Joseph Incardona : Chaleur
Dans la Finlande profonde où l'on s'ennuie beaucoup, a été créée une curieuse manifestation, le championnat du monde du sauna : il s'agit de rester le plus longtemps possible dans des pièces d'un sauna chauffées à 110° ; évidemment celui qui gagne, c'est celui qui sort en dernier. Ce concours a eu lieu pour la dernière fois en 2010 et s'est terminé par une tragédie, avec la mort d'un deux finalistes, un russe.
L'auteur s'est servi de ce fait divers pour bâtir son roman. Il a changé, selon ce qu'il écrit dans une note à la fin de l'ouvrage, les protagonistes, et quelques circonstances, comme le règlement du championnat. Il en résulte un roman, quelque peu déconcertant.
Déconcertants ? Les personnages principaux, c'est-à-dire les finalistes. Hors normes – et comment ne le serait-on pas, lorsqu'il s'agit de concourir pour une telle futilité ? - ils le sont, comme est le choix que l'auteur a fait du statut social qu'il leur accorde : on est peu accoutumé à ce que de tels personnages deviennent des héros de roman ! Que restera-t-il de ce lien entre une réalité sordide, une référence à des faits tellement marginaux et la pérennité de l’œuvre d'art ? Seulement artifices pour intéresser un peu plus le lecteur contemporain devenu familier de ces faits de société, ou avides de faits divers les plus insolites ou en tout cas rarissimes ? Ou seulement procédés pour déboucher sur … ? Allez savoir ?
Prenez le concurrent finlandais, Niko Tanner : qu'est-il dans le civil ? Star masculine (1) porno ; et avec tous les clichés ! Que ce soient les nanas qui lui tombent toutes dans les bras, et qui, pour ce faire, sont prêtes à tous les subterfuges (comme prétendre être journaliste), ou que ce soit ce monde souvent associé au porno, celui de l'alcool et de la drogue. S'il n'y avait eu que ces passages, alors, oui, je m'en serais vite lassé au point, sans doute, d'abandonner ce roman. Pourtant, encore une fois l'expérience m'aura donné raison : même au milieu de ce qui pourrait être insupportable, on arrive à trouver quelques éléments narratifs ou réflexifs qui retiennent l'attention : comme par exemple, derrière cette simulation parfaitement maîtrisée et donc réussie de l'acte amoureux, est tout à coup mise en évidence une toute autre réalité qui est diamétralement opposée, l'aspiration à l'essence même de l'amour : l'acteur porno et son double féminin, Loviisa ne connaissant en définitive et ne recherchant que l'amour qu'entre eux deux, et seulement entre eux deux seuls !
Le concurrent russe, Igor, mérite aussi toute notre attention ; ce n'est pas le premier imbécile venu : sous-marinier nucléaire, ayant connu des situations désespérées, il a aussi vécu une tragédie familiale en perdant sa femme. Mais voilà par une coïncidence que les romanciers savent trouver, ce héros est frappé d'un cancer incurable, parce que décelé trop tardivement ; et l'on apprend très rapidement que ce sera sa dernière participation à ce championnat, qu'il n'a jamais remporté, ayant été toujours battu en finale par le finlandais. Que vient-il donc chercher dans ce concours aussi stupide ? Une espèce de rédemption, finir en « beauté » sa vie, ne serait-ce que pour prouver à sa fille, qui, comme de juste, assistera à sa mort, qu'il n'est pas seulement le « salaud » qu'il lui a semblé être.
Et c'est à ce niveau de lecture que ce roman, malgré tous ces aspects superficiels devient intéressants : car, si vous ne gardez stricto sensu que ce que vos yeux lisent, alors, oui, vous risquez un mortel ennui, par contre il faut absolument lire entre les lignes, et tenter de deviner ce que les personnages mis ainsi en situation peuvent signifier.
J'aime ce Révérend (sans pour autant m'assimiler à lui !), qui, victime de sa lubricité, tente le défi de ce championnat pour provoquer intellectuellement ce Dieu qu'il est pourtant censé servir ; il y a un côté dostoïevskien dans ce personnage ! Karamazov est tout proche.
J'aime ce Niko (sans pour autant m'assimiler à lui ! - bis) : de la même façon qu'il veut repousser ses limites en ayant dans tant et tant de films porno le plus grand nombre de partenaires, de la même façon il entend obliger son corps à dépasser ce que les seules lois physiques imposent.
J'aime aussi Igor : caricature de l'homo sovieticus ? Mais avant, n'y-a-t-il pas eu l'homme Russe ? J'ai parlé plus haut de rédemption, mais que signifie-t-elle en réalité pour lui ? Si ce n'est réussir à trouver enfin une adéquation entre un de ses actes, en l'occurrence le dernier, et ce qu'il a toujours recherché sans jamais pouvoir faire le lien.
En définitive ce qui me plaît chez ces trois hommes, c'est que même s'ils sont de parfaits représentants de systèmes totalement différents, ce sont des grands rebelles en quête de leur profonde identité.
Si vous avez en tête ces réflexions, ce second degré de lecture, vous ne lirez pas les aventures de ce roman, comme de simples anecdotes ; vous verrez alors qu'elles s'intègrent dans cette quête et qu'elles aussi prennent une toute autre dimension.
Bon, pour conclure, je ne fais pas de ce roman le chef d’œuvre impérissable, et ce n'est sûrement pas celui que j’emmènerai sur une île déserte ; mais une fois vaincues les premières réticences, face à la description de faits de société qui ne m'intéressent guère, j'avoue que j'ai pris à la lecture de cet ouvrage un certain plaisir.
-1 j'aime beaucoup quand par les hasards de la langue, le masculin devient féminin ! Cette figure de style porte un nom, mais je l'ai oublié, et je suis persuadé qu'il ne manquera pas un de mes lecteurs qui saura me la rappeler !
PS Editions Finitude, 2016, 147 p., 15,60€
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