L'Etna ! Quel volcan !
Il a de tout temps frappé l'imagination de l'homme. On devine parfaitement les réactions de nos ancêtres les plus lointains, lorsqu'on voit déjà les mythes et légendes qu'il a pu engendrer dès l'antiquité !
Empédocle, par exemple, qui, au 5ème siècle, a voulu prouver qu'il était de nature divine ; il était pourtant, dit-on, philosophe ! Il se jette alors dans un des cratères de l'Etna ; que croyez-vous qu'il arrivât ? Le volcan est capricieux, humoriste, en tout cas imprévisible : une chaussure, c'est tout ce que l'Etna consentit à rendre d'Empédocle !
Il aurait quand même du penser, notre philosophe qu'il est dangereux de se prendre pour un dieu, et que parmi les dieux tatillons, il en est un qu'il ne faut mieux pas provoquer, un certain Héphaïstos ! Son origine devrait nous satisfaire, nous autres humains contemporains qui voulons tout prix revendiquer l'égalité totale des hommes et des femmes : imaginez un peu ! Héra (femme de Zeus), jalouse que son divin époux ait pu concevoir et enfanter une déesse, lui rend la monnaie de sa pièce, et hop d'un coup enfante sans que Zeus n'en ait la moindre responsabilité, un dieu, et pas n'importe lequel, celui qui allait régner sur tous les volcans.
Il n'est pas beau cet Héphaïstos ; non, mais il est Dieu, et il tombe amoureux d'Aphrodite (les Romains l'appelleront Vénus), la déesse de la beauté, de l'amour, de la séduction, bref, tout ce qui rend les hommes fous des femmes ; et, quelle est belle notre antiquité grecque, les Dieux ne sauraient être différents des hommes ! Et Héphaïstos enchaîné à Aphrodite, se voit magnifiquement cocufié par Arès le dieux des Enfers, après tout, le Styx jalousement gardé par le chien aux trois ou quatre têtes n'est-il pas aussi délectable que le monde des volcans, en tout cas il est bien moins brûlant !
Vous pensez bien que dans un pareil contexte, Héphaïstos ne pouvait supporter qu'un simple mortel osât se comparer à lui !
Pour en finir avec la mythologie des volcans, car l'Etna n'en est-il pas le prince ?, est-il tellement farfelu de rapprocher l'extraordinaire forge que ces volcans servaient aux dieux pour forger les armes et autres épées, de cette autre antre que nous offre la mythologie nordique, et que nous rappelle Wagner dans sa tétralogie où une forge divine crée l'épée de Siegfried.
Oui, L'Etna fascine ; ce n'est pas le Vésuve qui fait si pâle figure en comparaison ! Bien sûr, il fait peur ce Vésuve qui est capable d'anéantir en quelques heures une ville aussi importante que Pompéi (et l'on comprend l'effroi des autorités napolitaines, qui, en cas d'une éruption soudaine dudit Vésuve, seraient incapables de mettre à l'abri les quelques trois millions d'habitants que compte l'agglomération napolitaine!) Il est impitoyable, totalement inhumain ; dans la mythologie contemporaine, ce serait un alien dont la seule jouissance serait de détruire et de tuer lorsque tel serait son bon plaisir.
Pardonnez ce très mauvais jeu de mots, le Vésuve manque de panache par rapport à son grand frère l'Etna ; car il sait, ce dernier, se montrer tellement humain ! Ah oui, il gronde, il secoue la terre, il réussit même à l'ouvrir et à créer constamment de nouveaux cratères (de mémoire, il y en aurait plus de 500, depuis son apparition sur cette terre sicilienne, il y a quelques 500.000 ans ; et comme les Catanais sont pleins d'humour, les derniers cratères que le Volcan a créés sont tellement suggestifs par leur forme erotico-conique, qu'ils les ont appelés Gina Lollobrigida ! )
Donc l'Etna, c'est un volcan qui accomplit complètement son rôle de Volcan ; mais comme, somme toute, il veut tenir compte des humains, alors il se contente d'éructer et de vomir dans les limites de la Valle del Bove (1) ; mais de temps à autre, il se fâche sérieusement, et alors il le fait savoir, et il la contourne, menaçant sérieusement les habitations … certaines même n'y résistent pas !
mais les habitants du cru sont de sacrés futés ; il connaissent le point faible de leur volcan, ils font mine d'être impressionnés par cette lave qui se déroule tout doucement à 6 kilomètres heure environ ; et ils envoient un prêtre avec bannière en tête à l'effigie de la Vierge Marie ; cela suffit à Héphaïstos, c'est un bougre de dieu, il est tolérant, et prêt à reconnaître les mérites de ses confrères en divinité ; d'autant qu'en matière de beauté, les catholiques ont su donner à la Vierge Marie un charme qui peut rivaliser avec celui d'Aphrodite. Alors, il ordonne, et comme par magie, la coulée de lave s'arrête ; et nos croyants érigent une chapelle consacrée à cette bonne Vierge qui les a sauvés d'un si grand péril … et en profitent, tant qu'ils y sont, pour prélever, quelques années plus tard, des carrés de lave encore chaude qui leur permettront de construire palais, maisons ou routes ! (2)
Mais il lui arrive aussi à ce dieu, d'être dépassé par ses successeurs, comme à l'origine de la commune de Linguaglossa, par exemple. L'Etna, dans une de ses colères, était sur le point de détruire par une coulée un peu plus forte, cette ville. C'est alors que ses habitants eurent l'idée de prier leur Saint protecteur, Sant'Egidio. Ce dernier est apparu vêtu de ses plus beaux habits d'évêque, et d'une voix forte, il s'adressa à la lave en ces termes : « Tu ne dois pas franchir ce seuil, ni toucher à cette ville et à ses habitants qui sont mes protégés » La guerre de religions entre l'antique et la nouvelle n'avait pas de raison d'être et Héphaïstos céda devant la colère de Sant'Egidio, un peu comme un père ou une mère acceptent un caprice de leur enfant, par amusement pour son entêtement autant que pour avoir la paix !
Comme il en impose cet Etna !
Il faut le contempler d'avion ou de mer ou de très loin, dominant avec son panache de fumée blanche cette Sicile qu'il rend aussi riche qu'il l'a tourmentée.
D'imbéciles touristes, ont un jour bravé toutes les règles de sécurité sur son sommet ; les autorités ont depuis ont limité son accès à quelques rares privilégiés, authentiques hommes de science. Il faut donc se contenter de monter en voiture jusqu'au refuge de Sapienza ; et là prendre un funiculaire qui vous amène à 2700 mètres près des cratères formés lors de l'éruption de 1809.
Saisissant paysage désertique, lunaire : facéties humaines ou fantaisie d'Héphaïstos, tous ces amas de cailloux ressemblant en miniature à certains monuments funéraires tibétains. On est dans le grandiose qu'imposent toutes ces manifestations que notre petite rationalité d'humain a du mal à appréhender, à l'image de la neige recouverte de cendre, et qui ne fond même pas !
Tout vous ramène à cette antiquité, qui sait si bien rendre compte de toute notre force intérieure ; longeant la Méditerranée, vous serez surpris par ces neuf petites villes commençant toutes par le nom Aci. Tous les guides vous raconteront l'histoire de la nymphe Galatée (3) qui aimait tant le fils de Pan, le berger Acis ; mais cela ne faisait pas l'affaire de l'horrible géant Polyphème qui avait des visées sur Galatée ; fou de rage qu'elle pût lui préférer un berger, il le tua. A quelle justice s'adresser lorsqu'on est une nymphe, si ce n'est à celle divine et la plus haute qui soit, celle de Zeus. Et pouvons-nous un instant imaginer que ce Dieu d'entre les dieux, si sensible à la beauté féminine, aient supporté que de si beaux yeux ne s'arrêtent de pleurer. Grands sont les pouvoirs de Zeus qui transforme alors le cadavre d'Acis en rivière (l'actuelle Aki ), qui comme tant de rivières a pour naturelle vocation d'aller rejoindre la mer, et donc de s'unir quoi qu'il arrive à Galatée. Ce récit ne porte-t-il pas en germe tous les fantasmes de tout un chacun ? La légende se complète et veut que le corps inerte d'Acis ait été découpé en neuf parties, chacune créant une des neuf petites villes qui, partant de Catane, vous engagent sur la route de Taormina.
Aci Castello, reconnaissable par la forteresse normande reconstruite définitivement en 1189 par le roi Tancrède, et sur un éperon de lave.
Aci Trezza, Aci Reale … entre autres, mais tellement évocatrices de cet grand Sicilien que fut Giuseppe Verga, cet écrivain de la seconde moitié du 19ème siècle et l'un des plus grands représentants du courant littéraire, le Vérisme ; et surtout l'auteur de ce fascinant roman que sont « I Malavoglia ».
Tempête autour des « Faraglioni dei Ciclopi », redoutables écueils d'origine volcanique, mais que la mythologie, encore elle, attribue à Polyphème, encore lui ! On se souvient du sort que lui a réservé Ulysse, rendant aveugle à l'aide d'un pieu aiguisé, le géant, qui, cherchant alors à tuer son agresseur, aurait jeté en mer quelques grosses pierres … et quelques-unes d'entre elles ne seraient ni plus ni moins que ces écueils au large d'Aci Trezza.
Et l'incontournable Taormina !
Peu importe la saison, il y a toujours des touristes dans cette ville qui demeure l'un des lieux privilégiés des tours operators.
Il est difficile de se frayer un passage dans ces petites rues pleines d'échopes où trônent beaucoup d'objets bien plus de pacotilles que de réelle valeur. Peu importe ce que l'on vend, l'essentiel est de vendre ; c'est, hélas, le lot de trop nombreuses villes touristiques. Ce qui est à Taormina gênant, c'est que l'emprise de ces négociants en mochetés diverses est telle qu'elle vous empêche de découvrir et donc d'admirer à leur état premier, originel, certains édifices qui semblent pourtant le mériter, comme par exemple le Palais Corvaja ; construit au 13ème siècle avec de remarquables fenêtres géminées gothiques, il a abrité au 15ème siècle le Parlement Sicilien.
Mais bien évidemment, ce qui fait la réputation de Taormina, c'est son théâtre grec. Sa forme actuelle remonte au 2ème siècle après le Christ.
Accolé à la colline, certains des gradins ont même été taillés à même la roche, il offre un panorama unique sur la côte, et en arrière fond l'Etna ; on imagine alors la magie que devaient prendre les représentations théâtrales dans l'antiquité, d'autant que l'acoustique y est excellente. Avec un peu de chance vous pourrez même assister à une apprentie diva qui, sur scène, improvise un air, de Verdi de préférence et pourquoi pas celui de « La Donna é mobile » … ce sera sans nul doute beaucoup plus de l'ordre de la bouffonnerie, mais qu'importe vous aurez quand même une idée de la valeur acoustique de ce théâtre.
Et comme tous ces hauts lieux théâtraux antiques, il héberge de grandes manifestations culturelles, certaines mêmes de niveau international, où se côtoyent l'été, aussi bien des spectacles de danse que de musique, voire cinématographiques.
Dernier coup d'oeil à la côte sud de la Méditerranée, et déjà se profile notre retour sur Palerme et notre embarquement pour Gênes.
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Il s'agit d'une vaste dépression avec des falaises de 1000 mètres de haut qui sont capables de contenir la lave que rejette le Volcan.
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Surprenant, mais vérifiable, après chaque éruption : en fonction de la hauteur de la coulée de lave, cette dernière peut mettre jusqu'à cent ans pour refroidir complètement. En tout cas, il s'agit d'une matière première qui en termes économiques s'avère particulièrement rentable … ce qui explique aussi la « noirceur » des rues et des maisons des communes du domaine de l'Etna, Catane comprise.
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Galatée était une Néréide, c'est-à-dire une des filles de Nérée l'un des dieux de la mer
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