L'ultime étape de ce tour de Sicile : une partie de la côte Nord, celle qui s'étend des îles éoliennes à Palerme. En laissant délibérément de côté Messine … horrible cet ostracisme que les Messinois pourront me reprocher, mais qu'ils se rassurent : je donnerai à leur ville une place prépondérante lors de mon prochain voyage en Sicile, car il y en aura bien un autre, à moins que les Parques, ces femmes les plus cruelles qui soient se souviennent tout à coup de moi !
Donc étape à Milazzo, engorgée ; je n'avais trouvé de place qu'à une dizaine de kilomètres en endroit presque idyllique, à condition de vouloir s'y enfermer et d'y passer quelques jours ; mais lieu guère propice au tourisme.
Il nous a suffi pour aller faire un tour du côté des îles éoliennes, oh soyons modestes : seulement Vulcano ; car pour visiter la totalité des îles (elles sont sept !) il faut disposer de plusieurs journées.
Le choix de Vulcano ? Son volcan et aussi son aspect plus « sauvage » que Lipari sa grande voisine.
Son volcan m'avait été fortement conseillé, ne serait-ce que pour pouvoir faire la comparaison avec son grand frère l'Etna.
Mais regarder comme la mythologie est farceuse et se moque de nos esprits cartésiens ! On veut bien la suivre lorsqu'elle prétend que Vulcano aurait été l'antre d’Héphaïstos (que les Latins ont appelé Vulcain), tant pis pour l'Etna, même si ses grondements, ses colères et ses épanchements peuvent mieux correspondre à cette idée que je me fais d'Héphaïstos ! Mais cette même mythologie nous donne une des îles éoliennes comme étant la terre de Polyphème, ce terrible géant contre lequel se serait battu Ulysse ! Or les Siciliens prétendent dans leurs légendes que ledit Polyphème habitait sur les pentes de l'Etna, et qu'il aurait envoyé contre Ulysse le fuyant, ces fameuses pierres qui devinrent les « Faraglioni » d'Aci Trezza (cf mon précédent épisode). Alors, qui croire ?
Étrange, en même temps que j'écris ces quelques réflexions, me vient à l'esprit, un autre géant tout aussi mythologique, et qu'a immortalisé l'immense Rabelais, Gargantua. Et ce n'est pas au récit de cet écrivain que je me rapporte, mais à ces légendes bretonnes qui ont fixé Gargantua sur la côte Nord entre la naissance de la Rance et jusqu'à Chausey et y compris le Mt St Michel ? N'y-a-t-il pas à côté du fort Lalatte, un menhir, de plus de deux mètres de hauteur et que la légende prétend être l'un des petits doigts de Gargantua ? Ne dit-on pas aussi que l'île Agot, face à Saint Cast serait une des crottes qu'aurait déposée Gargantua lors d'un de ses voyages du côté de Chausey ? Ne rajoute-t-on pas même qu'il s'est rendu jusqu'à Jersey, en n'ayant de l'eau que jusque au haut des cuisses ,,,
Ah ces géants, dont la dimension ne devait être telle que pour mieux frapper de la plus épouvantables des peurs, les mortels que nous sommes (enfin, que nos ancêtres étaient !) ; alors s'ils avaient de telle dimension, pourquoi Polyphème (un Gargantua antique en quelque sorte) n'aurait-il pas transformé la vaste Sicile en un petit territoire à peine suffisant pour ses promenades ? Et puis les affubler d'une telle dimension n'est-ce pas aussi grandir ces héros, ces humains qui ont osé, tel Ulysse, les défier ? Et l'humanité n'a-t-elle pas besoin de tous ces dieux, demi-dieux et autres héros, pour l'aider à supporter toutes les angoisses que la nature, on encore déchiffrée, lui provoque ?
Petite île charmante, juste assez de touristes pour montrer qu'elle n'est pas trop éloignée de la civilisation, mais pas trop pour ne pas être encore polluée par ces hordes de barbares que les touristes (et j'en fais hélas partie !) savent être.
Il ne culmine qu'à cinq cents mètres d'altitude, environ, ce volcan qui fit trembler de peur les habitants pour la dernière fois en 1886. Le sentier est raide ; parfois, en longeant la pente, on côtoie aussi les coulées de lave ; mais curieusement, nous n'avons pas du tout la même sensation que sur l'Etna ; rien de grandiose, rien de terrifiant, un peu comme si ce volcan n'était qu'un ersatz, un volcan de maison de poupée ou d'opérette.
Par contre, une vue extraordinaire sur les îles éoliennes ; le temps était si clair que nous avons pu distinguer la totalité de ces îles ; vers le Nord et l'Est, les plus proches, Lipari et Salina, mais aussi sur la droite Panaréa et tout au fond le Stromboli, celui que les antiques marins appelaient le phare de la Méditerranée. Et vers l'Ouest, Filicudi et encore plus loin, Alicudi.
Assoupi, disent les vulcanologues, il ne se manifeste plus que par ses fumerolles.
La présence de souffre et autres métaux, (il suffit de voir les strates de différentes couleurs – à base de jaune et de rouge – pour les deviner) transforme les boues de Vulcano en précieux médicaments pour toute sorte de maladies de peau, nombreux sont alors ceux qui s'y baignent … pourtant leur chaleur provoquent aussi, paraît-il, de très nombreuses brûlures.
Pas à proprement parler, mais je pense qu'il vaut mieux commencer par Vulcano et finir par l'Etna.
De Milazzo je ne conserverai que le souvenir de sa vision de nuit, cette ballade le long de la mer … avant d'entreprendre notre dernière étape pour une des villes les plus touristiques de Sicile, Cefalù.
Configuration surprenante que cette petite ville coincée entre une falaise abrupte et la mer, avec cette ligne de fuite qui, partant du haut de la falaise, s'incline vers la mer en passant par les tours de la cathédrale.
Comme très souvent, au Moyen-Age, elle est la concrétisation d'un vœu, celui que fit le roi normand Roger II : lors d'une très violente tempête, il faut dire que celles de la Méditerranée sont redoutables, il a tellement craint pour sa vie qu'il promit, s'il s'en sortait, de faire construire une cathédrale. Nous sommes à la fin du 12ème siècle, et c'est alors l'apogée du style normand en Sicile ; il sera ici particulièrement évident avec la façade achevée en 1204 : l'harmonie des arcs de cercle s'entrelaçant supportant la rangée supérieure de fausses fenêtres ; et déjà l'apparition du gothique avec les arcs du narthex.
Le tympan, au dessus de la porte centrale est, me semble-t-il, quelque chose d'unique ; en tout cas, je n'en jamais rencontré de similaire ; sa forme de demi-cercle encadré dans une forme géométrique suggérant un hexagone est totalement mystérieuse, et l'on ne peut que s'interroger sur ses raisons d'être et surtout les buts tant spirituels que temporels qu'elle recèle.
Quant à l'intérieur, un choc ! Les colonnes qui s'élèvent avec finesse augmentent l'impression de légèreté de l'édifice, et mettent ainsi tout en relief les remarquables mosaïques datant de 1148. Le regard sera bien évidemment attiré vers le personnage central, le Christ Pantocrator – représentation du Christ en souveraineté, dans l'attitude du Roi, faut-il y voir une idéalisation de celle que voulaient assumer les rois de l'époque ? - ; si vous avez de bons yeux, et surtout si vous êtes capables de déchiffrer le grec, vous pourrez alors lire ce verset de l'évangile selon St Jean : « Je suis la lumière du monde … » Ce texte n'est pas anodin, et l'on ne peut qu' y voir la transposition et surtout la justification des grandes équipées militaires des rois et en particulier de celles de Roger II, lui-même : est-il besoin de rappeler son rôle dans la seconde croisade qui débuta précisément en 1147 ?
Pour ceux qui auraient tendance à l'oublier, et qui voudraient se contenter de l'art pour l'art, il n'est peut-être pas inutile de souligner qu'au moyen-âge et jusqu'à une époque avancée de la renaissance et même du baroque, l'art pictural et/ou figuratif comme les mosaïques ou les chapiteaux, avait aussi et surtout un rôle pédagogique et éducatif : montrer à la masse des fidèles non cultivés (et pour cause) et complètement analphabètes, non seulement les mystères de la foi et l'histoire religieuse, mais aussi les liens entre elle et l'histoire immédiate, celle de tous les jours.
Comment Roger II aurait-il pu être un « mauvais roi », ou « un méchant », quand tout le monde devait voir derrière la figure du Christ Pantocrator, celle du roi lui-même ?
On a aussi souligné à juste titre la douceur des visages des anges et de la vierge qui sont placés au-dessus et au-dessous du Christ. C'est aussi l'une des caractéristiques des mosaïques siciliennes, qui frappe dans celle du Palazzo reale de Palerme, ou de Monreale.
Tout à côté de la cathédrale, le cloître : même s’il est encore en cours de restauration, ce que l'on peut en voir nous laisse présager de sa beauté, et en particulier celle de ses chapiteaux. Là-aussi, illustration de l'ancien et nouveau testaments, mais surtout une création débordante de vitalité avec la représentation d'animaux fantastiques, et qui s'évadent du domaine de la réalité.
Avec Cefalù se terminera notre périple.
J'ai jeté un dernier coup d'oeil sur mon guide … et je me suis senti pris d'une immense sensation de dérision : comment pouvais-je avoir la prétention de connaître un tant soit peu la Sicile, quand, implacable, ce même guide vert me montrait tout ce que j'avais encore à voir d'essentiel en Sicile …
Embarquement, le soir même à Palerme, la dernière pizza, je ne pus même pas la finir, non qu'elle ne fût bonne, mais elle signifiait que je laissais derrière moi une terre si attachante … j'étais un peu comme cet amoureux qui quitte pour un temps peut-être très long, sa bien-aimée !
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