibilité infinie d’action et de relance de celle-ci par une seconde lorsque la première risque de s’essouffler. Et en cela notre auteur se révèle une véritable romancière, car de rebondissement en rebondissement, d’actions imprévues en actions imprévues (en fin de la part du lecteur – la meilleure preuve nous étant donné par l’attentat dont a été victime l’ex dictateur du Nicaragua, réfugié au Paraguay-), on arrive à la fin de ce court roman sans s’en rendre compte.
Et il se lit avec une facilité déconcertante, ce court roman ; même si on a quelque peu entendu parler de toutes ces guerres intestines qui secouent régulièrement l’Amérique latine, ici on pénètre réellement dedans par la petite porte peut-être, par rapport à tous ces beaux discours de spécialistes politologues mondiaux, mais en tout cas bien plus efficaces ; de très simples anecdotes mais oh combien suggestives : prenez, entre mille exemples, la façon dont notre héroïne découvre la guerre civile au Salvador d’un aéroport : qu’ait décollé un avion et que le bruit de ses moteurs s’estompent, et l’on entend alors de si significatives détonations et salves d’armes à feu. Ces quelques lignes valent bien mieux que toute analyse ou reportage !
Frappante aussi cette manière dont réussit à nous croquer le genre humain ; il n’est pas question pour elle de faire la moindre concession sur certaines valeurs, un dictateur restera toujours un dictateur et sera toujours aussi condamnable, à tous points de vue, en tant que tel. Il fait du bien ce jugement implacable qu’elle porte sur des pays comme le Paraguay, qui acceptent en leur sein ces tyrans déchus, qui non contents d’avoir opprimé leurs peuples, s’exilent en emportant toutes les richesses dont ils se sont emparés.
Par contre le jugement qu’elle porte sur l’homme, est empreint d’humanité et de clémence qui étonnent : elle découvre un escroc redoutable qui a mis sur la paille en Bretagne de nombreuses familles, elle croit qu’elle va le « haïr », et elle découvre tout à coup que lui-aussi est capable de sentiments totalement humains ; alors elle bascule dans l’excuse, la clémence … très étrange … comme cette autre découverte d’Edward…
Il y a chez cette héroïne une sensibilité émouvante… d’autant qu’elle apparaît derrière toute son attitude vers Irina, et que par delà le cas spécifique de cette jeune fille, on pourrait plaquer tant et tant d’autres visages…
Il faut lire ce roman, car en plus de toutes ces qualités, il y a une verve, une ironie, un style mordant, dont on se délecte à chaque page ; et les quelques passages où il disparaît, nous font que mieux l’apprécier dès qu’il reparaît.
Quand j’ai fini ce roman, j’ai voulu en savoir un peu plus sur cette Guénane : je suis, en effet, toujours intrigué quand il manque un prénom, il me semble que l’auteur se réfugie derrière un masque, comme pour fuir cette reconnaissance qu’il (en l’occurrence ici, elle) a tellement bien méritée… ou comme s’il devait s’excuser d’avoir tant de talent, mais comment ne pas le pardonner à cette poétesse qui, en quelques mots, sait si bien manier la suggestion :
Venise
Souvenez-vous d’Ys
Avant que les bouches d’égout n’engloutissent
Vos souvenirs sérénissimes.
Et allez faire un tour sur son site : guenane.voila.net
PS Edition Apogée, 2013, 155p., 17€
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