Comme de nombreux « nordistes », je ne savais pas grand' chose de la cesta punta ; même, pour être franc, j'ignorais complètement qu'il s'agissait de la spécialité la plus spectaculaire de la pelote basque, dont je n'avais qu'une très très vague idée.
C'est donc le premier mérite de ce roman, nous faire découvrir ce sport dont le héros, Paul Katrakilis, qui s'est exilé aux Etats-Unis, et plus précisément à Miami, pour le pratiquer de façon professionnelle ; il nage dans le bonheur de vivre de ce qu'il aime, entouré de quelques très rares amis ; il ne gagne pas des cents et des mille, un fixe de 1800 dollars plus quelques rares primes en fonction de ses résultats ! Rien en comparaison de ce à quoi il pourrait prétendre si, médecin comme son grand'père et son père, il avait repris le cabinet familial, à Toulouse.
Et quelques semaines de bonheur extrême ; lors d'une grève où il ne peut plus travailler, il est embauché comme serveur dans une restaurant à la mode, tenu par une norvégienne, Ingvild, d'une remarquable beauté et jeunesse malgré sa cinquantaine ! Ce sera le coup de foudre …
mais voilà sans aucune raison apparente, la belle Ingvild met brutalement fin non seulement à cet amour mais aussi à l'emploi qu'occupait Antoine !
Complètement désemparé, il décide de prendre la succession de son père …
et il découvre le formidable secret de son père, secret dont il assumera aussi non seulement l'héritage mais aussi la pérennité : aider les patients à mourir dans la dignité ! Pourtant la succession ne s'arrêtera pas là : et il poursuivra le même cheminement que son oncle, sa mère et son père, Adrian … vous comprendrez que je n'en dise pas plus, ce serait détruire l'art du suspens que manie avec un réel talent l'auteur.
La progression est intéressante et le lecteur se laisse dominer par elle ; c'est d'abord l'anodin, enfin presque, un univers sans problème dont tout un chacun se satisferait ; un métier qui plaît, une voie tranquille, un confort certain, avec voiture et bateau, et par-dessus en prime, ou cerise sur le gâteau, l'amour qui arrive ! Que désirer de plus ? On surfe sur cet aspiration qui de tout temps a animée l'Humain : réaliser le bonheur sur terre, l'Eden enfin retrouvé ! On ne fait pas trop attention au passé familial, la bizzarerie de la mère qui vit une curieuse relation avec son frère, ou encore l'histoire personnelle du grand'père : on s'en amuserait presque, pensez, il se vante même, ce grand'père, d'avoir été un des médecins de Staline, oui le « grand » Staline, l'un des derniers médecins à l'avoir vu, y compris mort ! Non seulement il l'a soigné, mais il a même pu découper, une fois mort, une petite lamelle de son cerveau : quelle invraisemblance ne vont pas chercher les grands'pères !
Puis tout à coup un premier pallier : le père qui meurt, enfin qui se suicide d'une manière qui ne peut qu'attirer l'attention et susciter des tas d'interrogations ; le drame commence sur la pointe des pieds ; et tout s'enchaîne très rapidement, jusqu'au point culminant : ce secret à la fois médical et tellement humain que le père est obligé de garder pour lui, et qui est tellement lourd qu'on comprend alors qu'il n'y a pour lui d'autre solution que le suicide !
Troisième pallier, Paul confronté à la même problématique que son père et acculé à la même solution, même si on connaît la conséquence purement psychique de ce secret.
Entre chaque pallier, Paul tente bien de retrouver l'état de grâce qui l'habitait avant … mais c'est trop tard et l'on sent bien que le drame est en marche !
Emouvant ce roman l'est parce qu'il est aussi la démonstration que l'homme ne peut échapper à sa destinée : roman de la fatalité et aucune échappatoire possible, le libre arbitre n'est qu'illusoire ; l'attitude de Paul devient alors pathétique, et, comme dans la tragédie grecque, on assiste impuissant à la chute du héros que les dieux ont condamné. Elle est très étrange cette sensation que l'auteur réussit à distiller en nous : souhaiter vivement que la descente à l'abîme s'arrête mais hélas on sait que cela est impossible.
Emouvante aussi toute la réflexion sur la mort que nous propose l'auteur ! Pleine de contradiction, autant les deux médecins, le père comme le fils, font leur cette nécessité que le passage de la vie au néant se fasse dans la plus grande sérénité et grâce à la suppression de la souffrance finale, autant pour eux deux, ils sont incapables de la mettre en pratique et ils n'ont d'autre solution que d'affronter de façon violente la mort. Avec humilité mais aussi avec une très grande pudeur, l'auteur nous fait toucher là du doigt cet univers impitoyable et pourtant si humain auquel se trouvent confrontés les médecins face à la mort qu'il faut provoquer, lorsque la souffrance n'est plus humaine.
Emouvante encore cette apologie de l'amour ! Certes, la passion entre Ingvild et Paul, et on comprend quelle force a du avoir Ingvild pour y mettre fin ; mais on devine surtout, et après coup, que les raisons de cette dramatique rupture trouvent leur racine en fait dans cette farouche volonté que la vie l'emporte sur la mort … application romancée, mais oh combien juste, de la lutte d'Eros contre Thanatos. Mais l'éloge de l'amour, c'est aussi cette fantastique ambiguïté qui entoure la mère d'Adrian et son frère ; c'est encore cet amour qui unit Joey Epifanio, partenaire et ami de Paul, mais aussi responsable syndical, et sa femme Olivia Gardner : couple qui résonne pour Paul comme ce paradis auquel il n'aura jamais accès !
J'ai bien conscience que ce roman comporte encore tant de réflexions (comme sur la réalité sociale des travailleurs américains pas exemple!) qu'on ne manquera pas de me faire remarquer… mais le plus simple n'est-il pas de vous précipiter dans votre bibliothèque préférée ou chez votre libraire chéri pour vous procurer ce petit joyau ?
Editions de l'Olivier, 2016, 234 p., 19€
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