Noitia, une petite ville de Galice, du bord de mer. Une population qui a deux traditions, la pêche et la contrebande dont les règles sont fixées par un caïd local, un certain Mariscal, dont le peu qu'on connaît de lui est bien plus issu de l'imagination de ses compatriotes que de la réalité.
Trois jeunes, Leda, Brinco et Fins ; ces deux derniers fils de marins pêcheurs seront orphelins après que leurs pères aient péri en même temps dans une tragédie due à la pêche à l'explosif.
Tandis que Brinco va rejoindre l'équipe de Mariscal et devenir petit à petit son bras droit, Fins, lui, va s'engager dans la police et tenter d'éradiquer la contrebande à Noitia.
Ce roman ne peut laisser indifférent. D'abord par son contenu : l'évolution entre la contrebande archaïque, celle qu'ont connu à une échelle plus ou moins grande toutes les communes d'un bord de mer, et puis celle organisée en réseau mafieux et donc liée au grand banditisme. L'auteur ne nous la livre pas, avec des chiffre, des grandes théories, ou des grands schémas, non, il nous la fait vivre de l'intérieur en quelque sorte ; et l'on perçoit très bien comment s'opère le glissement de l'une à l'autre, et comment les nécessaires complicités, d'abord à l'échelon tout à fait local (les policiers qui ferment les yeux, moyennant un ou quelques billets!), deviennent alors à un tout autre niveau. De la même façon l'on perçoit bien comment cette contrebande familiale humaine, où tout le monde se connaît, parce qu'issu du même village, devient alors uniquement régie par l'argent, et où les sentiments n'ont plus de place : il faut voir par exemple comment sont considérées les femmes qui travaillent dans ces lieux de tous les trafics !
Parallèlement, intéressante l'évolution des personnages : les deux amis dont les chemins se séparent et qui deviennent des ennemis ; ils se respectent, certes, mais tout les oppose, et la seule qui pourrait à un certain moment faire le lien, prend définitivement parti contre Fins. Parmi les quatre personnages centraux (Leda, Brinco, Fins et Mariscal), c'est sans doute le plus attachant, non parce qu'il a choisi le camp du « bien », mais parce que cette voie est sans doute la plus difficile à assumer à ses yeux (pour ne pas céder à la trop facile corruption !), mais aussi aux yeux des autres : être policier, c'est loin d'avoir la même réussite sociale que gérant de boite ou entrepreneur (peu importe que le métier soit entaché d'immoralité!), la différence étant dans le montant de la somme que tu reçois à la fin de chaque mois ! Attachant aussi parce qu'au nom de cette intégralité qu'il veut assumer jusqu'au bout, il se refuse à entreprendre la moindre tentative de conquête de Leda.
Oui, ce roman ne peut pas laisser indifférent : sa forme est particulièrement suggestive. En dehors des quelques pages, réalistes et somme toute très ordinaires, (une trentaine au maximum) qui relatent de façon assez précise, comme un roman policier, les opérations de police, le reste nous fait baigner dans une aura rare où la nature est intimement liée aux personnages, la mer en premier lieu : mer nourricière mais aussi mer cruelle ; elle sait apporter sur le rivage tous ces biens que des naufrages ou seulement des coups de tabac ont réussi à soustraire à de téméraires bateaux ; les habitants sauront en profiter ! Mais cette même mer sait aussi retirer la vie et apporter deuils et souffrances. La nature, la lumière deviennent omniprésents, comme autant de personnages muets, spectateurs impuissants mais compatissants des héros qui s'agitent autour.
Et alors l'auteur trouve les mots et quels mots dont la force poétique atteint des sommets :
« Le vrombissement et le va-et-vient de la mer pénétrèrent à l'intérieur. Il (Fins) sentit une obscurité salée lui démanger les yeux. Il referma. Les ombres fâchées du figuier poignardèrent la fenêtre toute la nuit. »
ou encore
« A présent les reflets de l'aurore se frayaient un chemin à coups de poignard de lumière. »
Cette veine poétique portera aussi sur des lieux imaginaires ! Comme cette école « celle des Indiens » que fréquentaient les enfants du pays, avec ce plancher étrange, un immense carte du monde sur laquelle circulaient les élèves … école devenue aussi repaire des contrebandiers, une fois qu'elle a achevé sa mission éducative. Est-ce un symbole ? Peut-être, en tout cas elle contribue à la force de ce climat qui imprègne tout le roman. En sens inverse les lieux de « perversion » cette boite à putes que gère Brinco, ne dégagent absolument pas la même suggestion poétique … comme si l'auteur voulait nous signifier que … mais attention aux interprétations trop faciles !
Étonnant roman dont on a d'autant plus de mal à se défaire, que beaucoup est seulement insinué, ce qui rend encore plus difficiles les différences de perception qu'on peut avoir entre le bien (incarné par Fins) et le mal (représenté par Brinco et Mariscal).
On n'en admirera que plus le travail de traduction effectué par Serge Mestre.
PS Éditions Gallimard, 2014, 293 p., 21e
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