Paul Veyne ? Quel extraordinaire mécanisme que celui de notre mémoire ! Je passe devant un stand de je ne sais plus quel libraire aux « Etonnants voyageurs », et une couverture attire mon regard. Et un déclic, l'enthousiasme de quelques collègues me vantant tant et plus cet historien ; c'était il y a vingt ou trente ans, voire plus, mais ces impressions ont ressurgi avec force devant la pile de ce livre de petit format, sobre, mais oh combien suggestif !
Qui mieux que lui pouvait parler de Palmyre ? Cette Palmyre, mutilée, martyrisée au sens le plus fort du terme, cette ville à qui des barbares modernes ont voulu nier toute vie, toute histoire parce qu'elle ne s'accordait pas à eux !
Qui mieux que lui, maîtrisant toute émotion, pouvait apporter dans cette dénonciation le poids de la raison et du savoir ?
Car la connaissance, il la possède … mais surtout il sait la faire passer ! Et alors vous allez de découverte en découverte ; sur les origines d'une telle cité, sur son originalité par rapport aux grandes métropoles de la même période : dans la façon d'y exercer le pouvoir, dans la conception des divinités et des cultes les honorant, dans ces rapports avec les grandes puissances du temps, et la romaine en particulier, dans sa langue même, l'araméen, qui continuera après même la disparition de l'empire romain.
Originalité qui, mise en perspective, nous montre la richesse de l'évolution de l'Histoire de l'Humanité, nous surprenant même par ces contrastes, pour ne pas dire oppositions, avec notre civilisation contemporaine : la non existence de la notion d'Etat, alors que, en son nom, que de guerres et de massacres ne commet-on pas actuellement en son nom ? La notion de Dieu, conçue non comme une vérité extérieure, mais comme une nécessité personnelle, chaque tribu apportant le ou les sien(s), conçus plus comme des grands frères tutélaires que comme des puissances redoutables ; bref des divinités humaines si l'on ose dire inventions de l'humain et non créatrices de lui ! Il n'est que de voir les banquets dont on honorait ces dieux, moments beaucoup plus proches d'orgies et bacchanales que d'un saint office ou prêche dans les mosquées !
On aura aussi une approche de ce qui a pu fonder la richesse de cette ville : économie essentiellement commerçante, au sortir d'un désert redoutable par ses nombreux brigands de grand chemin ; ne fallait-il pas relier le golfe persique aux ports syriens pour transporter toutes ces marchandises qui provenaient de l'Asie (la soie de Chine, eh oui!) et de l'Arabie. Richesse qui se manifesta par et dans une cité dont les restes, avant que n'intervienne l'Etat Islamique, sont stupéfiants ! Les quelques photos au milieu de ce livre sont là pour nous le démontrer.
Le tout émaillé d'événements ou de déchiffrages de sarcophages qui nous en apprennent sur la conception du monde et de la vue que pouvaient en avoir non seulement les Palmyréniens mais aussi leurs contemporains antiques.
On (re?)découvrira l'épopée de cette reine Zénobie qui a voulu marcher sur Rome, non pour s'en emparer, mais seulement pour se faire reconnaître comme impératrice du monde connu, et comment Aurélien a arrêté brutalement cette épopée. Aventure militaire qui dura cinq ans, certes, mais une femme étonnante qui savait s'entourer de lettrés et de savants.
Travail déjà énorme qu'a fourni l'historien sur cette ville devenue un des symboles de la lutte contre la barbarie. Mais l'historien fait beaucoup plus, il amène son lecteur à réfléchir sur ces notions fondamentales, dépassant le simple cadre de la ville martyre.
De très nombreux passages seraient à citer, mais au hasard ...
« On a toujours su se payer d'équivoques consolantes. Les Anciens déposaient de la nourriture sur les sépultures ; est-ce la preuve qu'ils croyaient que les morts continuaient à vivre obscurément dans leur tombeau ? Quand nous-mêmes déposons déposons des fleurs sur un tombeau, nous ne croyons pas que le défunt viendra en respirer le parfum. » (p.115)
En conclusion de ce livre plein d'enseignements on retiendra ces quelques phrase :
« Loin d'aboutir à l'universelle uniformité, tout patchwork culturel, avec sa diversité, ouvre à l'inventivité. »
et ces derniers mots
« Oui, décidément, ne connaître, ne vouloir connaître, qu'une seule culture, la sienne, c'est se condamner à vivre sous un éteignoir. »
A mettre entre toutes les mains et à consommer sans modération ! Merci à ce jeune monsieur de 86 ans pour le cadeau qu'il nous fait !
Editions Albin Michel, 20105, 143 p., 14,50€
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