Rodney, un économiste (distingué, comme tous les économistes), travaille pour le compte de l'ONU sur un ambitieux programme, l'éradication de la pauvreté. Célibataire endurci, il ne peut résister au charme de Vicki, une vietnamienne émigrée à New-Yok. Et comme dans tout ce qui se veut quelque peu comte de fée, le mariage est prestement célébré et en très grande pompe, où se retrouve, invité, tout le gratin que peut compter l'ONU et quelques autres grandes institutions. La grande fête se déroulant dans la toute nouvelle maison que Rodney vient d'acheter … maison que le peintre Edward Hopper fit construire dans les années 1930 à Cape Cod.
Mais voilà, cette maison est momentanément occupée par Jason, un grand scientifique spécialiste des poissons. Ce dernier vient de vivre la pire des hontes de sa carrière, et devant sa toute jeune épouse : (la décence propre à ce blog, m'interdit de décrire l'objet de cette honte, mais il n'est pas dépourvu de cocasserie grivoise!). Résultat, Jason perd sa femme et profite par la même occasion, de se retirer un certain temps du monde. D'où sa retraite dans la propriété d'Edward Hopper.
Le fatum, ce très méchant lutin, est là, en veille et prépare son mauvais coup.
Il se réalisera en deux temps : le secrétaire général de l'ONU annoncera à Rodney que les pauvres n'intéressent plus l'ONU, puisqu'ils ont pratiquement disparu, enfin tout au moins en termes de statistiques économiques ! Ce qui signifie aussi en d'autres termes que Rodney peut aller exercer ses talents ailleurs. Comment se fait-il que ce dernier en parle à Jason ? Toujours est-il que le scientifique, va trouver la parade, en lui fournissant une savante équation qui montre, qu'il y avait eu erreur et que de fait les pauvres sont beaucoup plus nombreux !
La deuxième partie du drame, Vicki s'en chargera : elle n'a pas seulement séduite Rodney, mais aussi (j'essaie d'en résumer l'ordre chronologique!) le curé qui bénit le mariage, le frère du marié, et aussi Jason dont elle s'éprend dans ces quelques jours qui suivent son mariage !
Tout normalement, elle va vouloir annoncer à son tout récent époux que c'est déjà fini ; qu'elle ne peut que reprendre sa liberté, parce que c'est Jason qu'elle aime et personne d'autre.
Ce n'est pas du Racine, tout juste du Shakespeare : car alors que Rodney a réussi à retourner l'ONU et à imposer sa nouvelle conception des pauvres et l'impérieuse nécessite de secourir cette multitude qu'on avait négligée, il ne peut supporter que sa vie amoureuse soit un échec, et son mariage une déroute ! Par un coup du sort, Vicki va absorber une telle dose de drogue qu'elle va mourir …
momentanément.
La fin de ce roman devient alors d'un inénarrable comique flirtant avec une imagination débordante !
Que penser de ce roman ?
D'abord il se lit bien, et c'est tant mieux, car à vrai dire, il y a pas mal de longueurs, ce qui décourage souvent le lecteur, le plus averti soit-il.
J'aime bien aussi ces personnages : falot et imbu de lui-même, comme Rodney, mais aussi sympathique, comme Jason : ma préférence va bien évidemment à ce dernier ! Il n'est pas que scientifique, mais aussi il est pragmatique, sachant se servir de ses mains pour jardiner ou encore manoeuvrer un bateau.
Vicki me plaît beaucoup : il faut être quand même un peu marginal pour se marier et tout de suite après découvrir le grand amour avec un autre homme ! Mais elle est telle désarmante d'innocence, de naïveté (j'avoue que j'exagère un peu car, s'adonner à la drogue, y compris la plus dure, n'est pas une preuve de ces deux qualités !). Ce qui est intéressant dans son personnage, c'est qu'elle est l'exact contraire de l' homme qu'elle a épousé : lui, il n'est que calcul, arriviste forcené, froid jusque dans les actes amoureux, alors qu'elle n'est qu'imprévisible, obéissant à ses sensations et à elles seules, quitte à faire preuve d'une sensualité débordante de vitalité !
Par delà ces personnages, il y a une vision claire et souvent satirique de notre société. Cynisme des instances et des Etats (et des économistes) qui prétendent s'occuper des pauvres, alors que, de fait, ils ne servent que leurs intérêts (matériels, politiques ou pires moraux) ; et en parallèle ces gens, inorganisés, ou plutôt non structurés en groupes sociaux, mais qui peuvent se retrouver occasionnellement et qui essaient de vivre conformément à leur condition d'humain, même s'ils doivent le faire maladroitement et en opposition avec les règles sociales que les premiers ont édictées.
Roman qui, malgré ses longueurs, ne peut laisser indifférent ; on ne le referme pas, en se disant un définitif et désabusé « bof ! » ; on le détestera si, comme semble le montrer hélas l'évolution de notre société, c'est l'économie qui doit tout diriger dans le monde ; pour les raisons strictement opposées, on l'appréciera et on l'aimera.
En somme, un bon roman pour cette rentrée !
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