« Nuit Franquiste sur Brest », dans cette exposition, Quai des Bulles nous permettait de découvrir un événement que j'ignorais totalement (mais étais-je le seul ?) et qui a marqué Brest en septembre 1937. En pleine guerre d'Espagne, un sous-marin républicain, avarié, trouve refuge dans la rade de Brest. C'est l'époque du Front populaire en France, qui voit aussi s'affronter les défenseurs - essentiellement des anarchistes et des communistes - des Républicains Espagnols, et la droite et l'extrême-droite, essentiellement le PSF et la Cagoule, pro-franquistes en diable. Quant au gouvernement du gauche, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il pratique une politique de neutralité dans ce conflit et de ce fait ne prend aucune initiative qui pourrait lui faire croire qu'il penche pour tel ou tel des belligérants. Toujours est-il que ce sous-marin à Brest l'empoisonne au plus haut point ! Hors de question de laisser le sous-marin procéder aux réparations, mais hors de question aussi que les franquistes ne s'en emparent ! Car c'est bien là tout ce qui va faire l'actualité de Brest en septembre 37 : empêcher que le sous-marin ne soit récupéré par les franquistes ; si pour ce faire, ces derniers n'hésitent pas à envoyer leurs services secrets les plus éminents, les républicains espagnols peuvent compter sur l'appui des syndicalistes, communistes et anarchistes de Brest pour empêcher le départ du sous-marin.
On devine évidemment la suite : les franquistes échoueront dans leur tentative.
C'est donc cet épisode que nous raconte la BD de Cuvillier-Gallic et Krys. Je ne suis pas un grand spécialiste de ce genre qu'est la BD, mais il est évident qu'on est ici en présence d'une totale fusion entre fond et forme. Narration sobre, mais non dénuée d'humour, surtout lorsque le narrateur, le fameux agent X-10 commente. Il y a une filiation évidente avec un certain Tardi (un de mes auteurs chéris de BD) ; point de grandiloquence ni de verbiage, ce qui n'empêche absolument pas de deviner où vont les préférences politiques des auteurs (inutile de vous les préciser … ce serait gâcher le plaisir que vous aurez à les découvrir). On relèvera aussi la sûreté dans la narration, surtout lorsqu'il s'agit de mélanger les deux actions parallèles, celles des Franquistes, venus d'Espagne, et celles des Républicains Français. C'est tellement bien ficelé qu'il n'est même pas besoin d'utiliser, comme dans l'art romanesque, des transitions : c'est le but final, la maîtrise du sous-marin, qui sert de trame, et qui donc assume tout naturellement le rôle de transition lorsqu'on passe d'une action à une autre.
Quant à la forme, là-aussi la référence à Tardi s'impose (ce ne doit sûrement pas être la seule, mais c'est celle qui me vient spontanément à l'esprit). Le réalisme aussi bien des différents cadres, celui de la boite de nuit, par exemple, ou encore du sous-marin, est suffisamment évocateur pour qu'on se retrouve tout de suite plongé dans l'action ; de même qu'est croquée avec justesse l'expression nombre de mimiques des personnages qui nous permettent de mieux cerner et leurs personnalités et leurs intentions. Justesse, c'est le terme exact, celui qui convient parfaitement pour montrer à quel point il y a adéquation entre le récit et la forme choisie par les auteurs. Il correspond en tout cas totalement à l'idée que je me fais de la BD, celle qui s'est fait jour dès le quattrocento italien où les peintres italiens dans leurs fresques racontaient les exploits bibliques en se servant des décors et costumes de l'époque. Que l'on pense au Ghirlandaio de Santa Maria Novella à Florence, et l'on a la définition parfaite de la BD d'opinion actuelle.
L'on appréciera d'autant plus la BD de Cuvillier, qu'elle est suivie d'un texte de Patrick Gourlay, qui analyse l'affaire de ce sous-marin et le replace avec force détails dans le contexte historique des années 37. Si l'exposition que Quai des Bulles reprend en très grande partie ce texte de Courlay, il est aussi un complément indispensable à la lecture de la BD : qu'on le lise avant ou après (comme moi, mais j'avoue qu'ayant vu l'exposition, j'avais en tête nombre de notions historiques de la BD), peu importe : les faits analysés et rapportés sont tellement riches de réflexion et d'enseignement que chacun y trouvera bien plus que son compte.
Eontos devrait se pencher un peu plus sur le monde de la BD, et ne pas se contenter seulement d'un événement, aussi prestigieux fût-il, comme « Quai des Bulles » dont Saint-Mao nous régale chaque année !
PS Editions Futuropolis, 2016, 79p., 16€
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