Alex Jestaire : Contes du soleil noir, Arbre
Lorsque je viens d'achever un ouvrage, j'aime bien me poser cette simple question qui en fin de compte devrait être la seule qui importe : que m'a-t-il apporté, en termes de plaisir, d'enrichissements personnels entre autres culturels ? Même si ces deux domaines sont presque toujours liés (comment pourrait-on s'enrichir sans y trouver du plaisir et vice versa comment pourrait trouver du plaisir si ce dernier ne vous enrichissait pas ?), il n'empêche que si l'ouvrage lu ne vous a procuré aucun des deux, alors …
Je sais très bien pourquoi le roman (?) d'Alex Jestaire m'a laissé complètement indifférent. Je veux bien que les situations décrites soient quelque peu originales encore que … une journaliste un peu trop curieuse qui arrive à se procurer, grâce à un certains artifices, des articles à sensations : mais le monde est peuplé de ce genre de journalistes, les micro dissimulés, les caméras invisibles, et maintenant les piratages informatiques, sans parler de méthodes beaucoup plus traditionnelles dont les femmes ont le secret, tout cela est tellement courant : il suffit de suivre un tant soit peu l'actualité. Et le monde de voyous décrits, ceux qui fréquentent certaines boites de nuit, comme les scènes de viols ou de tentatives de viols collectifs, sont tellement monnaie courante qu'on ne saurait y trouver un quelconque intérêt sous la plume de notre écrivain, comme de tout autre qui se contenterait de reproduire à quelque chose près ces scène ahurissantes de violence dont se sont faits, il y a peu, la spécialité des revues comme « Détective ».
Quant à ce moine bouddhiste, à la recherche de sa voie, dont il trouverait le sens dans un arbre au plus profond d'un immense désert ! Toutes ces retraites dans le désert, anachorètes et autres ermites, il y a longtemps que notre société en est saturée, un temps au moment de la Renaissance et du baroque, la peinture en a fait ses choux gras, la littérature a suivi ; et même si ce moine - ce serait son côté sympathique- se veut moderne, plus proche de la réalité de la vie quotidienne que de la réclusion monacale, il n'empêche que cette quête identitaire apparaît artificielle, et guère plus intéressante que les annonces d'un pèlerinage à Lourdes dans nombre de gazettes paroissiales !
Sévère serais-je ?
Cet auteur doit, sans nul doute, avoir du talent, sinon aurait-il été publié ? D'aucuns ont donc jugé qu'il sait écrire, construire ses récits ; et cela je le concède facilement, car la façon dont il mêle les différentes intrigues, est intéressant ; sa façon de procéder dénote aussi une profonde influence du cinéma ; il ne s'embarrasse pas de phrases et de phases de transition. Au lecteur de se souvenir où il a laissé le premier récit, pour pourvoir le reprendre avec toute sa force et son intérêt lorsque cesse celui qui l'a interrompu. Et ainsi de suite. Successions de plans suffisamment élaborées pour que non seulement on ne perde pas le fil des différentes histoires, mais pour qu'elles conservent encore tout leurs attraits.
Mais à quoi bon que la forme soit soignée et intéressante, si le fond des histoires ennuie et surtout si cette même forme n'est pas capable de nous faire mordre à cs récits ? Et ce n'est pas de glisser quelques dessins qui permet de pallier à leur insignifiance. A quoi bon mettre sur une table des verres de cristal, si c'est pour servir une piquette de la Communauté Européenne ?(1) Dans deux domaines complètement différents, celui de Lautréamont ou de Saint John Perse : on pourrait, dans l'abstrait, être complètement imperméables aux deux univers que chacun décrit, le premier dans « Les chants de Maldoror » et le second dans « Amers » ; mais de fait, personne ne peut rester insensible à leurs univers tant immense est le talent des deux écrivains.
Sévère serais-je ? (bis !) J'ai eu la curiosité de me reporter à la quatrième de couverture, où l'éditeur, je suppose, compare notre auteur à Stephen King ! Alors je comprends pourquoi Alex Jestaire m'a si peu intéressé (et encore est-ce là un euphémisme !) ! Car, le peu que, par conscience professionnelle, j'ai lu de Stephen King m'a tellement ennuyé que je ne suis pas prêt de me replonger dans sa lecture. Il y a tant et tant d'oeuvres passionnantes et que je n'aurai jamais le temps de découvrir, pour que je gaspille mon temps à des auteurs comme Alex Jestaire … mais, comme le serpent se mord la queue, le drame, c'est qu'on ne peut jamais savoir avant d'avoir entamé un livre, s'il nous agréera ou non !
1- C'est ainsi qu'on appelait dans les années 1960 certains vins qui provenaient pour une infime part de pays européens tels que l'Espagne et que coupaient à près de 90 % des vins d'... Algérie ! (Faut-il rappeler que l'Afrique du Nord produit des vins d'extrême qualité depuis des temps presque immémoriaux, et que je suis prêt à abandonner les meilleurs Bordeaux, pour un petit Khoudiat tunisien!) Ce vin, dit de la Communauté Européenne, était une infâme piquette, qui n'avait que deux intérêts, écouler une production algérienne que la population locale, du fait de son appartenance religieuse, ne pouvait absorber, et d'autre part, elle était si bon marché que nombre de travailleurs français n'avaient guère le choix, quitte à y laisser une partie de leur foie !
PS : Editions Au diable Vauvert, 2017, 124 p. 9,99€