L'occasion fait le larron, et si j'en juge par ce qui m'est arrivé, ce fut encore le cas ! Comment pouvais-je échapper au roman de Gaston Leroux alors que j'allais quitter l'Opéra ? Et voyez comment sont devenus astucieux les organismes culturels pour appâter les visiteurs : où sont placées les librairies desdits organismes et autres lieux culturels ? A la sortie, comme de juste, car impossible d'y échapper ! Il me faut avouer aussi que je n'ai jamais regretté ces librairies et autres commerces, et j'ai toujours été satisfait de ces menus achats que j'y ai effectués, et très souvent en liaison avec mes visites.
Résultat, j'allais combler une lacune (immense ? N'exagérons quand même pas !) à ma culture générale ; car je n'ai pu résister à l'achat du « Fantôme de l'Opéra ».
Roman qui connut le succès dès 1910, date à laquelle il parut sous forme de feuilleton dans « Le Gaulois » et dont le cinéma s'est emparé à partir de 1925 (1).
Succès dû sans nul doute au monde fantastique hébergé par un des derniers grands monuments de Paris, l'Opéra.
Rien de plus mystérieux que ces temples musicaux ; par tout ce qu'ils nécessitent pour créer ou reproduire des opéras, (de la fabrication des décors, aux ateliers de couture, sans oublier l'école des danseurs ou encore les loges des chanteurs etc...) ils sont par excellence propres à stimuler toutes les imaginations, au point de suggérer les situations les plus invraisemblables qui soient ; et pour peu que l'auteur ait quelque talent de narrateur, alors la mayonnaise va prendre et le lecteur s'immergera avec délectation dans ces aventures qui lui sont proposées.
En ce qui concerne son roman, Gaston Leroux fait preuve d'une grande habileté ; d'abord dans la présentation même de son sujet, en donnant à croire qu'il s'agit là d'une enquête scientifique, et que tous les éléments troublants relatés trouvent une explication rationnelle, et donc que le fantôme a bel et bien existé. L'appât est là, et l'on y mord d'autant plus facilement que la lutte entre l'irrationnel et le scientifique est un puissant moteur qui sait animer chacun d'entre nous.
L'autre habileté de Leroux c'est aussi dans le choix de ses personnages : reflets d'une société qui n'a pas oublié les fastes et les plaisirs du second empire ; n'auraient été la guerre avec la Prusse et la Commune qui a suivi, l'Opéra Garnier aurait été inauguré sous le Second Empire et sans doute en présence de Napoléon III … mais si l'Histoire en a décidé autrement, il n'empêche qu'en 1875 (date de son inauguration) la société qui le fréquente et le fréquentera jusqu'à la première Guerre Mondiale, sera nostalgique de celle qui a prévalu sous le Second Empire, et qui essaiera de recopier cette grandeur factice qui la caractérisait.
Alors les personnages de Leroux sortiront directement de cet univers. A commencer par le protagoniste, Raoul, et ce n'est pas pour rien qu'il est vicomte, Raoul de Chagny. Et comme de juste, il tombera amoureux d'une chanteuse, une soprano (encore un cliché!), Christine Daaé (autre personnage fictif, bien entendu) ; rajoutez les secondaires et qui ne manquent pas de sel : les deux directeurs dont le ridicule donne l'occasion de scène comiques particulièrement bienvenues pour détendre (et c'est une autre facette de l'art de Gaston Leroux, que de savoir mélanger les genres). Ajoutez la description de ces corps qui sont à demeure dans l'Opéra, tels que le corps de ballet ou tous ces techniciens indispensables au bon fonctionnement de cette maison … avec une mention particulière pour la concierge si bien croquée.
Tout cela constitue déjà à faire un bon roman.
Ajoutez donc cette partie « surnaturelle », et ce fameux fantôme Erik : il y a un glissement assez surprenant, dans la conception de ce personnage : il est vraiment fantôme (par toutes ses actions) au début et jusqu'au moment où Christine Daaé va devenir une véritable Diva avec un incontestable talent. A partir de ce moment, et c'est la part scientifique qui va prendre le dessus, notre fantôme va avoir une consistance humaine, oh certes pas ragoutante, même plutôt repoussante ; et le fantastique va prendre une autre dimension, toutes ses manifestations trouveront des explications qui satisferont à la fois l'écrivain (c'est la moindre des chose) son héros, le narrateur qui mène l'enquête (et c'est tout aussi naturel) mais encore le lecteur. Et dans la droite ligne du romantisme quelque peu exacerbé, notre fantôme va avoir un parcours de vie où les aventures toutes plus originales les unes que les autres vont se succéder.
Mais il aura un double en quelque sorte, non pas fantôme, mais tout aussi mystérieux, ce personnage nommé Le Persan ; c'est sans doute la période très orientaliste de l'époque qui l'a inspiré (Loti n'en a-t-il pas été un des grands instigateurs, lui qui était un passionné de la Turquie ?)
Et comment l'intrigue inventée n'aurait-elle pas reçu les faveurs du public ? Une jeune femme aimée à la fois d'un fantôme et d'un vicomte.
Et maintenant ? J'avoue que j'ai eu du mal à partager les faveurs du public d'il y a un siècle ! Il date, ce roman, et s'il passe à la postérité c'est bien plus comme témoignage d'une époque que par valeur littéraire atemporelle. Mais, après tout connaître la littérature du passé nous permet de mieux apprécier l'évolution de l'art romanesque !
(1)Il faut bien que wikipedia serve de temps en temps !
PS Editions Livre de poche, 2014, 343 p., 5,60€
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