Louise, une nounou, vient de tuer les deux enfants, Adam et Mila, dont elle a la charge. Tout le roman va consister à faire découvrir ce qui a pu amener Louise à commettre l'irréparable.
Gageure pour l'auteur qui prend l'option de supprimer tout suspens, puisque le roman débute avec la découverte de ce double assassinat. On peut se demander alors si on ne va pas basculer soit dans l'univers à sensation, genre hebdomadaire « Détective » ou dans celui d'Agatha Christie.
Rien de tout cela ; au choc de la violence initiale, succède une atmosphère apaisée où règne le monde de l'enfance ; choyés et dorlotés par une nounou parfaite, Adam et Mila baignent dans une atmosphère d'où sont bannis tout problème, toute inquiétude et a fortiori toute source de conflit ; on sait seulement que la vie antérieure de Louise n'a pas été facile avec un mari qui meurt, la laissant à la rue, et une fille qui a disparu ; mais cela n'interfère absolument pas sur la vie des enfants et sur ce monde heureux qu'ils habitent.
Jusqu'à ces pages, celles du voyage en Grèce. C'est le point culminant du roman : elles signent la fin de l'état de grâce qui nous avait envahis tout le long de la lecture ; un épisode, le premier violent et très bref, celui où elle rabroue un des enfants qui veut la forcer à se baigner alors qu'elle ne sait pas nager ; et elle va le crier, comme si, tout à coup elle prenait conscience de l'énorme différence qu'il y avait entre elle qui n'a jamais su, enfant, ce qu'était l'amour des adultes, et qui, adulte, n'a jamais connu le joie et le bonheur d'une famille unie. C'est le début de la descente ; la courbe s'est inversée, et petit à petit les difficultés vont apparaître menaçantes. Jusqu'à ces autres cris de révolte de Louise, ceux provoqués par la misère dans lequel elle vit, et ces épisodes poignants où ses patrons, les parents des enfants qu'elle aime, reçoivent un avis des impôts comme quoi ils vont être obligés de retenir sur son salaire les sommes qu'elle doit aux impôts, ou encore cette scène avec son logeur …
Nous n'en prenons pas immédiatement la réelle mesure, mais nous sommes en présence d'un roman « social » : tout oppose Louise au milieu qu' elle est appelée à fréquenter quotidiennement par son métier ; les parents ont parfaitement réussi leur vie professionnelle, en ce sens qu'ils ont toutes l'aisance qu'ils peuvent souhaiter, alors qu'Elle, Louise, ne tire aucun bénéfice matériel de son métier ; il ne lui permet même pas de vivre. Pire pour elle, le seul homme sur qui elle a pu compter, son défunt mari, lui a laissé tellement de dettes, qu'elle a non seulement perdu le peu de bien qu'elle pouvait avoir, mais qu'elle est incapable d'éponger ses dettes, y compris au niveau des impôts !
Opposition encore plus redoutable, celle purement affective : certes elle a l'amour des enfants, Adam et Mila, mais quel contraste avec l'échec affectif qu'elle a pu avoir avec Stéfanie sa propre fille, qui est un beau jour disparue et n'a jamais plus donné signe de vie ! Quel contraste aussi entre sa solitude affective et cet amour totalement accompli que vivent les parents des enfants dont elle s'occupe.
On devine cette rancoeur qui se fait graduellement jour en elle et qui ne peut que se transformer en une haine complètement irrationnelle et irraisonnée. Haine dont elle ne peut se défaire, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas d'autre alternative à sa vie, et qu'elle est condamnée à n'être toujours qu'une ratée qui ne peut que s'occuper d'enfants d'un monde privilégié et à jamais inaccessible pour elle !
Du reste, pour bien nous rappeler qu'il y a eu un drame épouvantable, quelques pages viennent couper cette lente descente, et évoquer quelques aspects particulièrement douloureux et pathétiques, comme le cri de la mère découvrant ses deux enfants assassinés et Louise suicidée.
Un roman parfait donc ?
Hélas, non, car la fin déçoit ; remarquable sans nul doute, la capitaine de police qui a mené l'enquête et qui jouer le rôle de Louise dans la reconstitution du crime ; enfin, elle nous apparaît comme telle dans sa volonté de rechercher les causes du geste de la criminelle. Le lecteur lambda que nous sommes, cherche à savoir quelle cause, à laquelle il n'a pas pu penser va lui être révélée. Et là j'avoue ma déception, celle de constater que toutes les pistes sur les différences sociales énoncées par l'auteur tout le long de son roman sont reprises, synthétisées par le capitaine … mais qu'il n'y en a aucune autre !
Mais que cette déception, réelle, ne nous fasse pas oublier tout le reste : un bon roman, bien écrit, bien ficelé ; un goncourable honorable !
Editions Gallimard, 2016, 227 p., 18€
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