Il y a bien longtemps déjà que j'ai découvert le roman d'Aldous Huxley « Les diables de Loudun » ; je me suis alors demandé, lorsque j'ai eu entre les mains l'ouvrage de Frédéric Gros, ce qu'un auteur contemporain pouvait bien tirer d'un tel événement historique, tant il me semblait difficile d'arriver à égaler le maître anglais.
Ce « fait divers » a profondément marqué les esprits du 17ème siècle, du temps de Louis XIII ; Loudun petite ville dont la population est partagée entre Huguenots et catholiques voit arriver à la tête de son couvent d'Ursulines, une étrange religieuse Mère Jeanne des Anges, qui ne rêve que d'une seule chose, la grandeur pour son couvent et donc pour elle, la mère supérieure. Le démon va s'emparer d'elle et la possession satanique se propagera à d'autres religieuses. Un certain Laubardemont qui a intrigué à la cour, car l'affaire est remontée jusqu'au roi, va être chargé de régler au mieux cette affaire ; on trouvera facilement le responsable : c'est Urbain Grandier, le prêtre de la paroisse, bel homme et amoureux des femmes !, qui s'est forcément vendu au diable et qui a pris possession du corps des religieuses ! La grande machine est lancée : exorcisme des capucins, tribunal inquisitoire et supplices, tout est mis en œuvre pour faire avouer au curé … mais celui-ci va clamer continuellement son innocence, il avouera ses faiblesse humaines, ses péchés, d'avoir trop aimé les femmes, mais il récuse le crime de sorcellerie qu'on veut lui faire endosser, et ce, même devant le bûcher où il va brûler vif.
L'intérêt de ce roman, ce n'est assurément pas de décrire ce qu'est une possession (qui pourrait, du reste, encore croire en ce genre de balivernes, de contes dont on entourait, autrefois, les jeunes pour mieux les endoctriner dans l'amour d'une religion qui était tout … sauf amour précisément !) ; si l'auteur mentionne la lascivité de la mère supérieure ou des religieuses, c'est beaucoup plus pour ce qu'elle révèle de frustration, et de désirs humains, que pour fustiger des tentations charnelles, œuvres de Satan !
Et dans ce sens le roman est d'une modernité passionnante !
D'abord dans son analyse de la la religion : facteur autant de division (les Catholiques l'ont emporté sur les Huguenots, mais la tension reste encore très vive entre les deux communautés ) que de lien social (c'est tout le rôle du rituel de l'exorcisme qui n'a d'autre but que de souder des membres et de leur éviter cette tentation de quitter le giron de l'église. Car, autre point de modernité, -et qui n'est pas sans rappeler notre actualité- : la volonté du spirituel de garder son emprise sur le temporel est particulièrement démontrée, notamment dans l'attitude de Laubardemont, grand inquisiteur, digne d'une de ses prédécesseurs, un certain Torquemada. Mais le milieu catholique du 17ème siècle est aussi traversé de courants contradictoires, comme il l'est encore de nos jours : la fameuse querelle théologique sur le mariage des prêtres n'est pas prête de s'éteindre ; je ne sais si, comme il est écrit dans le roman, le prêtre Urbain Grandier a rédigé tout un livre sur le célibat des prêtres, en tout cas nombre de prêtres actuels se reconnaîtront dans la pratique qu'il a des femmes, et dans ce besoin qu'il a autant d'aimer que d'être aimé.
Modernité encore, que l'étude de la société d'une petite ville de province comme Loudun : les « notables » qui se réunissent dans des salons, il y a bien évidemment des clans, celui des Trincant, les traditionalistes, qui ne peuvent pas accepter que Grandier s'intéresse un peu trop aux femmes, et qui vont tout faire pour l'éliminer physiquement, le désignant publiquement comme suppôt de Satan qui s'est rendu maître des religieuses ; mais il y a les autres dont ce n'est pas encore l'heure, d'autant qu'ils ont perdu toute influence auprès du roi qui leur préfère un Richelieu et le Père Joseph ! Et les piques, aussi bien contre les premiers que contre les seconds, sont là, placées exactement là où il faut, qui montrent la vanités des premiers comme l'opportunisme des seconds : un petit cours de morale politique en raccourci, certes, mais tellement plaisant ! Avec quelques personnages, secondaires, mais d'une telle lucidité, comme l'archevêque de Bordeaux, par exemple, ou mieux encore au tout début, l'évocation d'un sage parmi les sages, Scévole de Sainte-Marthe
Et les individus dans tout cela ? Sympathique au possible ce prêtre, mais elles le sont tout autant si ce n'est plus, ces femmes qui marquent sa vie et en particulier cette Maddalena, qui attend un enfant de lui. Dans les dernières pages, l'émotion arrive à son paroxysme : entre résignation, et révolte qui amènerait au suicide, on n'arrive plus à distinguer quelle voie va choisir Maddalena ; et de fait cela n'a plus d'intérêt, tant elle est écrasée de cette vérité, elle ne verra plus jamais l'être qu'elle aime tant !
Que dire aussi de cette population, qu'on tente de manipuler, sans y arriver totalement ? On aurait presque peur de reconnaître certaines scènes que l'Islam intégriste nous a fournies.
Oui, j'ai beaucoup aimé ce roman ; il y a du souffle, de l'épique dans nombre de pages ; en sont la preuve sans doute la plus éclatante, ces dernières pages qui racontent la procession funèbre et la mort de Grandier. Cette progression dramatique au fil des étapes de son « chemin de croix », elle vous prend aux tripes ; certes, on sait, enfin on le devine, quelle en sera la fin, et pourtant on réussit à le vivre comme si on était réellement témoin de cet événement.
On ne se lasse jamais d'un style qui sait si bien jouer avec les nuances de la langue pour faire état aussi bien de sentiments, émotions, que de l'événement ou de l'histoire.
Comme j'aurais aimé que ce roman figurât parmi les quatre finalistes du prix Goncourt ! Malheureusement, ce n'est pas le cas et je le regrette vivement : il n'aurait pas absolument pas dépareillé au côté de « Chanson douce » ou de « Cannibales », et loin s'en faut, il aurait même un concurrent très sérieux ! Seule consolation en forme de souhait, le prochain roman de cet écrivain !
Editions Albin Michel, 2016, 297 p., 19,50€
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