A Vous sans Autre : un excellent concert !
Mais non, je n'exagère pas, et si vous avez assisté comme moi à l'un des trois concerts que ce petit choeur vient de donner, vous en serez ressorti avec un rare bonheur, celui d'avoir réellement entendu de la musique avec un goût d'achevé plein les oreilles.
Pourtant le programme n'était pas des plus faciles !
Pensez ! Commencer par des extraits de « Israelbrünnlein » (Les Fontaines d'Israël) de Johann Hermann Schein, n'est pas chose aisée. Le compositeur (1586-1630) a beau écrire sur la partition qu'il a écrit son œuvre « à la manière d'un madrigal italien », il n'empêche que nous sommes quand même assez loin d'un Carlo Gesualdo ou d'un Claudio Monteverdi, pour ne citer que les deux plus grands madrigalistes italiens. Je me lasse très rapidement de ce style vertical, froid et austère … j'avais trop en mémoire les précédentes versions que le même choeur avaient déjà données mais sous une autre direction.
Et c'est aussi à cela qu'on se rend compte de l'importance de la personnalité d'un chef. Non seulement j'ai réussi à supporter cette œuvre, mais mieux j'y ai pris beaucoup de plaisir : la disposition en voix mélangées, transformant du coup chaque exécutant en soliste, n'ayant qu'à compter que sur lui … et sur le chef. Et pour compter sur ce dernier, il faut avoir totalement confiance en lui, au point de ne plus appréhender les quelques passages où l'on n'est pas totalement sûr de soi.
Et c'est cette confiance qui transparaît immédiatement. De cette énorme qualité une grande partie de l'exécution dépend ; les choristes maîtrisent l’œuvre non seulement solfégiquement parlant, mais ils se la sont complètement approprié ; et du coup, ce qui est froid, purement architectural, parle à vos oreilles comme si ces psaumes de Schein vous étaient aussi familiers. L'on apprécie la pureté des voix ; Dieu, ce que les soprani ont pu être belles – pour une fois que je fais leur éloges!- je les aurai presque préféré aux basses, dont la profondeur et la clarté restent toujours séduisantes ! Vous faut-il parler des deux autres pupitres, alti et ténors ? J'attends la seconde œuvre vocale majeure proposée !
Mais la confiance au chef si elle est fondamentale, n'est pas pour autant suffisante ; il faut être aussi musicien pour réaliser ce qu'il demande. Frappantes apparaissent alors les qualités de ce chœur : précision des attaques, pas une bavure dans les fins de phrase, une prononciation homogène, un respect des nuances, bref une très bonne technique dont se réjouit et se délecte le musicien qui écoute cet ensemble.
Autres moment impressionnants de ce concert, ces deux pièces pour orgue que Damien Simon, également professeur d'orgue, nous a interprétées.
D'abord de Johann Gottfried Walter (comme par hasard un cousin de J.S. Bach) la Partita sur Jesu meine Freude, motet de J.S. Bach que nous entendrons en fin de concert. L'orgue baroque est sans doute moins brillant que celui romantique, voir moderne ; mais il offre un avantage certain, c'est de nous faire découvrir toute la palette sonore qu'il possède, et nous avons été gâtés ; grâce à elle, les variations nous font découvrir toute la richesse du choral initial. Régal !
Qui s'est prolongé et amplifié avec l'autre œuvre, la fantaisie et fugue BWV 542 de J.S.Bach ! Oeuvre redoutable s'il en est, il suffit de se plonger dans la partition pour que l'immensité de sa complexité et de ses difficultés apparaissent ! « Il y en a des notes » dira modestement Damien Simon à la fin de ce concert ; certes, mais c'est bien plus que des notes ! Quelle comparaison pour faire comprendre la grandeur de cette œuvre, c'est la Pietà de Michel-Ange face aux « mater dolorosa » des plus humbles sculpteurs de la première renaissance, qui n'ont bien souvent d'intérêt qu'historique et se situant dans une évolution de l'art. Toute la complexité de l’œuvre nous est apparue aussi clairement que si nous la jouions aussi : les deux niveaux de la fantaisie, et le thème avec ses quatre expositions et leur développement avec une conclusion lumineuse par excellence grâce à son accord de sol majeur !
Restait donc la dernière œuvre !
Et tout à fait entre nous, j'avoue que j'ai admiré le chœur qui a réussi à se « réintroduire » dans l'atmosphère de concert, après avoir entendu la pièce maîtresse précédente ! Je ne pense pas, pour ma part que j'en aurais été capable.
Pourtant, ils ont réussi, et ils ont tenu la vingtaine de minutes que dure ce magnifique motet « Jesu, meine Freude » : une sacrée performance ! Car il n'est pas évident de passer de l'une à l'autre des 11 parties qui composent l'oeuvre ; atmosphères différentes, tempi différents, formes différentes : tout n'est que différence, et pourtant tout garde une remarquable unité. Là encore c'est le rôle du chef de réussir à ce que le choeur arrive à retranscrire l'unité dans la différence ; Il faut donc tirer un grand coup de chapeau, car le résultat était à la hauteur ; avec des passages, comme la répétition des « Trotz » dans la 5ème partie ; ou cet autre passage, où les basses se taisant, les soprani, alto et ténors dialoguent à trois : la fusion des trois voix est telle que l'on passe de l'une à l'autre dans un continuum, résultat d'un très grand travail de finesse.
Et en ce qui concerne l'ensemble des voix, quelque chose m'a frappé pour la première fois dans ce concert : à quel point les voix peuvent se situent à deux niveaux différents sans que cela ne porte en rien préjudice à la qualité vocale : une homogénéité, qualité première que l'on demande à n'importe quel choeur, ce qui permet de le juger en tant qu' « instrument » collectif, et en même temps la reconnaissance vocale ; bien sûr, je connais nombre des chanteurs, avec qui j'ai eu le plaisir et la chance de chanter, mais il faut que l'ensemble se connaisse particulièrement bien, et que chacun ait conscience du jusqu'où il peut aller sans pour autant nuire à l'ensemble.
Il ne faudrait pas non plus oublier dans cette réussite, la part d'une petite main (ou plutôt deux petites mains !) celle de l'organiste, Pascal Tuffery, qui a eu la délicate mission d'accompagner au positif les deux grandes pièces vocales !
Oui, un grand chœur, un grand chef, et à qui l'on ne peut que souhaiter d'innombrables et immenses succès !
Commentaires