Le cadre : la Provence, et en particulier les Maures,
Les acteurs principaux : un couple d'adolescents, Louise et Luc, il n'a pas 15 ans ! ; leurs parents, le père de Louise et la mère de Luc sont même amants !
Une très belle jeune femme, Hélène, la maîtresse de Paul, un aventurier riche et extravagant à souhait, qui possède un tigre, Nabucco.
Et justement ce Nabucc(hodonosor) va s'échapper et mobiliser tout ce que la Provence, peut compter de gendarmes et de militaires pour le retrouver … mais inutilement, seul un autre aventurier et spécialiste des tigres, un certain Corbett va réussir à mettre la main sur lui .
Autour de ce schéma se greffent des tas de situations secondaires, le suicide manqué de Matthieu, le père de Luc, qui n'accepte pas d'être trompé !, ou encore les aventures de Hélène en Thaïlande chez des moines bouddhistes, et en Birmanie …
Roman d'aventure qui sait nous enchaîner pendant les neuf dixièmes. Tous les éléments sont là pour nous séduire.
Une construction fine où alternent aussi bien les scènes légères (on badine beaucoup dans ce roman, mais avec beaucoup d'élégance, à l'instar de ce Corbett qui va tenter de séduire une femme, Mathilde éleveuse de sangliers, et qui héberge le tigre fuyard, mais aussi comme cet Antoine, quadragénaire, qui essaye d'embobiner une Louise qui n'est pas loin de succomber !)
scènes plus graves : celles, par exemple, où le mari trompé, pathétique, rate son suicide et tente dans un dernier sursaut d'illusions de renouer avec son passé.
Ou encore scènes beaucoup plus insolites : les relations d'Hélène avec les moines bouddhistes ou avec leurs animaux fétiches, les tigres, jusqu'à ce qu'elle découvre un autre animal, un roi de la jungle thaïlandaise.
On connaît l'art littéraire de Patrick Grainville ; cette facilité avec laquelle il manie la langue française rend ses œuvres toujours aussi délectables ; l'on ne sera donc pas surpris dans ce nouveau roman d'être encore subjugué par son art. Ce qui étonne encore et toujous, c'est que son style est tellement naturel qu'on ne remarque plus tout ce qui en fait la valeur.
Roman où l'auteur mur, laisse parler aussi ce que l'âge peut lui imposer ! Troublant ces trois personnages qui ont dépassé la soixantaine ; deux, Antoine et Corbett, rejetés en tant que séducteurs par la jeune Louise, pour le premier, et par Mathilde pour le second, n'ont plus la rébellion des éconduits, mais l'acceptent avec la fatalité de ceux qui ne peuvent pas avoir été et être ! Il y a une résignation que seule la sagesse de l'âge sait imposer ! Quant à Paul, elle intrigue cette liaison qu'il entretient avec Hélène ; certes compte l'aspect purement matériel presque vénal, cynique même ! Mais il y a en eux et entre eux une autre soif, celle de découvrir en fait ce qui peut fonder une relation intime entre deux êtres. On admirera la subtilité avec laquelle l'auteur va nous livrer ses réflexions, celles d'une part qui émanent de la triple correspondance qu'a Hélène avec Paul, puis avec Camille une amie intime, et enfin avec sa mère. Et d'autre part, elles seront magistrales avec cette « leçon » d'histoire de l'art que Paul donnera à Louise et Luc, à propos de Rubens et de cette passion qu'il mettra à peindre le tigre dans nombre de ses tableaux.
Et l'on revient à la trame même du roman : serait-il à lire à deux niveaux, celui purement factuel, au premier degré, passionnant déjà en soi par son déroulement ? Et celui beaucoup plus symbolique : celui que représenterait pour l'humain cet animal (quel contraste entre l'analyse portée par Paul et celle que développe par la suite Hélène ! Cette divergence entre les deux étant alors une magnifique diversion littéraire pour mieux masquer ce que pense l'auteur ?)
Quelle signification donnée à la fuite du tigre ? D'abord celle qui l'a provoquée : Hélène s'en explique, volonté d'échapper à l'influence de Paul, besoin de se revendiquer comme un être aussi indépendant et absolu que lui, le tout caché par une réelle compassion vis-à-vis de l'animal ?
Le Tigre qui arrive à échapper à tous les dispositifs mis en place pour sa capture : serait-ce trop facile de dire qu'il s'agirait là de la volonté d'être libre qui échapperait à toute contrainte ? Car que signifie alors : cette union entre Mathilde et le Tigre, ou encore cette admiration sans borne qu'a Hélène pour ce même animal ? Mathilde et Hélène étant deux femmes exceptionnelles, cela voudrait-il signifier qu'il ne peut y avoir de relations totales qu'entre deux êtres exceptionnels ? Et que le fait, d'une part, que Mathilde laisse percer son secret -c'est elle qui nourrit et héberge le fuyard- et que d'autre part Hélène trouve tout à coup des tas de défauts au tigre, cela prouverait-il que toute relation exceptionnelle entre deux êtres serait vouée à l'échec ?
Quel pessimisme ?
C'est donc à une nouvelle lecture de son roman que Patrick Grainville nous invite.
Pourtant le dernier dixième est là qui interpelle ! J'avoue que je m'attendais à une toute autre fin, et que les dernières pages sonnent comme l'artifice le plus absolu … comme un aveu d'impuissance : il a bien fallu que l'écrivain trouve une quelconque conclusion, et cette projection dans un futur, quelques 25 ans plus tard, sonne plutôt comme une fuite en avant. Ces quelques dernières pages suffisent pour annihiler l'immense délectation que j'avais eue à la lecture de ce roman. Dommage !
Editions Seuil, 2016, 275 p., 19€
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