Un drame pour quel cadre !
Israël, une zone où se côtoient, on ne fait que le deviner, Israéliens et Palestiniens, au bout d'une route, qui amène à cette bourgade, Beit Zera
Un homme déjà d'un certain âge, Stepan ; il vit tout seul avec une chienne ; un seul métier, fabriquer des boites que lui achète un ancien camarade d'armée, Samuelson. Mais il a un poids, Stepan, c'est son fils, Yankel, qui est parti aux antipodes, en Nouvelle Zélande. Stepan et Samuelson savent pourquoi ; on l'apprendra dans un flash-back poignant. Un inconnu vient rompre cette solitude dramatique, cet adolescent arabe, Amghar, qui va se prendre d'affection pour la vieille chienne.
On ne connaîtra jamais la véritable identité d'Amghar.
Car nous sommes dans une espèce de huis clos où les personnages ne se disent que le strict nécessaire ; il n'y a aucun superflu, mais seulement des impressions dans lesquelles se complaisent tous les personnages. Oh, rien d'extraordinaire, rien de grandiose, non, seulement du quotidien le plus banal : travailler, se faire à manger, fumer sa cigarette, rire un peu avec son camarade d'armée ; une nature qui sait se montrer autant inquiétante qu'indifférente… et puis cette préoccupation, obsédante, réussir à mettre de l'argent de côté pour aller retrouver son fils.
Au milieu de ce décourageant univers quotidien, quelques très grands moments, où se fondent drame et lyrisme : le meurtre involontaire qu'a commis Yankel, ou encore ces jours entiers où ce dernier se cache pour ne pas être pris par la police, ou aussi, ces derniers moments de la chienne avant que Stépan ne la tue, ou enfin, cette nuit d'orage où Stepan va tenter de rejoindre Amghar.
Univers angoissant aussi de ce monde où deux communautés, l'arabe et l'israélienne, vivent en parallèle ; l'une dominant l'autre, mais ayant pourtant aussi peur que celle qu'il opprime ; face à cette situation, l'auteur tente d'opposer la volonté humaine de partage, de communication : c'est Amghar qui essaye de comprendre le monde de Stepan, et ce dernier qui réussit à vaincre ses préventions et à établir une communication avec Amghar. C'est cette même situation douloureuse où le partage justifié ne peut se réaliser, le frère de l'homme qu'a tué Yankel et qui vient juste demander à Stepan qui doit payer pour cette mort, lui ou Stepan ?
Mais le fait symbolique le plus fort de cette relation entre les deux communautés, c'est le fameux épisode de Jaffa qu'évoquent Stepan et Samuelson lorsque, militaires, ils étaient affectés à un contrôle routier où ils devaient fouiller tous les arabes ; un vieil homme, lassé sans doute de faire la queue, est passé devant tout le monde, et ne s'est même pas arrêté, laissant les militaires complètement désarçonnés ; devant l'énormité du fait, qui pouvait se terminer par un drame, la mort du vieux, les militaires sont partis d'un immense éclat de rire, repris par tous. Fait tellement invraisemblable mais raconté avec une telle véracité ! Il fait partie de ces mille anecdotes les plus anodines qui soient et qui pourtant sont si riches de sens !
Dans ce huis clos où les êtres tentent de renouer avec l'essentiel, les raisons que l'homme peut avoir de vivre, et où la mort est omniprésente, il n'y a pas de place pour le verbiage. Le style est à la hauteur ; simple, sans doute trop simple, même au début. Et rien n' a autant le don de m'irriter que ce genre de phrase, sujet, verbe, complément, point ; et on recommence. Mais étrangement ici, on sent une volonté derrière ce style simple, pour ne pas dire simpliste : il s'agit de mettre le lecteur dans l'ambiance de l'aridité de ce qui va suivre. Je tire alors un très ample coup de chapeau à l'auteur, car il réussit parfaitement bien à nous intégrer à son histoire ; son style évolue tout doucement : une fois qu'il nous a habitués à l'austérité, il relâche un tout petit peu la bride, et il obtient une totale harmonie entre ce qu'il écrit et la forme qu'il emploie.
C'est assurément un petit livre par la taille, mais l'allonger aurait été délayer et n'aurait absolument rien apporté de plus à son histoire et à l'ambiance dans laquelle elle se déroule ; mais c'est aussi un grand roman, parce que humain, parce qu'il nous force à réfléchir … et puis il est si émouvant !
(1) Mes remerciements à cet ami qui m'a conseillé la lecture de ce roman !
PS Editions Stock, 2015, 157 p., 16€
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