Patrick Rambaud : Chronique d'une fin de règne
Les textes ne manquent pas dans la littérature qui frappent fortement n'importe quel lecteur (autrement dit, tous les lecteurs) ; et dans le champ de la satire politique, et notamment dans les journaux, une chronique, comme « La Cour » parue, dans le Canard Enchaîné, tout le long de la présidence de Charles de Gaulle, a non seulement impressionné, mais sans nul doute influencé tant et tant de futurs écrivains. Parmi ceux-ci comment ne pas mentionner Patrick Rambaud. Je dois, bien évidemment faire abstraction de son immense talent de romancier, tel que nous avons pu le découvrir dans son roman « La Bataille » couronné d'un prix Goncourt.
J'avais tellement admiré son talent de « chroniqueur » à l'antique, dans ses quatre ouvrages qu'il avait consacrés au « règne » de Nicolas Sarkozy ; un modèle du genre que je n'avais pas manqué de souligner, avec mon enthousiasme habituel, lorsqu'ils avaient été publiés.
Mais les premières chroniques qu'il a consacrées au « règne » de François Hollande m'avaient interpellé ; si j'avais reconnu sa verve, son art de croquer en quelques mots les personnages, il m'avait semblé percevoir déjà une déception sourde, comme si une part très importante de ses espérances avaient trompées, pire abusées. J'avais partagé son état d'esprit, d'autant plus que par delà ces mots qu'il savait aligner bien mieux que moi, c'était aussi toute une part très important de notre vision politique (j'écris notre, parce que j'avais l'impression que nous avions tous les deux les mêmes aspirations) qui était mise en avant et était battue en brèche alors même que nous aurions pu et dû la voir confirmée.
Intellectuellement, culturellement, linguistiquement, littérairement, dans ce dernier ouvrage, c'est la même satisfaction, les mêmes plaisirs : le sens inné de l'adjectif percutant (encore une fois, la justesse de précision pour qualifier François Hollande ou Nicolas Sarkozy dans une situation bien précise), des formules chocs, des ruptures de phrases fort appropriées, des clins d'oeil tant historiques, anecdotiques, que profondément culturels, toutes ces petites choses qui rendent si vivant tout texte.
On sera sensible aux moments que l'auteur a choisis d'évoquer ; avec une large place aux attentats terroristes, jusqu'à la fameuse bavure de la déchéance nationale, première grande fracture entre le Président de la République, les représentants du peuple et par voie de conséquence le peuple lui-même. On se régalera de quelques portraits, Bolloré par exemple, on se divertira aussi des ruses du pouvoir, comme le fameux café offert « spontanément » par Lucette Brochet ! On appréciera aussi les analyses politiques sous-jacentes, celle de l'opposition intergénérationnelle (tellement évidente au sein de l'opposition entre un Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et tous ces jeunes loups aux dents longues !), mais aussi cette autre opposition entre les familiers de la politique et les autres qui n'aspirent qu'à l'être. On se délectera aussi de ces autres analyses qui dénoncent le faux clinquant de certaines mesures (scolaires ou culturelles), prises beaucoup pour flatter le peuple que pour favoriser en lui la réflexion politique. Et comme on se sent proche de tout ce qu'il peut dire sur le terrorisme.
Un immense regret, mais, hélas, l'actualité ne se commande pas ! Ce livre s'arrête juste avant le « scandale » Fillon ou si l'on préfère cet énorme coup de tonnerre qu'a constitué le « Pénélope gate » et tous les bouleversements qui en ont découlé pour la politique française, jusqu'à l'élection de notre nouveau président de la République. Mais en même temps un espoir, que la plume de Patrick Rambaud puisse rendre compte de tout ces chamboulements politiques, jusqu'à l'immonde trahison du PS vis-à-vis de son pourtant candidat Benoit Hamon.
Etonamment, de pur témoin de la réalité politique et événementielle qu'il a été comme nous, Patrick Rambaud deviendrait presque le porte-parole de ce que nous avons pu ressentir nous-mêmes durant toute cette période, que ce soit lors de grands moments de rassemblement national (après les attentats de Charlie Hebdo ou de Nice) ou que ce soit -et c'est très drôle- les clivages, querelles et autres dissensions à l'intérieur de la famille Le Pen !
Un immense plaisir donc …
et pourtant … ces dernières chroniques me laissent sur ma faim.
Si ce dernier volume fait montre d'un métier et d'une technique totalement maîtrisés, quelque chose me gêne : c'est très beau, mais d'une froideur qui fait mal ; j'ai l'impression d'un artiste qui possède toutes les ficelles de son métier, mais qui refuse de se laisser aller, d'y mettre totalement du sien, de livrer ne serait-ce qu'une once de sentiment !
Dommage ! Je comprends parfaitement que l'auteur ai été choqué dans sa conscience de nombre de mesures que François Hollande a pu prendre en totale opposition avec ses déclarations de campagne, qu'il ait même pu se sentir trahir -comme tant d'autres!)- par une telle attitude, mais pourquoi une telle pudeur et refuser de laisser percer ses propres sentiments ? Lui qui y avait si bien réussi lors de ses chroniques sur le règne de Nicolas 1er.
Mais malgré cette réserve, ne gâtez pas votre plaisir !
PS Editions Grasset, 2017, 208 p. 16,50€
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