Un jeune homme de très bonne famille se suicide à l'eau de Javel, chez ses parents à Barcelone. Il n'en faut pas moins pour que, sur l'insistance d'une ancien flirt de ce jeune homme, le poulpe parte à la recherche de la vérité.
Et elle n'est pas belle, cette vérité-là !
Car elle a pour origine, cette tragédie qui a marqué la fin de la guerre d'Espagne : les phalangistes, dans le but d'éradiquer définitivement le mal Rouge de l'Espagne, une fois qu'ils avaient tué les Républicains, se sont emparés de leurs très jeunes enfants orphelins et les ont fait adopter par des familles très pieuses, et surtout très franquistes. Et comme de plus, c'était un trafic juteux financièrement, il s'est perpétué, y compris après la mort de Franco, mais en le pervertissant un peu plus : en effet, il ne s'agissait plus d'orphelins, mais de substituer un enfant vivant à un enfant mort. Et à la tête de cette affaire, un gynécologue, plein d'ambition politique !
C'est tout ce monde que va découvrir le poulpe.
Ce ne sera pas bien évidemment sans tous les ingrédients propres à cette série policière : coups fourrés de toute sorte, fouilles en règle d'appartements privés, défenestration, sans oublier le grand spectacle, comme incendie volontaire ou mieux encore, le duel aérien entre deux avions remontant à la Guerre d'Espagne.
Comme dans de très nombreux romans polards, il y a deux façons de les aborder ; la plus facile, et très souvent captivante (ce qui est le cas ici), c'est de se contenter de suivre les différentes péripéties : on en a, si j'ose dire, pour son argent.
L'autre approche est sans doute plus ardue, car elle sollicite la réflexion … même si elle doit bousculer votre petit confort, ou les chemins bien balisés qu'on a tracés pour vous.
Je lis déjà sur vos visages une interrogation, un regard dubitatif, presque une sommation à m'expliquer un peu mieux !
Allez, c'est comme si c'était fait !
Le grand sujet de réflexion de ce roman : un enfant, c'est sacré, et selon toutes les législations contemporaines actuelles, enfin dans nos sociétés dites évoluées (et vous admirerez ma prudence!), s'attaquer à un enfant sous quelle que forme que ce soit, mérite une sanction à hauteur de l'atteinte portée à l'enfant. D'où une multitude de questions que le point de départ du roman pose : comment des êtres humains peuvent agir contre les lois naturelles et celles de la société ?
L'explication par la seule volonté de conserver et de perpétuer un pouvoir devient alors passionnante, car elle nous montre la vraie nature de ce même pouvoir : si, pour le garder, on est prêt à faire violence sur des enfants en les privant de leurs géniteurs naturels et en les « confiant » à des gens sûrs, cela démontre à l'évidence que le pouvoir n'a pas pour but de faire le bonheur de ceux qu'il prétend diriger. Mais cela démontre aussi le degré d'asservissement auquel ces « gens » sont prêts : victimes consentantes du pouvoir, ils deviennent eux-aussi ses complices puisque qu'en acceptant de satisfaire leur besoin d' « amour » parental avec un autre enfant que le leur, ils commettent sur cet enfant la même violence que celles qu'ils ont subies de la part du pouvoir.
Et on en arrive immanquablement à la question centrale : qu'est-ce donc que ce pouvoir qui accepte de telles pratiques ? Le mot a été lâché très rapidement, fascisme ; il est bien commode ! Car le disant, on évite aussi soigneusement tout approfondissement et surtout toute interrogation sur la notion même de pouvoir. L'Histoire nous a démontré de façon dramatique à quelles déviations et atrocités le « fascisme » était prêt.
Le fascisme, comme le nazisme, son frère jumeau nous l'ont que trop prouvé.
Mais le franquisme et les tristes exploits de la Phalange apportent une autre dimension : car le « vol » des nouveaux-nés est qu'on le veuille ou non une remise en cause radicale de la notion même de la famille ; en introduisant volontairement et de façon violente un élément étranger dans une famille on tue la notion même de la famille en tant que cellule de basse constitutive de la société ; et ceci n'est pas le moindre paradoxe de ces franquistes, qui, pour asseoir leur propre autorité, avaient besoin de perpétuer la notion traditionnelle de la famille !
Alors, oui le pouvoir ? Le mot d'ordre anarchiste, le pouvoir corrompt, tout le monde le connaît ; on peut le partager ou le combattre (mais il semble par les temps qui courent que la démonstration de la validité d'un tel adage ne soit plus à faire!) ; l'inhumanité du pouvoir, cela aussi c'est une tautologie, toutes les formes de dictature l'ont certes mise en évidence, mais même les formes les plus « douces » de pouvoir, comme notre démocratie toute formelle, par ailleurs, n'en sont pas exemptes (il suffit de voir ce dont ces mêmes démocraties sont capables par rapport au phénomène de l'immigration) ; qu'apporte-donc de plus la dénonciation du pouvoir franquiste que fait Bard sans ce roman ?
Pas grand chose, sauf qu'il nous montre que la destruction de la famille amène inéluctablement à la destruction de l'individu en tant qu'être humain !
Mais qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas écrit : je ne suis pas un défenseur forcené de la famille, je pense même que cette notion doit être complètement reconsidérée, mais pas de l'extérieur, par la pression d'un quelconque pouvoir et au service d'une quelconque idéologie aliénatrice ; non seulement de l'intérieur et à partir de la seule volonté des individus en vue de reconstruire une société nouvelle.
Utopie fourriériste (1) ?
Pourquoi pas ! Mais en tout cas, cette utopie, si c'en est une, est beaucoup plus génératrice de générosité, de perspective de bonheur que l'idéologie franquiste qui l'a mise à mal.
Et dire que c'est une simple polard qui amène à ce genre de réflexions ? Après cela, de redoutables critiques traiteront ce genre de mineur ! Quels imbéciles !
(1) : Charles Fourrier (1772-1837) : je ne cesserai jamais de remercier notre professeur de philosophie qui, au début des années 60, a su nous le faire découvrir !
PS Editions Baleine, 2015, 157 p. 12€
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