Il est parfois bon de se replonger dans des romans passés surtout lorsque certains événement récents peuvent nous y ramener.
Explicite !
Quelle est donc la trame de ce roman.
Pierre Floric, professeur d'histoire se suicide. Or il se trouve que Gabriel Lecouvreur, autrement dit le poulpe, l'a bien connu puisqu'ils ont vécu tous les deux la même expérience pendant six mois, celle des bataillons disciplinaires ; séjour de « plaisirs » que l'armée réservait aux fortes têtes ou au militants d'extrême gauche dont elle voulait briser toute volonté de résistance. Etre passé par une telle épreuve suppose une telle endurance qu'elle exclut toute tentation de suicide, même pour une histoire d'amour qui finit mal. Ce qui est le cas pour Pierre qui a succombé aux charmes d'une trop belle danseuse, abandonnant pour elle femme et enfant.
Ce qui trouble Le Poulpe, c'est que Floric ait choisi de se suicider à Caluire (banlieue de Lyon) dans la maison où Jean Moulin fut arrêté en 1943. D'autant que la danseuse sulfureuse, Léa Bergane, qui l'avait fait chavirer est retrouvée quelque temps après morte, lors de l'incendie de la bibliothèque de Lyon.
… et de fil en aiguille la famille Béraut s'invite aux interrogations du Poulpe, le père, ancien nazillon français et tortionnaire assistant de la gestapo lyonnaise, et le fils qui a pu accéder, grâce à des pressions plus que louches, obtenir un poste d'archiviste dans un lieu de mémoire antinazi …
Impossible d'en dire plus sinon ce serait dévoiler ce policier qui, comme de très nombreux romans de Daeninckx vous tient en haleine jusqu'au bout … et comme je ne voudrai pas vous priver de ce plaisir …
néanmoins pour mieux vous aguicher, quelques éléments clés de la « perversité » de notre société qui sont mis à jour ; et même si on les connaît parfaitement, il est toujours intéressant de voir comment ils peuvent être exploités par des esprits qui ont le talent de romancier dans la peau.
D'abord, le déni de réalité ; bien sûr on le voit tous les jours, (nos hommes politiques nous en donnent le triste exemple!) mais lorsqu'il concerne des faits contemporains et qu'il frappe de cécité des gens qui devraient au contraire y être le plus sensible, cela étonne. Il s'agit donc de ce refus que certaines personnes ont eu du phénomène terrifiant du nazisme : la volonté d'exterminer par les chambres à gaz tout un peuple. Un certain Jean-Marie Le Pen les avait traitées de détail de l'histoire, entraînant dans son sillage des intellectuels, ou plutôt de pseudo intellectuels comme Robert Faurisson. On aurait tort de minimiser ce courant appelé aussi de négationnisme, car il a eu des conséquences politiques dont on se ressent encore, et en particulier celle de fausser notre relation à Israël ; on peut, et à juste titre, penser que la création de cet Etat est du en grande partie à la mauvaise conscience qu'a pu avoir le monde libre face au génocide juif entrepris par Hitler et les nazis ; mais en niant cette volonté de génocide, les partisans du négationnisme ne font que justifier ce sentiment anti-juif très fort, menant jusqu'à la haine la plus féroce contre tout le peuple juif, nombre de Palestiniens et autres fanatiques islamistes.
Deuxième élément clé : comment l'on peut se servir des sentiments les plus bas d'un être humain pour le manœuvrer et le manipuler dans le sens qu'on souhaite. Dans ce roman de Daeninckx, comment la pornographie peut être utilisée par des esprits particulièrement vicieux pour phagocyter des êtres qui pourraient s'opposer à leurs dessins plus que néfastes. C'est sans doute la partie la plus attachante du roman ; car il permet alors au romancier de jouer sur un tableau purement affectif du lecteur : celui de la compassion pour celui qui est forcé de trahir ses plus nobles aspirations.
Mais comme dans tous les romans de Daeninckx, un des ressorts de l'action du personnage du Poulpe est bien l'amitié qu'il peut avoir pour d'autres personnages, amitié qui lui sera très précieuse pour mener jusqu'à terme son enquête. Mais attention, cette amitié n'est pas donnée à n'importe qui ! Il s'agit toujours de personnes qui sont comme le Poulpe lui-même, en marge de la société, ou plutôt qui ne se satisfont pas de la tiédeur ! Ses amis, des gens qui veulent et savent s'opposer comme lui au conformisme de la société. Il n'est pas étonnant que Pierre Floric ait été l'un de ses amis, puis qu'il a refusé la soumission à l'armée, et s'est donc trouvé dans une bataillon disciplinaire ; il n'est pas non plus étonnant que pour trouver ce qui a pu pousser cet ami à se suicider, il fasse appel à un autre ami, le créateur et directeur d'une revue satirique.
Humanité dont on sent qu'elle habite l'auteur bien en dehors de l'atmosphère des ses propres romans !
J'espère pour vous que ce roman est encore disponible, ou ait encore une petite place dans toutes les bonnes médiathèques, car il le mérite bien … sinon ayez comme moi la chance d'avoir des amis qui le détiennent !
Editions Librio, 2000, 126 p.
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