Hôtel 5 étoiles, certes ; chambre spacieuse, aérée, confortable, avec mini frigo et boissons à volonté …
Mais avec un bruit de ventilation ou climatisation, incessant et impossible à arrêter : très gênant pour dormir, m’y habituerais-je ? ou encore une salle de bain, dont la baignoire est pratiquement inutilisable comme telle puisque le bouchon ne fonctionne que très partiellement ! ou encore (bis !) un coffre-fort qui fait seulement une belle figuration puisque sa porte reste immuablement et incompréhensiblement fermée, malgré toute la lecture appliquée que je peux faire de la brève notice d’explications (il faut bien avouer que là, c’est de la malice de ma part : car où sont donc les fortune que j’aurais et qui devraient être conservées jalousement, on ne va quand même pas faire le coup de la cassette d’Harpagon !) … ces quelques défauts seront réglés sûrement dans la journée : il suffira seulement de les mentionner à l’accueil.
Temps magnifique, ciel lumineux …
Cette relation va-t-elle se transformer en carnet de bord ou de navigation ? Cela plairait à Charles, le Samuel de Champlain ou Jacques Cartier de notre groupe !
Alors, ce soir, que reste-t-il de cette journée ? Un bouillonnement, une effervescence indescriptibles qui contrastent tellement avec cette douce nonchalance à laquelle nous ont conviés Dame Nature et son cortège de présents : chaleur et beauté des couleurs qui forcent nos appareils photographiques !
Il faut être complètement barjo, ou alors adolescents inconscients pour se taper cinq ou six kilomètres avec une côte redoutable, celle de Sidi Drif, et en plus en pleine chaleur. Car il faut dire que nos organisateurs ont vu grand et n’ont pas trop pensé que nous ayons pu quelque peu vieillir : partir de La Marsa, pour rejoindre Sidi Bou Saïd, dans un itinéraire nous rappelant notre jeunesse, d’il y une bonne cinquantaine d’années, il fallait oser ! D’autant que ce qui n’était autrefois que chemin de terre, terrains vagues, s’est transformé en routes, terrains privés sur lesquels sont érigées de très coquettes villas … vous dire nos souvenirs d’autrefois serait de l’ordre du pur imaginaire !
Qu’importe que la sueur dégouline de nos fronts ou plaque nos chemisettes sur nos corps ! Qu’importe que nos jambes soient un peu plus lourdes et que notre souffle plus court ! Tout cela ne compte plus, demeurent encore présents ces paysages, cette mer, cette piscine qu’était la notre où nos performances athlétiques étaient à la hauteur de nos âges …
comme c’est étonnant, il me revient ces trajets épiques que nous faisions sur la vieille 203 familiale de notre économe : et je me souviens encore de ces pneus arrimés sur la galerie, nous grimpions dessus et nous dévalions à toute vitesse la piste jusqu’à La Marsa … De quoi horrifier tous les gendarmes de nos jours, et pourtant jamais nous ne ressentions le moindre danger. Car il y avait une telle confiance en nos éducateurs, en ces pères qui savaient se dévouer, et aussi nous inculquer quelques notions élémentaires dont nous n’avons pu nous séparer, quelques soient les chemins différents que nous avons tous pris ; et je pense à ce sens de l’effort ! Comment voulez-vous tenir des jeunes adolescents, contenir leur vitalité et toutes ces ardeurs prêtes à exploser autrement qu’en leur imposant une importante défense physique. Je vois au fur et à mesure que je gravis cette colline de Sidi Drif, les visages de ces pères, étrange, je ne peux mettre que deux noms alors que je distingue plusieurs visages … et à eux s’en mêlent d’autres : visions très fugitives, troublantes voire troubles, ces visages éperdument beaux de très jeunes tunisiennes, incrédules et même pas effarouchées devant ce troupeau de jeunes européens que nous étions.
Ah non, il ne fallait pas passer par ce chemin, car à mi-côte, sur la droite … et c’est Jean-Paul I (non il ne s’agit pas du pape ! mais seulement d’un de nos camarades, et comme ils sont deux à s’appeler Jean-Paul, il y n’y aura pas de Jean-Paul II, pour éviter de froisser toute susceptibilité, mais un Jean-Paul P) qui le voit le premier : notre ancien pensionnat ! De loin, il n’a pas changé d’un iota (si j’ose dire), il est tel que nous l’avons laissé il y a plus de 50 ans ! C’est incroyable ! La luminosité est devenue étouffante, écrasée, et il semble sortir d’une espèce de brume de chaleur, quasi irréel, encore auréolé de ce prestige dont nous le parions, lorsqu’on le retrouvait après chaque période de vacances. Tout est changé autour de lui, notre terrain de foot s’est transformé en parking, le chemin qui le croisait s’est changé en route le franchissant à l’aide d’un pont. Le TGM lui-même, s’est doté de caténaires, et semble s’être modernisé tout à coup remisant au fond d’une incertaine antiquité les souvenirs qu’on pouvait avoir de lui. Décidément tout est étrange ce matin dans ces retrouvailles à la fois désirées et interdites avec notre passé.
Heureusement à prévenir des pensées sombres que la nostalgie pourrait entraîner, le paysage et l’actualité politique sont là pour nous divertir ; le palais de Leila Trabelsi, la femme de Ben Ali, l’ex dictateur de la Tunisie ; ce palais a tout une histoire, on nous l’a racontée ; elle ne s’est pas souciée, cette femme, de savoir pourquoi, ni les puniques, ni les romains, ni les arabes, ni même les occidentaux n’avaient pas construit sur ce promontoire marin … elle voulait là ce palais et nulle part ailleurs : elle a dépensé une fortune, mais ce n’était rien pour elle puisque c’était l’argent qu’elle volait tranquillement aux Tunisiens ! Et le palais menace de s’écrouler ; le sol n’est pas assez solide, et risque de glisser dans la mer !
Il paraît qu’il est à vendre et qu’un émir du Qatar serait sur les rangs !
Autre vision au détour d’un virage : au loin la cathédrale de Carthage et un peu plus proche cette grande mosquée voulue pour annihiler la toute puissance de l’ex dominatrice ! je ne vois aucune rivalité dans ces deux monuments qui se côtoient, mais seulement une superposition de deux religions, deux monothéistes, condamnées à se supporter, car quels que soient les intolérances et le fanatisme des salafistes, on ne pourra empêcher une cohabitation que l’histoire a rendue et rend encore nécessaire.
Enfin, Sidi Bou Saïd, le terme de notre grande promenade … à pieds ! Mais il nous restera encore une grande partie de la journée.
De cette petite et admirable ville, je ne peux garder aucun souvenir d’enfance, pour une simple raison : c’est que depuis, j’y suis tellement retourné, que les impressions récentes ont complètement estompé celles du passé lointain. Qu’importe, c’est toujours avec une très grande émotion qui je monte cette grande rue qui mène au très (trop ?) célèbre Café des Nattes.
Ville touristique par excellence avec tout ce qu’il y a de plus factice et horrible : ces magasins de babioles, y compris dans ce marché aux souvenirs qui a été créé à droite en montant. Il me semble que cette propension à vouloir que le touriste achète encore et toujours des babioles qui ont d’autant moins à voir avec la culture réelle du pays que leur fabrication est tout à fait approximative ou de très mauvais goût, a quelque chose d’humiliant tant pour le touriste qui a alors une vision complètement faussée de la culture tunisienne que pour le Tunisien lui-même qui, se faisant, est obligé de renier sa propre culture.
Et ce que j’écris de Sidi Bou Saïd est valable partout dans le monde où le tourisme de masse a supplanté le vrai tourisme, celui qui a pour but de découvrir d’autres mœurs, d’autres habitudes de vie et de pensé … et ce, des Chutes de Niagara au Vatican en passant par le Mont St Michel, Lourdes etc…etc…
Mais Sidi Bou Saïd … il faut lever les yeux ! voir ces murs blancs avec ces tâches d’un extraordinaire bleu marine : deviner ce qui peut se passer derrière ces volets ou ces moucharabiehs…
Bondé, bien évidemment ce café des nattes, où facétieux, décidément il ne changera jamais et c’est tant mieux !, Paul essaie de m’arroser du haut de la terrasse. Ce café est à Sidi Bou Saïd ce qu’est le Florian à Venise … l’aristocratie et les prix en moins. Il y a un aspect reposant et déconcertant en même temps à aller s’asseoir sur ces nattes ; que vous fumiez ou non le narguilé (ici, la chicha), vous ne pouvez vous empêcher d’imaginer toutes les sensations que ces fumeurs peuvent avoir ; divagations, errances d’un esprit qui s’échappe peu à peu des contingences matérielles.
Nous n’aurons pas le temps de pénétrer un peu plus avant dans Sidi Bou Saïd… je ne le sais pas encore, mais le dernier jour j’aurai l’occasion d’y retourner, et de me promener dans ces lieux qui font mon bonheur et qui échappent à tant de clichés : le phare et le cimetière qui dominent cette mer encore et toujours unique. L’homme n’est plus cet absurde souverain maître de toute chose, il n’est qu’un simple élément, tout petit, de cet admirable tableau … comme je comprends que les êtres aient voulu se faire enterrer ici !
Mais on nous attend ailleurs : à La Goulette, et plus précisément chez Mamy Lilly qui nous a préparé un repas dont nous garderons la trace jusqu’à la fin de nos jours. Quiétude d’un cadre simple où la fraîcheur le dispute à la convivialité qu’il inspire ; rien ne pourrait en troubler le calme, même pas ces quelques gros avions dont le train d’atterrissage, sorti, laissait deviner que la terre allait bientôt trembler sous leurs poids (mais oui, mais oui, je ne peux m’empêcher d’imiter ce style dont l’emphase a fait les grandes heures de la littérature grecque depuis Homère …) Alors, si d’aventure vos pas vous amènent à franchir cette passe qui fut autrefois le goulet de Tunis, n’ayez aucune hésitation, Jacob le fil et la mère seront là, ils vous accueilleront avec une inimitable gentillesse, et pour peu que vous ayez su les séduire par votre attitude de gourmet, très respectueux, une unique « bourha » (alcool de figue, viendra combler votre gosier !
Aurions-nous quitté un tel havre de paix, s’il n’y avait eu cette perspective, celle de revivre ces moments qui, plus de 50 ans auparavant, nous permettaient de nous approprier les ruines carthaginoises. Car il faut bien l’avouer, cette éducation, oh combien exemplaire par certains aspects, nous portaient par d’autres beaucoup plus vers l’irrespect et l’anarchie ! Comment avons-nous pu en toute impunité et en toute insouciance, sans le moindre soupçon de remords, ni la moindre interrogation, nous amuser au milieu de ces ruines ? Comment avons-nous pu escalader ces restes de murs, sauter de l’un à l’autre, ou pénétrer à l’intérieur de mystérieux souterrains, sans qu’à aucun moment nous ne interrogions sur le bine fondé d’un tel comportement ? Sans même nous demander ce qu’en penseraient ceux qui occupaient ces lieux il y a deux millénaires … Oh, profanateurs de cette vie multimillénaire avons-nous été !
Figure emblématique et fortement contestée de l’Eglise en Tunisie, le Cardinal Lavigerie est intimement lié à la cathédrale de Carthage ; fermée, elle nous sera interdite, nous nous contenterons de son extérieur : imposant, malgré cette laideur qui ressemble tellement à celle de Montmartre …
Consacrée à Saint Louis dont les Tunisiens ont su tirer de si nombreuses légendes qui stimulent toute notre imagination. Mort en Tunisie, Saint Louis ? Sans nul doute, mais pas forcément là où on le croit. Je vous livre deux versions parmi tant d’autres ; pour échapper à un retour en France, lui, qui avait pris goût aux charmes méditerranéens, il a troqué son trône avec un sosie, et c’est ce sosie qui, ayant attrapé la peste, serait mort à sa place (qu’elle me plaît cette version où ce serait un autre qui serait canonisé !) ; et là les légendes divergent : selon l’une d’entre elles, Saint Louis se serait réfugié comme ermite au fin fond du désert (et comme je le comprends, il suffit d’aller à Douiret pour en subir toute la fascination !) ; pourtant je préfère la seconde qui flatte tellement mon hédonisme : débarrassé du trône et de toutes les charges qui lui incombent, Saint Louis serait parti vivre avec une belle tunisienne dans le plus total anonymat ! On ne saurait ni où ni quand il serait mort !
A défaut donc de pouvoir rentrer dans la Cathédrale de Carthage, nous nous faisons arnaquer complètement par l’antiquité, et pour n’avoir le temps que de voir un maigre musée, nous payons pour la totalité des sites archéologiques … puisque le billet est global et seulement pour la journée ! Mais ne soyons pas mesquins et considérons qu’il s’agit là d’une modeste contribution d’européens privilégiés pour la survie d’un patrimoine qui, somme toute, nous concerne aussi.
Maigre musée, quelques rares sculptures et mosaïques ; mais une somme d’informations écrites (et heureusement en Français …) sur l’histoire de Carthage, sur la rouerie de Didon, qui réussit à délimiter le futur territoire de Carthage, sur cette colline de Byrsa, en découpant en très fines lamelles une peau de bœuf ; ou encore sur les atrocités que les soldats romains ont commises lorsqu’ils se sont emparés de Carthage …
Nombreux d’entre nous n’ont pu se rendre sur les sites antiques de Carthage, faute de temps et aussi de signalétique appropriée. Et même si autrefois les ruines ont abrité autrefois tous nos jeux et ébats, comment les reconnaître aujourd’hui tant les chemins pour y accéder ont changé. Certains d’entre nous se réfugieront alors dans des souvenirs si précis : ce professeur qui nous envoyait traduire l’Enéide sur les ruines carthaginoises et romaines ; n’était-ce pas là une chance inouïe et une pédagogie bien plus active que de rester enfermé dans une salle de classe … Et tout à coup, un souvenir beaucoup plus récent, comme un prolongement : n’ai-je pas accompagné un groupe d’élèves de première pour une révision du bac Français pendant une semaine à Belle-Ile ? Je me souviens avoir tenté de leur montrer toute la merveilleuse beauté d’un Saint John Perse en déclamant quelques vers d’Amers … alliance indicible de la force du verbe et de celle de la mer !
…
Oh papi ! réveille-toi ! Tu as encore toute la vie devant toi, longue et pleine de richesses ! et n’y-a-t-il pas un copieux buffet qui t’attend à l’hôtel ?