S'il y a eu une date heureuse dans notre histoire musicale récente, c'est bien 2008 ! Année que depuis hier soir, je marque d'une pierre blanche : c'est l'année de la création de l'ensemble baroque « Correspondances » à l'initiative de Sébastien Daucé.
Nous avons donc eu cette chance unique de pouvoir l'entendre hier soir à l'Opéra de Rennes et dans un programme de prédilection, puisque composé uniquement de pièces de Marc-Antoine Charpentier.
Pourtant les œuvres choisies n'étaient pas a priori des plus faciles. Elles avaient le parfum austère (qu'on retranscrit bien souvent par la notion d'ennui) dont s'auréole souvent la musique religieuse pour les profanes.
Pourtant en préambule à ce concert, j'aimerais faire un distinguo qui ne sera absolument pas du goût des puristes du baroque (mais tant pis si je dois me faire encore quelques ennemis !) Le texte religieux, même si, de par ma formation de latiniste, peut interférer sur ma perception musicale, voire l'altérer, je m'en fiche comme de ma première chemise. Que m'importe que dans les « Litanies à la vierge » cette dernière soit parée de très chaste (1), ou encore de mère de miséricorde (2), ou encore qu'on la supplie d'intercéder en notre faveur, le fameux ora pro nobis (prie pour nous) ! Contre ceux qui prétendent que le texte et musique sont indissolublement liés, je rétorque que nombre de cantiques, sur des textes éminemment poétiques de psaumes, deviennent sous la plume musicale de barbouilleurs saint sulpiciens d'horribles choses qui n'ont rien à voir avec l'art musical ! Or le génie de Marc-Antoine Charpentier réside en ce qu'il a saisi la dynamique d'un texte (et aussi la croyance qu'il peut susciter) pour en faire une œuvre musicale à part entière, c'est-à-dire sans que le texte soit indispensable pour saisir toute la beauté de l'oeuvre musicale. (A telle enseigne que le public -malheureusement- pas composé entièrement uniquement de latinistes, a été totalement -et à juste titre- subjugué par ce programme !)
Dernière remarque avant ce concert, le latin ! Je sais, j'ai tout faux, habitué que j'ai été au latin prononcé à l'italienne, et j'avoue que ma perception musicale a été, mais seulement au tout début, entaché par cette prononciation très fidèle du latin au temps de Louis XIV ! Il serait peut-être temps que je fasse ma révolution linguistique !
Oui, année remarquable que cette année 2008, car quel ensemble que « Correspondances » !
9 chanteurs accompagnés de 10 musiciens sous la direction de Sébastien Daucé.
On est tout de suite sous leur charme, et ces musiciens savent nous faire immédiatement entrer dans l'univers de Charpentier. Pour ce faire, ils s'appuient sur d'indiscutables qualités, celles qu'on attend des professionnels les plus chevronnés.
Elles sont tellement évidentes qu'on n'y prête même plus attention ; le sens des nuances, le sens de l'équilibre, et aussi – et surtout- l'appropriation du style baroque ; voix et instrument naturels, rien de ce superflu qui commencera à prendre racine avec la musique dite classique, ces insupportables vibrato et autres roucoulades romantiques ! Il y a dans « Correspondances » une vérité musicale étonnante : ce que cet ensemble nous donne à entendre correspond exactement à ce que nous pensons être la musique baroque. Que dire alors de ces « couples » violons anciens, avec cordes en boyaux et archets courts, et ces flûtes ténors ? Un régal !
Qualités technique, certes, mais aussi quelle sensibilité ! l' « O vos omnes » avec un baryton/basse tout en finesse, ou encore cette exquise suavité dans un duo entre une soprano et un luth, ou encore cette fièvre qui anime tout à coup un « ora pro nobis ». Par delà les notes, par delà l'intention religieuse, transparaît une autre émotion, celle que donne le son à l'état pur ; émane de la seule écoute de toutes ces sonorités, une jouissance particulière, un peu comme cette impression diffuse où notre corps ne serait que la réverbération de la musique qui nous est offerte. Comment s'étonner alors de l'accueil que l'ensemble a reçu, avec des applaudissements qui ne semblaient pas vouloir finir, comme pour mieux prolonger l'atmosphère unique de ce concert.
Mais dans ces partitions deux particularités m'ont marqué et qui ne sont pas sans permettre justement cette homogénéité exceptionnelle dont l'ensemble fait preuve.
Je les attends ces ornements ; ils sont tellement prévisibles, et pourtant, chaque fois c'est la même surprise, ces impressions d'un temps suspendu à une résolution dont on savoure chacun de détails ; avec ce double jeu, gratuité et en même temps indispensable, liberté et rigueur, et parce qu'on passe d'un terme à l'autre avec la même « désinvolture » cette musique nous devient précieuse, indispensable comme l'écho sonore de ce que nous sommes aussi ; ravissement de quelques secondes qui devient incommensurable !
Je les attends aussi avec la même impatience ces tierces majeures qui concluent nombre de pièces ! C'est un long chemin ; et quand on commence à deviner que le compositeur amène son discours vers cette tierce, alors c'est le bonheur qui éclate dans sa totalité lorsqu'elle résonne dans l'accord final. Perles rares qui en quelques secondes résument tout le discours musical précédent !
Enfin faut-il encore le souligner : le « chef » qui le dirige en l'accompagnant lui-même soit au positif soit au clavecin ? Ce n'est pas nouveau, et l'on voit de plus en plus fréquemment de plus ou moins jeunes clavecinistes procéder ainsi, … comme on avait déjà vu, il y a de nombreuses années certains pianistes diriger des concertos de Mozart, par exemple, tout en interprétant eux-mêmes la partie soliste. Dans ce concert, et peut-être sans doute, plus que dans d'autres, il m' a semblé que le « chef » était perçu beaucoup plus comme un acteur à part entière, participant activement au déroulement de l'oeuvre, que comme le meneur de jeu ou le superviseur. On avait affaire beaucoup plus à l'esprit musique de chambre qu'à celui de concerts avec effectif important. Je ne sais si cela en est la raison, mais il m'a semblé que sans cet « intermédiaire » qu'est le chef, on était davantage dans l'oeuvre elle-même.
Illusion ou réalité, quoi qu'il en soit ce fut de rares moments exceptionnels de musique tout aussi exceptionnelle, et qu'elle ait été profane ou religieuse, cela n'avait guère d'importance, car on était à l'intérieur de la musique, imprégné de son essence même.
Alors, vous savez ce qu'il vous reste à faire, o lecteurs qui n'avaient pas eu cette chance d'assister à un tel concert : s'il vous arrive d'être dans un lieu où se produit cet ensemble (citons au hasard, La Chaise-Dieu en août/septembre 2016), alors n'hésitez pas même à faire des kms, et si l'amour de la musique vous habite, alors Correspondances avec Sébastien Daucé vous mènera sur les rivages de ce monde enchanteur qu'est la musique.
1- Il faut dire qu'à l'époque de M.A. Charpentier, le dogme de la virginité mariale ne pouvait absolument pas être remis en cause, et malheur à celui qui osait le contester en public, il était voué aux gémonies et l'Inquisition affutait déjà pour lui ses instruments de torture !
2- une pensée totalement impie me vient à l'esprit : n'est-ce pas non plus le vocable que les musulmans donnent à Allah, dans le long appel à la prière que chantent tous les muezzins du monde ? Comment voulez-vous que les catholiques et musulmans puissent s'entendre si les premiers accordent à la Vierge ce que les seconds confèrent à Dieu, eux pour qui la femme reste inférieure à l'homme et a fortiori Dieu !!! Du reste ce qui est aussi remarquable dans les Litanies (que nous retrouvons bien évidemment dans celles de Charpentier) c'est cette accumulation incantatoire de vocables attribués sur la Vierge, outre ceux déjà cités, toutes ces séries : « mère très pure, mère inviolée, mère aimable, mère admirable, ... » ou « Vierge très prudente, vierge vénérable, vierge clémente ... » ou encore « Reine des anges, Reine des patriarches, reine des martyrs ... » c'est le principe même des religions au moins celles monothéistes que je connais un peu : et qu'importe que ces incantations s'adressent à la Vierge, ou à Allah ou encore à Yahwé, qui dit incantation dit perte totale de réflexion individuelle propre, en quelque sorte lavage de cerveau au profit d'une fusion totale avec le système religieux ...mais j'arrête là car je vois déjà briller le feu qui va s'allumer sous le bûcher que l'inquisition va me dresser, ou encore je vois déjà la main de l'imam signant la fatwa autorisant n'importe quel islamiste à me tuer moyennant une récompense au paradis d'Allah avec 70 houris, quant aux rabbins, ils sont en train de polir les pierres de ma lapidation prochaine !
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