Asli Erdogan : Le silence même n'est plus à toi
Depuis août 2016, Alsi Erdogan est emprisonnée. Son crime ? Avoir osé s'élever contre le président Erdogan et son régime qui, déjà bien avant le coup d'Etat manqué de juillet 2016, s'en sont pris aux libertés individuelles et à tous ceux qui prétendaient les défendre de quelque façon que ce soit.
Un dictateur trouve toujours de bonnes raisons pour embastiller ceux qui se permettent de le critiquer. Que soient donc remerciées les éditions Actes Sud qui nous livrent quelques-uns de ces textes qui ont, paraît-il, justifié l'incarcération d'Asli Erdogan !
Ces pages sont remplies d'allusions à la terrible situation que connaît la Turquie sous la dictature d'Erdogan ; emprisonnement bien évidemment des personnes qui « gênent » à commencer par les journalistes et autres intellectuels (comme elle est frappante cette constante dans toutes les dictatures : s'en prendre aux livres et personnes dont la fonction sociale est, précisément, de favoriser la réflexion : on ne peut s'empêcher de penser aux autodafés de livres sous Hitler ou sous la dictature des colonels grecs dans les années 1970) ; plus émouvantes encore, les évocations des chers disparus :
« Autrefois j'ai aimé quelqu'un. Les oiseaux parlaient avec lui. Et si je demandais à ces deux tourterelles trempées qui se sont réfugiées sur le rebord de la fenêtre : « Où est-il à présent ? »
Aimer ceux qui, par dissidence, s'opposent à un régime, est déjà un crime de lèse majesté que le dictateur Erdogan ne saurait supporter ; mais il y a pire : soutenir des causes que le même dictateur refuse de reconnaître ! Oser parler des génocides dont ont été victimes les Arméniens au début du 20ème siècle, tout cela est intolérable pour le même dictateur, qui prétend au mépris de toutes les preuves historiques que la victimisation des Arméniens est le fait d'Européens qui ne veulent que du mal à la Turquie ! Prendre la défense des Kurdes dont le seul tort est de vouloir vivre sur le sol historique de leurs aïeux, alors que cela est aussi insupportable pour le toujours même dictateur qui ne veut absolument pas lâcher un pouce de terrain.
Et pourtant, Asli Erdogan a osé prendre la défense des uns comme des autres : alors pour la faire taire, pour l'empêcher de proclamer que :
« La liberté est un mot qui refuse de se taire. »
rien de tel qu'un séjour à durée indéterminée dans une des tristement célèbres prisons, celle de Barkiköy à Istanbul.
Et elle parle avec prémonition de ce qu'elle doit subir maintenant : la torture. Car dans les geôles de la Turquie moderne, on n'hésite pas à l'employer !
« Evidemment il y a des traces, qui même dix ans après, ne cicatriseront jamais, il y a les rapports de médecins dénonçant mille humiliations et passages à tabac, il y a un homme mort au cours d'un interrogatoire à trente sept ans, il y a cette toute jeune fille qui a été violée, il y a les rapports d'autopsie … »
Ce n'est pas anodin si la romancière nous parle d'Auschwitz, des nazis : exagère-t-elle vraiment en comparant la situation de son pays à celle qu'ont imposée en Allemagne et dans une partie de l'Europe, les nazis ? Non pas vraiment ! Car la main mise idéologique est aussi grande, l'oppression aussi évidente ! On comprend alors comme sa souffrance doit être insupportable ! Il suffit de lire cet admirable petit texte, il ne fait que quatre pages, et intitulé « Dans un immeuble en feu » … allégorie douloureuse de ce qui se passe en Turquie actuellement !
Reviennent de façon obsédante, tous les grands thèmes qui ont fait la valeur de l'écrivain : la solitude, y compris celle qui lui fait parcourir de nuit les cœurs de cités, l'absence de l'être aimé, la solidarité avec tous les opprimé(e)s, cette quête insatiable de la justice et de l'égalité ! et ce dans un style qui sait nous surprendre au moment où on s'y attend le moins :
« Ce requiem, c'est le mutisme rouillé qui nous saisit lorsque nous regardons les étoiles ou que nous cherchons parmi les tombes, ceux que nous avons aimés … Lorsque nous versons de l'eau dans la mer en espérant que les noyés la boiront … »
PS Editions Actes Sud, 2017, 171 p., 16,50€
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