J'ai tellement eu peur en avion, et en même temps tellement de merveilleuses sensations ! Que dire alors, lorsqu'un drame aussi cruel vient endeuiller tant de familles ?
Cruauté du sort !
On aurait presque espéré qu'il s'agissait d'une défaillance technique, et là, on se serait incliné devant l'inexorabilité du fatum, tout en le maudissant.
Mais une boite noire a parlé, et le sort est non seulement cruel mais d'un cynisme dépassant tout ce que l'imagination pouvait concevoir : que celui-là même dont la mission est de veiller à la sécurité des passagers et de les amener à bon port, les précipite volontairement dans la mort, oui cela dépasse l'entendement.
Pourtant est-ce une raison suffisante pour ne pas essayer de s'interroger, en dehors de toute passion aussi justifiée soit-elle ?
Tous les médias se sont appliqués, certains avec une obstination qui frisait l'indécence, à décortiquer toutes les raisons de ce crash ; après avoir évoqué toutes les hypothèses de défaillance technique, ces mêmes médias ont tenté de comprendre la situation psychique de ce copilote, invraisemblable assassin.
Et si on tentait de revenir à la signification profonde que revêt le simple fait de voler dans les airs ? Qui d'entre nous n'a pas rêvé, ne serait-ce qu'une seule fois, qu'il se mouvait dans les airs avec la même facilité que s'il marchait, et qu'il en retirait, dans ce rêve, une sensation bien plus qu'agréable, euphorique ? De nombreux psychanalystes se sont emparés de ces rêves pour tenter de découvrir une des nombreuses faces cachées de notre esprit et de notre vie intérieure. Avec sans doute (?!?!?) à la clé une vérité partielle sur notre moi …
Mais n'étant pas docte en la matière, je préfère m'en tenir à la surface des choses. A revenir par exemple, au début de ces interrogations : du rêve d'Icare aux tapis volants de la Perse des Mille et Une nuits, et poussons encore plus loin jusqu'aux engins volants de Léonard de Vinci ou de Jules Verne, c'est la même aspiration : dépasser sa propre condition humaine liée aux forces obscures de l'attraction terrestre nous clouant sur notre pauvre sol, et découvrir une liberté dont dame nature ne nous a pas pourvu, alors qu'elle en a doté des animaux bien moins intelligens que nous (enfin le croyons-nous, dans notre petite vanité d'humain !).
Ce champ fascine, et le fait de se déplacer dans les airs doit provoquer assurément la même sensation de liberté et la même jouissance que celle pour un jeune enfant de commencer à marcher. Il nous rendrait d'une certaine manière égaux aux dieux ! Serais-je en train de blasphémer ? Oh que non, car les Dieux de l'antiquité se moquaient éperdument de ce que les petits humains pouvaient penser d'eux, par contre qu'ils essaient, ces petits humains, de se parer de leurs attributs, alors là malheur à eux !
On avance dans ce champ de la fascination : voler serait donc aussi pour nous en plus de cette liberté nouvelle, une façon non plus de se substituer aux dieux (après tout la philosophie positiviste du 19ème siècle plus quelques autres grands penseurs, nous ont appris à nous méfier de ces forces surnaturelles auxquelles nous voudrions nous soumettre en les qualifiant de divines !) mais mieux, d'être nous mêmes des dieux. J'ai souvenir de ces pages des premiers pionniers de l'aviation, ceux qui entre autres ont traversé l'Atlantique Sud et se sont confrontés aux difficultés extrêmes de la Cordillère des Andes ; ces pages ont marqué mon enfance (autant sans nul doute que les films de science-fiction marquent nos jeunes adolescents, et pas seulement !), et à défaut de pouvoir les citer textuellement, je me rappelle parfaitement l'exaltation de ces pilotes face au spectacle invraisemblable que leur offrait la nature et dont ils ne pouvaient prendre connaissance que parce qu'ils étaient dans cette minuscule et dérisoire carlingue qu'ils essayaient de diriger au mieux.
Alors oui, le fait de voler s'est complètement popularisé, vulgarisé. Et la raison économique a prévalu, les raisons profondes et la signification intime du vol ont cédé la place aux valeurs marchandes (des voyages de tourisme à ceux d'affaires) ; mais ces dernières n'ont pas pour autant étouffé les premières. Et à défaut de pouvoir de voler par nous-mêmes, nous nous en remettons à ceux qui ont été initiés et sont capables de le faire pour et avec nous. Il y a dans cette confiance qui doit impérativement s'établir entre eux et nous, le même assujettissement qu'entre le maître et l'élève, entre le pratiquant et le prêtre (ou l'officiant). Nous devenons en quelque sorte des dieux par procuration. Cela nous fait peur ? Alors on ferme les yeux, on compte chaque minute, attentif au ronronnement et à ce qui va nous sembler la moindre anomalie de régime des moteurs … mais il n'empêche, nous savourons cette possibilité extraordinaire qui nous est donnée.
Mais voilà, l'homme reste avec ses imperfections ! Icare, fougueux ambitieux, s'est approché trop près du soleil, et ses ailes ont fondu, le précipitant dans la mer. Il suffit qu'un de nos grands prêtres faillisse, et nous voilà statues aux pieds d'argile, nous retournons à la poussière du néant.
C'est étrange, je m'interroge sur la nature de cette compassion qui nous a tous animés vis-à-vis de toutes les familles endeuillées ; certaines situations évoquant celles que j'aurais pu moi-même vivre (n'ai-je pas accompagné des voyages scolaires en avion ?), mais celles-là ne sont pas suffisantes pour éclairer ce sentiment très confus de piété que j'ai ressenti. La mort est toujours quelque chose de plus ou moins absurde, même si elle n'est que la conséquence logique d'une défaillance corporelle. Non, ce n'est pas cette absurdité qui est à la base de mon émotion.
Et de m'interroger à voix haute : cette mort brutale non voulue pour ces 149 personnes ne signe-t-elle pas pour elles de façon définitive, et pour nous en sursis, cette autre constatation tout aussi douloureuse : l'aveu que le tout est possible est une trop belle utopie pour nous ! Et qu'il y a sans doute encore beaucoup à faire pour atteindre cet idéal d'absolue liberté que sous-tend aussi le fait de voler ; et si je suis autant apitoyé, n'est-ce pas aussi parce que tout au fond de moi-même je pleure cet absolu injoignable.
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