Francesco Cavalli ? Disciple et héritier de Claudio Monteverdi, c'est l'un des compositeurs majeurs de la Venise du 17ème siècle. On connaît ses opéras par leurs titres, mais comme ils sont très rarement joués … on n'a qu'une toute petite idée de sa musique !
Vous pensez bien alors, qu'il a suffi que l'Opéra de Rennes programme « Elena » ou connu aussi sous l'autre titre « Le rapt de Hélène », pour que je me précipite à la location pour réserver les meilleures places possibles.
Et ce 25 novembre restera marqué dans ma mémoire comme parmi l'un des meilleurs jours musicaux que j'aurai connus !
J'exagère, pensez-vous ; c'est encore son enthousiasme méridional qui parle et prend le dessus !
Oh que non !
Si vous avez assisté à cette représentation, je suis convaincu que vous partagez totalement mon jugement.
Pourtant le sujet n'était pas des plus faciles.
Ah ce mythe d'Hélène, cette belle Hélène celle qui a enflammé nos adolescences !
Et bien avant nous, ces demi-dieux, ou ces rois plus ou moins imaginaires d'il y a 25 ou 30 siècles !
Qu'un Ménelas, futur roi de Sparte, voit cette jeune fille, et aussitôt, éperdument amoureux, il utilise un stratagème infaillible pour l'approcher : il se déguise en jeune fille à son tour, mieux, en amazone, terrible guerrière prête à apprendre à la belle Hélène l'art du combat ! Mais il est devancé en quelque sorte par Thésée, qui va enlever Hélène et cette pseudo amazone … Thésée se réfugiant au royaume de Créonte, va trouver un rival dans Ménesthée, le fils de ce dernier. Lequel Ménesthée tentera même de tuer Thésée ! Et comble de malchance, Thésée voit réapparaître Hyppolite, cette jeune femme dont il fut un temps amoureux et à qui il avait juré fidélité. Pour mettre un peu d'ordre dans tout cela, les autres demi-Dieux, Castor et Pollux, viennent libérer leur soeur, Hélène.
Rassurez-vous, tout se termine pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Ménélas réussira à séduire Hélène (ils se marieront !), Thésée se fera pardonner sa momentanée infidélité par Hyppolite, quant à Menesthée, son père le jettera en prison.
Quelle trame de roman, et encore je vous l'ai raccourcie, omettant quelques détails et personnages des plus croustillants, tels que le bouffon du roi Tyndare (le père putatif d'Hélène, car nous savons tous que le vrai père n'est autre que Jupiter qui a pris la forme d'un cygne pour séduire la pure Léa, femme de Tyndare.)
Bienheureux 17ème siècle qui a su s'approprier toute la mythologie grecque ; non pour faire œuvre d'érudition (il faudra laisser cette tentation au plus tardif 19ème siècle, pour qui l'antiquité, comme le moyen-âge, était beaucoup plus du domaine de la découverte ethnologique que source réelle de création, n'est-ce pas M. Flaubert, avec votre Salammbô ?) ; mais bien pour servir comme base d' inspiration ».
A Venise, au 17ème siècle, et a fortiori au 18, on ne croit guère plus au(x) Dieu(x) la religion est bien plus considérée comme un ciment social que comme pratique d'une foi, d'une adhésion toute personnelle à des dogmes. C'est alors tout l'intérêt d'avoir recours à la mythologie : les dieux, et en particulier celui de l'amour, qui sera omniprésent dans l'opéra Elena, ne sont là que comme caution à des pratiques purement profanes, qui seraient complètement condamnées par une foi intransigeante.
Qu'ils sont délectables ces dieux païens, que l'esprit humain n'a engendrés que pour justifier la puissance des désirs de l'homme !
Quel opéra que celui qu'a tiré du livret, Francesco Cavalli !
Non seulement parce qu'il a réussi à illustrer à la perfection la puissance du désir chez l'humain, mais aussi par cette époustouflante technique de composition qu'il a su mettre en avant.
Une cinquantaine de tableaux, répartis entre un prologue et trois actes ; une alternance entre les passages lyriques, tragiques, comiques, voire bouffons, ou tout simplement narratifs, dosée de telle façon que l'auditeur et le spectateur sont constamment tenus en haleine, même si la partition peut receler quelques longueurs.
Une orchestration d'une originalité étonnante avec si peu de moyens, pensez, une douzaine de musiciens, et des meilleurs ! Comment ne pas être conquis par la sonorité des flûtes douces (ou à bec comme on voudra), comment ne pas être séduit par celle du cornet, dont la "mélancolie" est une véritable surprise dans ce tourbillon de notes que sait distribuer avec bonheur le compositeur. Comment ne pas être envoûté par l'archiluth et le théorbe qui se révèlent d'une éminente modernité. Le tout s'articulant avec deux violons, un violone, et deux clavecins (on entend même un positif, eh oui !!!), et sous l'impressionnante direction de Leonardo Garcia Alargon.
Direction qui s'est aussi attachée aux treize chanteurs, et de quelle façon.
Ce qui frappe, c'est que toutes les voix se valent, il n'y en a pas, y compris dans les rôles dits secondaires, qui soient moins bonnes : elles sont toutes de très haute qualité !
Evidemment, belle sera la part faite aux voix aiguës, 11 sur les treize que comporte la distribution : c'est le règne des ténors, contre-ténors et soprano, avec tout les transferts que ces voix autorisent : l'exemple type étant Kangmin Justin Kim, contre-ténor invraisemblable dans le rôle de Ménélas : son timbre et sa tessiture autorisent toutes les libertés vocales que sa double appartenance d'homme et de femme autorise.
Quitte à nous répéter, toutes ces voix sont remarquables !
Remarquables par leurs qualités techniques : quoi de plus difficile que toutes ces « diminutions » et vocalises, quoi de plus difficile que tous ces ports de voix, et pourtant tout est naturel ! Nulle trace d' efforts, de contraintes, tout est dans l'aisance ! On imagine certes tout le travail que tous ces chanteurs ont du fournir pour arriver à un tel degré d'excellence ! D'autant que jouer et chanter durant plus de trois heures n'est pas une mince affaire ! Comment alors ne pas s'émerveiller devant ces chanteurs qui réussissent si bien à allier toutes les dimensions du spectacle : musique et jeu théâtral !
Car c'est aussi en cela qu'elles sont remarquables : toutes leurs qualités techniques ne visent qu'un but, servir au mieux les deux textes, le littéraire (complexe, ardu, dans ces formulations vieilles de l'Italien du début 17ème) et le musical, lui-aussi dont le brillant, l'exubérant deviennent totalement lisibles comme par enchantement !
Il faudrait citer toutes ces voix, mais contentons-nous seulement de quelques-unes, Giulia Semenzato, soprano, dans le rôle d'Elena, ou encore Emiliano Conzales Toro, ténor, dans celui du bouffon Iro, ou encore le ténor Fernando Guilmaraes interprétant Thésée, et enfin la soprano, Mariana Flores, dans le rôle d'Astianassa, la servante d'Hélène …
Pour achever ce trésor, une mise en scène astucieuse, sobre, et surtout très efficace pour permettre l'intervention rapide des chanteurs et personnages et le passage d'un tableau à l'autre. Elle est signée de Jean-Yves Ruf.
Oui, quelle soirée exceptionnelle que celle dont nous a régalé l'Opéra de Rennes le 25 novembre !
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