Un jeune Tchadien va connaître une liaison passionnée avec sa directrice de mémoire, professeure à la Sorbonne ; mais il va y mettre un terme.
Schéma bateau, tellement utilisé dans la littérature romanesque, qu'il en est impossible d'en faire le décompte. On pourrait donc, a priori, nourrir de grandes suspicions en présence de ce thème à nouveau exploité. Pourtant … il y a d'abord le titre (vous mettrez longtemps à le comprendre!), et vous vous laissez entraîner, presque sans réfléchir dans ce roman, qui va vous apporter tant d'agréables surprises.
A commencer par les personnages ; leur description impressionne par la vérité qui s'en dégage !
Et d'abord femme fatale, Jeanne-Sophie, ; factice, avec ses grands discours sur la femme, et en particulier sur Madame de Rénal, dans le « Rouge et le Noir » qui sont d'un péremptoire et d'une affection, frisant la caricature du monde universitaire … même si j'aurais apprécié, avoir ce commentaire lorsque j'ai étudié le roman de Stendh en première.
« Les bourgeois qui hantent Le Rouge et le Noir ne soupçonnent pas l'abîme sur lequel ils se tiennent. »
Grande mondaine, elle sait aussi recevoir, même si elle ne se doute même pas qu'elle est sur la pente de sa propre décadence, l'époque n'est plus à ces réceptions et autres salons qui ont perduré dans leur grande splendeur jusque dans les années 30.
Sans oublier la femme amoureuse et passionnée qu'elle sait être ! Elle se révèlera une belle garce (comment l'auteur se serait-il sorti autrement de son intrigue?) ; la lecture des lettres qu'elle envoie à) son (ex?) amant sont, à cet égard, significatives … et puisque notre auteur cite Victor Hugo, comment ne pas songer en voyant le comportement de Jeanne-Sophie, à cet alexandrin :
« Dieu s' est fait homme, soit, le diable s'est fait femme »
En opposition notre héros.
Il est noir, Tchadien, et il a tout (ou presque) pour plaire, non seulement il est intelligent, mais il a une connaissance de la culture occidentale qui en remontrerait à nombre d'étudiants européens. Et autre parenthèse, je reste stupéfait de constater comment des individus d'une toute autre culture que la nôtre sont capables de l'assimiler ; j'ai déjà rencontré cette étrange sensation en voyant comment des japonais pouvaient tellement bien être imprégnés de notre culture qu'ils étaient capables de la retransmettre mille fois mieux que nombre d'européens … écoutez, pour vous en persuader, nombre de pianistes ou clavecinistes chinois ou japonais …
Et notre héros n'échappe pas à cette règle ; n'allez surtout pas croire qu'il s'agit là d'une posture d'intellectuel qui veut épater son lecteur, les mots qu'il utilise pour parler de Schubert ou de J.S. Bach sont de toute autre nature.
Car, de plus il sait les manier, les mots !
Dans un tout autre domaine, voyez comment dans les premières pages il manie l'érotisme ; comment il évite l'écueil d'une pornographie facile et avec quelle grâce enthousiasmante il sait évoquer (et plus!!!) la sensualité amoureuse. J'en suis resté estomaqué !
C'est véritablement un super héros, et comme tel, ses actes doivent nécessairement être conformes à l'image de ce qu'il nous offre de lui. Pour des raisons évidentes cette passion dans sa fulgurance ne pouvait être que temporaire, alors il fallait que ce soit lui qui prenne l'initiative de la rupture et qu'elle ait pour cause que de très nobles motifs.
D'autres personnages, pour secondaires qu'ils soient, sont aussi de petits bijoux ; je pense à ce Bakary, autre travailleur africain, haut en couleur ; malgré sa position d'éboueur, sa capacité de jugement sur les bourgeoises françaises, sur la société dont elles sont issues, est stupéfiante ! On souhaiterait, par moments, que nos responsables politiques et/ou syndicaux, soient capables d'une telle faculté !
Personnages qui mettent donc vraiment très haut un schéma romanesque éculé, et une construction qui interroge ; à de courts chapitres, nécessairement brefs par les évènements rapportés, vont succéder trois autres parties ; la seconde est en totale rupture avec l'esprit de la précédente ; ce sont les lettres que Jeanne-Sophie écrit alors que son amant ne lui donne plus de signes de vie. Lettres de femme blessée ? Oui, mais pas dans sa passion, mais seulement dans son amour-propre, et c'est là où elle dévoile sa réelle nature. On comprend alors pourquoi il y avait une nécessité absolue pour l'écrivain de changer de « tonalité » architecturale.
La même nécessité fondant aussi les deux dernières parties.
Je ne connaissais pas cet écrivain, et j'avoue qu'il m'a fortement impressionné ; certes ses connaissances, sa maîtrise de la langue française, tout fait de lui un de ceux avec qui la littérature française peut compter. Et ce qui est passionnant aussi c'est de constater qu'il ne fait pas de cette appropriation une raison de renoncer à ses origines, bien au contraire, il reste plus que jamais (et c'est ce qu'il affirme dans les dernières pages de ce roman) africain et attaché à cette culture dont il est issu. N'y-a-t-il pas là une piste à explorer pour toux ceux (et j'en fais partie) qui pensent que la meilleure façon de cohabiter c'est bien de cultiver et de privilégier la mixité culturelle des différentes communautés qui peuvent composer une société.
Edition Actes Sud, 2013, 173p., 18€
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