Arrive le temps du Tannhauser (2) et avec cet opéra le début du grand Wagner. C’est à Paris dans les années 1840 que le poète Heinrich Heine (3) avait raconté à Wagner l’histoire du chevalier Tannhaüser, qui était partagé entre la plus grande sensualité et luxure de Venus et Sainte Elisabeth de Thuringe. L’histoire avait tellement séduit Wagner, qu’il en avait achevé un scénario et un livret d’opéra dès 1843.
Il avait quitté Dresde, pour des vacances d’été, abattu du demi-échec du « Vaisseau fantôme » ; il en espérait tant ! Mais il faut bien l’avouer, la facture de Rienzi et du très grand succès que, très légitimement, par rapport au goût de l’époque, il avait obtenu, était un obstacle primordial à ce que le Vaisseau Fantôme, qui était totalement différent, puisse obtenir le même succès ; Wagner a beau se le répéter, se convaincre qu’il a eu raison dans son évolution, que c’est elle qu’il doit poursuivre, il n’empêche que sa petite gloriole en a pris un sacré coup …
Outre le fait qu’un échec est encore une fois synonyme pour lui de gêne financière et de soucis d’argent !
Alors oui, les vacances d’été 1844 sont les bienvenues, et son médecin a beau lui interdire toute activité intellectuelle, il ne peut s’empêcher de penser et de s’attarder sur Lohengrin, dont il commence à entrevoir les contours. Mais il découvre à nouveau la légende des Maîtres chanteurs (déjà, alors que ce sera le dernier opéra de Wagner quelque 30 ans plus tard !) ; et tout à coup cette intuition, et si il intégrait dans son livret cette légende en faisant appel à cette scène, qui deviendra majeure, du tournoi poétique, à la fin du second acte !
Il revient presque transformé à Dresde, en tout cas complètement requinqué, et s’attèle avec une énergie renouvelée au Tannhaüser ; il en termine la composition avant le premier de l’an 1845, et l’orchestration achevée au 13 avril de la même année ; peuvent alors commencer les répétitions, avec une intensité qu’on devine d’autant plus grande que le directeur de l’opéra de Dresde ne tarit pas d’éloges sur la partition que Wagner lui a présentée..
Mais les difficultés surgissent avec les chanteurs ; pourtant il connaît bien les deux acteurs principaux, la Schroëder-Devrient son rôle de Vénus, très dense et très compliqué, même si assez bref, et Tichatschek dans celui de Tannhaüser ; la première manifestera des inquiétudes non seulement quant à son rôle (elle va même jusqu’à craindre de ne pouvoir revêtir les habits physiques de Vénus !), mais aussi quant au rôle principal la jeune Elisabeth tenu par la très jeune nièce de Wagner, Johanna ; mais après la première, Wagner portera sur elle un jugement pour le moins flatteur :
« Le personnage d’Elisabeth fut le seul vraiment sympathique. La jeunesse de ma nièce, sa taille élancée et gracieuse, sa physionomie bien allemande ainsi que sa voix alors remarquablement belle et d’une expression souvent enfantine et touchante, de plus son talent d’actrice, sinon de tragédienne, lui gagnèrent le cœur du public. Ce rôle la rendit bientôt célèbre … »
Mais Wagner nourrit aussi quelques inquiétudes quant au rôle titre tenu par Tichatschek ; ce qui s’avéra lors de la première : très bon au premier acte (il en assura le succès !) dans le second, il s’essouffle, et malheureusement dans la grande scène du 3ème, il s’écroule au lieu de dominer … à tel point que Wagner dut, en toute urgence, changer l’acte et supprimer cet air !!! et lors des représentations suivantes, Tichatschek ne reprit
« sa vigueur de chanteur qu’en faisant connaître l’excommunication papale lancée contre lui et sa voix devint alors si large et si puissante que ce fut une véritable jouissance de l’entendre dominer l’accompagnement des trombones. »
Pourtant parmi les acteurs, Wagner trouve un grand motif de satisfaction :
«Je réussis à éveiller à la vie un nouvel élément jusqu’alors à peu près inconnu à l’opéra. Dans divers de ses rôles, j’avais observé le jeune baryton Mitterwurzer (4), homme singulièrement renfermé et de peu d’entregent, et j’avais deviné dans sa voix agréable et prenante la magnifique faculté de toucher profondément les âmes. Lui ayant confié le personnage de Wolfram, j’avais sujet d’être satisfait de son zèle et du succès de ses études. »
Pour comble de malchance, arrivera le soir de la première représentation, mais il manquera toujours le fameux décor commandé à Paris pour le second acte (celui du tournoi poétique !) ; il sera, en désespoir de cause, remplacé par celui d’Obéron … ce qui n’était absolument pas la même chose …
« La réapparition de ce décor qu’on avait vu si souvent dans Obéron ne contribua pas médiocrement à désappointer le public qui attendait de cet opéra les surprises les plus extraordinaires. »
Ce qui expliqua aussi l’incompréhension du public à la première qui eut lieu le 19 octobre 1845 à Dresde. C’est un Wagner amer qui se confie :
« Lorsque le rideau tomba, j’avais conscience de mon échec, moins par l’attitude toujours bienveillante et cordiale du public, que par ma conviction d’avoir présenté une œuvre où le manque d’expérience se faisait trop sentir. J’avais comme du plomb dans les membres et les quelques amis qui vinrent me rejoindre partageaient mon accablement. Ma bonne sœur Clara et son mari étaient parmi eux. Cette nuit-même, je pris les décisions nécessaires pour remédier en quelque sorte aux défauts de la représentation. »
Les critiques s’en donneront à cœur joie ! Ils avanceront tout et son contraire pour démolir l’opéra et son compositeur ; son archaïsme médiéval mais en même temps la défense du catholicisme … oubliant ainsi le véritable sujet, la seule thèse défendue par Wagner : la confrontation entre la passion, la sensualité la plus débridée et au contraire l’idée de renoncement au plaisir, la raison.
Mais heureusement, il y avait le bon August Roeckel (5) qui avec un autre de ses amis, Heine vont systématiquement, pendant les jours qui suivent répondre à toutes les attaques et calomnies que « La Gazette de Dresde » va colporter sur Wagner.
Il faudra attendre la seconde représentation et surtout la troisième qui fera salle comble, pour que le Tannhaüser soit enfin reconnu à sa juste valeur ; le fait que les décors tant attendus de Paris soient enfin arrivés, que Wagner ait profondément remanié le rôle de Tichatschek, n’a pas été pour peu dans ce succès.
De nombreuses autres représentations suivirent, toutes favorables, et chacune faisant une ovation au compositeur, qui en fut quelque peu gêné, puisque c’était au détriment des chanteurs qui, à l’instar de Tichatschek, se rendaient de mieux en mieux maîtres de leurs rôles.
L’importance de Tannhaüser n’échappera pas, ni aux intellectuels ni a fortiori aux musiciens et mélomanes.
Déjà sous-jacente dans le Vaisseau Fantôme, apparaît de façon toute nouvelle le ressort dramatique par excellence : l’opposition entre le bien et le mal ; ici ce sera les bas appétits sexuels opposés à l’amour éthéré (nous retrouverons encore bien mieux développé dans Parsifal et l’opposition entre Parsifal et Kundry – dont on peut aussi souligner la similitude d’action, au deuxième acte entre les deux protagonistes, et le premier acte, le Vénusberg, du Tannhaüser-).
Musicalement, et en particulier la scène du tournoi poétique, révèle cette toute nouvelle conception que peut avoir un compositeur, du chant : on abandonne le bel canto italien pour une diction, une expression beaucoup plus proche dans l’esprit du récitatif. Sans oublier l’orchestration wagnérienne qui annonce une étonnante originalité.
Alors, hormis quelques rares « élus » comme un Liszt, Beaudelaire, Robert Schumann (6) ou beaucoup plus méconnus comme le docteur Hermann Franck qui ont tout de suite compris l’apport à l’histoire de l’opéra de Tannhaüser, on comprend que le public plus averti de l’opéra italien (n’oublions pas le succès d’un Donizetti, par exemple) ait pu être décontenancé voire désemparé par l’œuvre de Wagner. Néanmoins, et pour Wagner, c’était très important, le public était pris d’un doute sur ses propres certitudes et était obligé de considérer qu’il pouvait y avoir une autre sorte d’opéra.
Pour en terminer avec le Tannhaüser, et pour flatter un peu notre chauvinisme, notons que cet opéra fut donné à Paris en 1861. Wagner avait bien fait les choses et au début 1860, il a donné au Théâtre Italien quelques concerts avec des extraits du Vaisseau Fantôme, du Tannhaüser et de Lohengrin ; le public parisien fut complètement conquis. Qui fut le plus enthousiaste de Napoléon III ou de l’impératrice Eugénie ? Toujours est-il que l’empereur ordonna que Tannhaüser soit donné à l’Opéra de Paris dès 1861 ; la direction de l’opéra voulut qu’on changeât de place le ballet, et de le transférer du 1er au 2d acte, au prétexte quelque peu futile que, les membres du Jockey Club ne pouvant assister au premier acte (à cause du dîner somptueux qu’ils s’offraient) voulaient quand même voir les danseuses qu’ils entretenaient et que cela ne pouvait se faire qu’à partir du 2d acte. On imagine la colère de Wagner et les répliques cinglantes qu’il dut lui faire : il refusa tout net ! Alors ces messieurs du Jockey Club se vengèrent et organisèrent un tel chahut pendant les trois premières représentations qu’il n’y en eut pas de quatrième.
Certes, le manque à gagner était grand pour Wagner, mais par contre, ce scandale parisien ne fit qu’accroître sa réputation.
L’hiver 1846 sera l’occasion pour Richard Wagner de sortir enfin de son isolement : grâce au succès de son Tannhaüser, de nombreuses portes se sont ouvertes, et il fait maintenant partie de l’intelligentsia de Dresde ; dans le cercle d’Hermann Franck, il lui est donné de rencontrer de nombreuses personnalités, y compris des personnages quelque peu ambigus comme un certain Moses Auerbach (7), dont les travers et son comportement feront tenir à Wagner quelques appréciations qu’on a très (trop ?) vite fait d’assimiler à de l’antisémitisme.
Ici, il convient de faire un premier rapprochement entre l’autre grand compositeur dont on fête le bicentenaire cette année, Giuseppe Verdi. Autant ce dernier, à peine achevé un opéra, finissait un autre qu’il avait déjà en chantier, avec le résultat qu’on sait, autant Richard Wagner, s’il a plusieurs idées d’opéra en tête, et même s’il en esquisse quelques-uns, ne peut écrire qu’une fois achevé complètement le précédent opéra.
Cela va donc être le tour de Lohengrin ; et il en compose le livret durant l’année 1846.
(1) « Tannhauser » du dessinateur allemand F. Tischbein, cliché Klaus Günzel
(2) Résumé du Tannhaüser
Tannhaüser, chanteur, est envoûté par Vénus ; il ne peut se dégager de son ensorcellement qu’en invoquant cette Elisabeth qu’il a aimée, et qui est restée chez les mortels. Il se retrouve chez lui, et a lieu ce tournoi poétique où différents chanteurs s’affrontent : le meilleur pourra alors prétendre à la main d’Elisabeth. Dans le courant de ce tournoi, Tannhaüser est amené à faire l’éloge de la luxure et de Vénus ; il n’y aurait l’intervention d’Elisabeth, Tannhaüser aurait été tué par les assistants horrifiés devant un tel éloge.
Il est donc proscrit, et doit aller chercher la clémence du pape.
Hélas, le pape refuse son pardon et l’excommunie, tant que le bâton de pèlerin qui lui a été remis ne fleurira pas.
Désespéré, il retourne chez lui, et n’a plus qu’une seule issue, retrouver définitivement au Venusberg … mais l’évocation d’Elisabeth le sauvera encore une fois : au moment où un cortège funèbre portera en terre le corps d’Elisabeth, on apprendra que le bâton a refleuri annonçant ainsi la rédemption de Tannhauser.
(3) Heinrich Heine (1797-1856) poète
(4) Anton Mitterwurzer (1818-1876) qui fera partie de la distribution lors de la première de Tristan et Isolde, en 1865 à Munich.
(5) August Roeckel (1814-1876) chef d’orchestre
(6) Robert Schumann (1810-1856)
Très intéressante cette anecdote que raconte Wagner dans « Ma vie » :
« L’œuvre de ce musicien profond et énergique m’intéressait du reste infiniment. Une bienveillance réciproque, une confiance amicale régnèrent bientôt entre nous. Le lendemain d’une représentation de Tannhaüser, à laquelle il avait assisté, il vint me faire une visite matinale et se déclara absolument partisan de cet opéra ; il ne trouva à y reprendre qu’une trop grande précipitation dans la strette du second final ce qui me prouva la finesse de son sens musical, car je pus lui montrer, partition en main, que ce défaut provenait d’une coupure pénible qu’il m’avait fallu faire. »
(7) Moses Auerbach (1812-1882) philosophe et écrivain allemand ; spécialiste de Spinoza, mais aussi un ardent défenseur de la judaïté.
PS : sur l’origine des sources qui m’ont aidé à écrire cette chronique, voir les articles précédents.
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