Se trouveraient-ils encore dans notre humanité où le zapping et le concours du toujours plus en moins de temps deviennent les règles de vie, des êtres qui aiment les discours bien ordonnés ? Qui ressentent intensément le plaisir des introductions léchées à la perfection, puis un corps aux deux parties équilibrées que cela en est un pur bonheur ? et que dire de cette conclusion, qui toute empreinte d'interrogations vous laisse délicieusement quelque peu sur votre faim, tout en vous assénant une ou deux vérités d'autant plus irréfutables qu'elles ne sont que la déduction logique des deux parties ?
Ce préambule devant faciliter l'art de la dissertation que l'on demande à chaque futur bachelier, il me faut en venir à cet articule que je me propose d'écrire sur le premier roman de Blick Bassy : « Le Moabi cinéma ».
Inutile de vous apprêter à faire ma psychanalyse ! D'avance, je réfuterai chacun de vos arguments ! Quand vous avez entre les main un livre avec un tel titre, à quoi ne pensez-vous pas ? Si ce n'est à cet enchanteur « Cinéma Paradiso » … à condition que le cinéma italien des années 1980-1990, vous parle quelque peu … Mais baste, que vous soyez ou non amoureux du cinéma italien, comment ne pas avoir entendu parler de ce petit joyau ?
Bref, entre mes mains, ce roman « Le Moabi Cinéma », je laisse de côté la référence ua cinéma italien, et je me plonge sur la quatrième de couverture … d'accord, le nom sonne un peu étranger (ouh ! Quelle honte ! Eloignez vite ce fantôme raciste qui pourrait vous circonvenir comme cela arrive, hélas, à un nombre de plus en plus croissant de mes concitoyens !) Bassy, passe encore, mais le prénom Blick, vous croyez que cela sonne comme Jacques (merci pour moi!) ou Jean, ou Marc, ou Pierre -je vous ferai grâce d'énumérer tous les prénoms à la consonance tellement française ! -.
Pensez un Camerounais ! Et qui plus est, il ne sait pas tellement quelle voie choisir pour s'exprimer : non seulement content de tenter l'art musical, il s'essaye aussi à la plume !
Merci, mon introduction est faite, restent les deux parties !
Rien de pus facile, et je demande à mon futur correcteur de considérer l'art avec lequel je vais manier la dialectique qui s'impose à qui s'essaye à la critique littéraire !
Eh oui, Morbleu (merci pour Molière et compagnie de m'avoir soufflé ce juron quelque peu précieux !) je vais commencer par ce qui m'a chiffonné tout le long de ma lecture (si le côté négatif vous gène, rendez vous quelques lignes plus loin sur ce que j'ai particulièrement aimé !)
Donc, le défaut principal qui m'a insupporté, c'est bien que la référence à ce « Moabi » n'arrive que vers le milieu du roman (je vous en prie ne chipotez pas, quand je dis vers le milieu, c'est un peu avant ou un peu après, mais à quelques pages près cela ne change pas grand chose !) ; et que l'auteur me pardonne, ce qui précède est absolument indispensable pour saisir ce « Moabi », le faire intervenir n'aurait en rien nui, et bien au contraire, à la densité de son roman. Et par voie de conséquence (actuellement il y a en vogue une expression qui fait fureur et qui m'énerve au plus haut point « du coup » ), on ne peut que regretter que tout le côté fantastique qui pourrait se dégager d'une telle invention, - pensez un arbre qui se transforme en un écran de télévision qui donne des informations sur tout le globe, - eh bien que ce côté ne soit pas aussi exploité que ce que nous pourrions l'espérer. Pire, il semble même que l'auteur, comme s'il avait peur de toute ce que recèle sa trouvaille, se bride lui-même, refuse d'en envisager toutes les perspectives fantastiques et faute de fouiller dans son imagination l'auteur nous plonge, par l'intermédiaire de son arbre, dans la banale réalité que nous connaissons trop bien : le racisme éhonté dont font preuve nos sociétés occidentales vis-à-vis des travailleurs émigrés qu'elles hébergent … Ce qui aurait pu être un extraordinaire outil, prétexte à une non moins extraordinaire source d'inventions, se révèle alors comme simple artifice, banal et terriblement décevant parce que redevenu banal ;
Hélas, n'est pas Italo Calvino qui veut !
Et pourtant il est plein de qualités ce roman. Même si sa première partie est infiniment trop longue, elle a le mérite de nous introduire dans la société camerounaise qui a suivi l'indépendance ; cette vision qui nous est donnée bouscule totalement les préjugés que nous pouvons nourrir vis-à-vis des sociétés africaines en général. On découvre à travers une série de portraits des êtres, qui même s'ils sont Africains, nous ressemblent avec les mêmes aspirations : jouir au maximum de la vie sans avoir à subir ces innombrables entraves que les sociétés ont mises en place ! Entraves de la religion (qu'elles sont belles et significatives ces pages où le père inflige à ses enfants, la prière du matin !) L'on se rend compte alors à quel point notre Occident a pu « pervertir » les mentalités d'autres civilisations en leur imposant des cadres qui n'étaient pas les leurs : le sens d'une hiérarchie sociale issue de la fonction occupée … et en passant, comme si de rien n'était, l'auteur nous force à nous poser la question sur ce qu'est le pouvoir non pas en termes abstraits, mais à partir de situations très concrètes, où vont rivaliser différentes composantes : le partage des rôles entre les « femmes » et les hommes au sein de la famille, la prédominance du « mâle » sur les filles, la place, et pas seulement privilégiée, de l'aîné dans la fratrie ; tout cela n'est pas sans nous rappeler aussi ce que nos sociétés occidentales ont vécu par le passé. Cette évocation et aussi permanence d'un héritage n'empêche pas l'auteur de faire appel aux autres formes du pouvoir, celles que nos sociétés occidentales, par l'intermédiaire d'un colonialisme tapageur ont pu révéler aux sociétés colonisées : le pouvoir de l'argent, celui d'un rang social qu'il confère ; tout ce mécanisme est analysé en demi-teinte grâce en particulier aux aspirations de nombre de candidats à l'émigration. Et l'échec que met en lumière « Le Moabi » n'en devient que plus caricatural et aussi douloureux … car il signe la fin des illusions, celui de croire que le modèle occidental est transposable universellement, et qu'il faudrait mieux pour les anciens colonisés trouver un autre modèle beaucoup plus conforme à leurs origines.
C'est ce qui fait la grande force de ce roman, c'est, malgré ses faiblesses, de nous plonger dans cette problématique et de nous obliger à porter un regard nouveau sur tous ces pays qui méritent beaucoup mieux que notre condescendance d'anciens colonisateurs.
PS Editions Gallimard, 2016, 227 p., 18€
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