Quelques scientifiques ont voulu démontrer, à partir de la théorie de l'astronome Halley et du jésuite Kircher que la terre était creuse et qu'à l'intérieur il y avait une vie d'une richesse inouïe. Un américain, John Cleves Symmes, séduit par ces théories, tente au début du 19ème siècle de convaincre les autorités américaines de financer une expédition.
Point de départ du roman de Christian Garcin.
C'est à ce moment qu'intervient le début des aventures de Jeremiah Reynolds ; il va devenir en quelque sorte le secrétaire et le propagateur de l'enthousiasme de Symmes … même si par la suite il devait prendre quelque distance avec lui. On retrouve donc notre héros en antarctique, à la recherche de ce trou géant qui, au pôle sud, permettrait de rentrer à l'intérieur de la terre. Théorie qui devrait aussi influencer quelques écrivain au 19ème siècle, d'Edgar Poe (qui fut aussi un intime de Jeremiah Reynolds) à Jules Verne. Son expédition ayant échoué, après avoir frôlé la catastrophe fatale, Reynolds va faire partie de ces explorateurs qui pendant un siècle (de 1750 à 1850) vont partir à la découverte du Pacifique et de ses nombreuses terres et peuplades.
Mais un bouleversement se produit, il se laisse séduire par un marin et par ses récits fantastiques sur le grand cachalot qui hanterait le Pacifique Sud ; par un malencontreux coup du hasard ce marin se fait tuer, et Jeremiah est entraîné par l'amour d'une jeune indienne, appartenant, à une tribu du Chili, dans une des guerres qui ont forgé l'unité chilienne.
Sa vie s'achèvera aux Etats Unis, et autour de Mocha Dick, dont il raconte l' aventure avec un tel réalisme que nombre de ses lecteurs prendront pour réalité ce qui ne sera que fiction de la part de Reynolds … alors que, quelques années plus tard, Herman Melville, sans avoir pris connaissance du roman de son prédécesseur, va publier l'aventure d'une autre baleine, Moby Dick … livre qui ne connaîtra le succès qu'après la mort de son auteur !
Il faut d'abord souligner la performance de l'écrivain : on redoute le pire lorsque Christian Garcin commence à nous entraîner dans l'univers de Halley et des théories, pour nous fumeuses et complètement farfelues sur la terre creuse. Les sciences ont fait tant de progrès et les connaissances ont apporté tellement de certitudes que toute autre hypothétique réalité nous semble impensable. Et pourtant, par la magie du mot, par leurs agencements, par la façon même dont le récit est abordé, le lecteur plonge dans cet univers et en arrive même à y croire. On se prend alors au jeu, et on est captivé par toutes les vies de cet homme qui, pour la très grande majorité des humains de ce 21ème siècle, est un illustre inconnu.
Captivé, oui le lecteur l'est, parce que l'auteur réussit très bien à retracer l'univers de ce 19ème siècle qui fut vraiment celui de la découverte de notre terre ; notre enfance a été bercé des grands noms d'explorateurs africains ou de marins intrépides qui ont bravé tant et tant de dangers pour nous permettre de mieux connaître notre planète. Nous avons frémi devant les risques énormes qu'ils ont pris, nous assimilant par la seule pensée à ces héros.
Comment aussi, ne pas être captivé par ce dynamisme qui anime les protagonistes de ce roman : le héros principal, certes, mais aussi John Cleves Symmes, et ces écrivains que sont Edgar Poe et Herman Melville ; leur énergie se nourrit de la force de leurs convictions, pour les deux premiers il s'agit de la foi qu'ils ont en la validité de leurs théories scientifiques ou des causes qu'ils servent ; quant aux seconds, ce n'est pas tant le succès personnel qu'ils recherchent, que celui de la justesse de leur écriture. Nous sommes encore au siècle où le succès social ne l'a pas encore emporté sur la réussite des convictions.
Il ne s'agit pas d'une quelconque nostalgie, mais bien d'une remise en ordre des valeurs, où le seul critère de l'argent et/ou de la réussite de la carrière sociale ne l'emporte pas sur le reste.
Petit roman, certes, en matière de nombre de pages, mais grand roman, par tout ce qu'il évoque et tout ce qu'il suggère ! A lire sans modération !
PS Editions Stock, 2016, 170 p., 17€