EONTOS

Charb : réflexion contre réaction épidermique !

                                                                                   

 

Charb : Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes

 

Résister à la curiosité, c'est peut-être s'assurer de rester tranquille dans son petit coin, loin de toute émotion … mais c'est assurément se priver d'occasions de s'enrichir par des découvertes totalement imprévues, et de fournir à son esprit matière à réflexion.

Les deux premières pages dans le dernier Charlie Hebdo (1) m'ont spécialement mis la puce à l'oreille : outre l'édito, signé comme d'habitude de Riss et intitulé « Mon pauvre Charb ... » elles relatent les mésaventures d'un comédien Gérald Dumont qui s'est vu à plusieurs reprises refuser de donner en lecture publique des extraits du pamphlet de Charb (2). Refus venant des plus hautes institutions « culturelles »dont tout pays peut s'honorer : l'Universitaire et le théâtral ! Deux institutions dont la mission première est pourtant bien de promouvoir le débat de réflexion à partir de la connaissance et donc de textes, même s'ils sont sulfureux.

Il a fallu que j'en ai le coeur net, non pas sur ces refus et les analyses qu'en tirent ces deux pages, mais bien sur le texte lui-même ! Car s'il y a une chose que je ne peux souffrir, c'est bien de voir discuter des gens sur des œuvres qu'ils n'ont pas lues, vues ou entendues se fiant aux seuls compte-rendus à commencer par ceux de wikipedia !

Alors grâces soient rendues à ma médiathèque préférée qui n'a pas relégué dans un je ne sais quel enfer le pamphlet de Charb : et par chance, aucun des lecteurs de Charlie Hebdo n'avait eu la même idée que moi, et donc se trouvait disponible ledit pamphlet.

Ce serait faire injure à Charb que de vouloir transformer son opuscule (comment appeler autrement un ouvrage de 92 pages ?) en un espèce de bible (coran ou torah, à votre choix!) que tous les gens de gauche devraient avoir lu, et dont chaque page devrait être méditée chaque lundi (jour que nous déclarerons saint pour les athées, puisqu'il y a bien le vendredi pour les Musulmans, le samedi pour les Juifs et le dimanche pour les Chrétiens !) dans un des temples que la raison a construit pour la plus grande gloire de la Raison, érigée en un espèce de déesse universelle.

Il est temps que je m'arrête car mon délire (au sens éthymologique, n'était-ce pas les discours que tenaient ceux qui étaient, depuis l'antiquité, possédés par une parole divine, qu'elle se nomme Apollon ou Yahwé?), et que je revienne au texte.

Son point de départ, imparable : c'est cette constatation, l'islamophobie est construite sur un immense malentendu : le rejet d'une religion, l'Islam, se fait non pas sur la base d'une religion, mais sur le fait qu'elle est pratiquée par des musulmans ! Amalgame qui autorise alors toutes les dérives intellectuelles possibles et imaginables : on est islamophobe parce que celui qui pose des bombes ou qui se fait exploser au nom d'Allah est musulman et donc pratiquant l'Islam ! Et cela tombe vraiment « bien » parce qu'en même temps ce poseur de bombe ou ce kamikaze se trouve être un arabe, donc forcément cet arabe-là est musulman, donc il est mauvais, … et on assiste alors à d'invraisemblables confusions : les musulmans sont tous d'éventuels terroristes, et comme ce sont des arabes, tous les arabes sont d'éventuels terroristes, et par voie de conséquence … tous les arabes sont des gens méchants !!! C'est d'une terrifiante simplification, et pourtant c'est sur celle-là que s'est construit et se développe le racisme ; et avec la complicité de nombreux journaux et autres influents médias, qui s'obstinant à voir des musulmans « là où il faudrait voir des citoyens » comme tout un chacun, contribuent à favoriser le terreau raciste.

Charb, il suffit de le lire, réaffirme que toute religion est une affaire personnelle (3), que la liberté de croire est respectable tant qu'elle reste du domaine du privé et qu'elle l'extrapole pas les textes sacrés pour leur faire dire ce qui n'est pas écrit. Se servir du Coran pour justifier d'horribles attentats est une véritable imposture.

Et Charb s'amuse (et nous avec) à pousser jusque dans ces extrêmes limites un tel mode de pensée, avec une pointe pleine d'humour : pauvre Dieu que celui qui serait obligé de faire appel à des humains pour le défendre !

A partir de là, il y a deux possibilités : ou l'on pousse ces amalgames jusque dans les limites (et les dessinateurs du dernier numéro de Charlie Hebdo ne s'en privent pas et avec quel talent !), et alors pourquoi ne pas appliquer ces mêmes amalgames à toutes les religions et y compris à … l'athéisme ! L'on voit bien dans quel monde d'intolérance et de « racisme » absolus nous serions alors amenés à vivre. Ou bien combattre ces amalgames, mais par le raisonnement : un des exemples qu'il fournit, et parmi les plus célèbres, ce sont les caricatures parues dans Charlie Hebdo et plus particulièrement celle représentant le prophète avec un turban en forme de bombe. L'explication au premier degré (ce qui montre bien le peu de réflexion des  islamistes ! ) a été de s'offusquer que l'on puisse représenter le prophète, homme de paix, pourtant, comme un terroriste (ils ne s'offusquent pourtant pas de leur extrême contradiction qui consiste à tuer des tas d'innocents au nom d'Allah!) ; mais les mêmes islamistes n'ont surtout pas voulu voir que dans ce dessin c'étaient eux qui étaient accusés : tuer précisément au nom d'Allah !

Il me plaît bien ce Charb, que je soupçonne, non sans une certains malice, d'être quelque peu à l'école des Protestants : n'affirme-t-il pas que tout livre sacré ne l'est que pour ceux que le même livre a réussi à convaincre de sa justesse. Mais il va plus loin dans sa démonstration : les véritables croyants ce sont bien ceux qui n'ont pas besoin d'interprètes pour leur signifier ce que le livre sacré a bien voulu dire. Il ne poussera pas plus avant sa réflexion … dommage, elle entraînerait son lecteur sans doute un peu trop loin de l'anarchie absolue ! C'était déjà trop risqué avant sa disparition tragique, le 7 janvierl 2015, cela l'est sans nul doute encore plus de nos jours où les citoyens sont de plus en plus incités à se comporter comme moutons, il suffit de suivre quelque peu l'actualité des élections présidentielles …

Alors, non, ne préparez pas déjà le verre de ciguë pour moi, et encore moins pour Gérald Dumont dont le seul tort a été de vouloir faire débattre le citoyen à partir de ce pamphlet oh combien prometteur. Mais éveiller la conscience politique c'était sans doute trop demander aux institutions éducatives et culturelles de notre pays … Comme il est significatif ce dessin paru dans le même numéro de Charlie Hebdo ! (4)

 

 

-1 Il faut bien que je cite mes sources, même si le fait même de parler de cet hebdomadaire satyrique vous irrite le poil et vous fait abandonner immédiatement la lecture de cet article, ce qui serait fort dommageable pour vous !

-2 rappelons pour mémoire que Charb a fait partie des victimes de l'attentat perpétré contre Charlie hebdo le 7 janvier 2015

-3 Il pourrait, mis point n'est besoin de le faire, remonter jusqu'à l'origine de l'humanité, où la première raison de la création d'un dieu c'est de permettre d'expliquer ce qui, à un moment donné, ne l'est pas encore pour l'homme : l'exemple le plus typique est bien l'apparition du soleil dans nombre de civilisations, comme divinité, car phénomène complètement inexpliqué et merveilleux par essence !

-4 Que je vous rassure tout de suite : je ne suis absolument pas payé pour écrire tout le bien que je pense de Charlie Hebdo !

 

PS Edition Les échappées, 2015, 92 p., 13,90 €

 

 

 

Michel Layaz : pour vous faire aimer Louis Soutter

Michel Layaz : Louis Soutter, probablement

 

Louis Soutter  (1871-1942) ? Encore une de ces personnalités dont le 20ème siècle a eu le secret … et sur laquelle ce même 20ème siècle aurait jeté un voile opaque si … il n'y avait eu un écrivain comme Michel Layaz pour révéler toute sa richesse.

Destin peu courant que celui de Louis Soutter ; il a très tôt développé un sens artistique hors du commun, à la fois violoniste génial et imprévisible, et dessinateur hors pair. Par hasard, il épouse une riche américaine, et accédera aux Etats-Unis à des fonctions importantes, comme directeur de l'Ecole des Beaux Arts de Colorado Springs. Il aurait pu continuer sur sa lancée et qui sait alors être au premier plan de l'actualité artistique.

Mais, et c'est là le côté très étrange du caractère de Louis Soutter, il quitte tout, femme, réputation artistique, bien-être, et revient, en 1902, dans la bonne vieille Europe et en particulier dans sa Suisse natale. Dès lors il vivotera, grâce à ses talents violonistiques … mais les cachets se feront de plus en plus rares, car il commence à avoir mauvaise réputation dans le monde musical : il est capable de s'arrêter au milieu d'une phrase musical … on imagine alors quel casse-tête pour le chef d'orchestre qui a à gérer un tel problème au milieu d'un concert !

Vivant dans sa famille, et en particulier chez son frère, son entretien matériel et ses insatiables goûts de luxe vont amener Louis Soutter à une mise sous tutelle, et très rapidement à un enfermement dans un asile. C'est à ce moment qu'il va redécouvrir le dessin et produire une œuvre impressionnante que quelques rares privilégiés sauront apprécier, comme Jean Giono, son cousin Le Corbusier ou encore Jean Dubuffet.

C'est donc cette vie que raconte Michel Layaz.

Il choisit pour ce faire une méthode qui a déjà fait ses preuves ; il extrait quelques dates dans cette vie et fait d'eux des moments significatifs de la création ou de la vie intellectuelle et artistique du peintre. Ce procédé possède un immense avantage, celui de permettre au lecteur de prendre mieux conscience de l'évolution de l'artiste. Supprimant l'anecdotique, le banal de la vie quotidienne, le lecteur peut alors se concentrer sur la personnalité qu'on lui fait découvrir. On découvre la permanence de traits de caractère  à commencer par cette espèce d'indifférence aux contingences matérielles, à ces conventions sociales qui permettent à toute vie de se réaliser à minima avec les autres êtres humains : un dédain des autres qui voudraient le contraindre à se résoudre à ce minimum ; son attitude vis-à-vis de sa belle sœur, ou de la directrice de l'asile en sont deux exemples. Recherche à l'opposé de ce qui flatte ses sens, conditions absolument nécessaires à ce qui lui semble être l'épanouissement de son être : le goût, par exemple , des beaux vêtements ; amusante, désinvolte, significative, quel adjectif donner à cet épisode où il vole un complet prince de Galles à un tailleur pourtant un de ses admirateurs ?

Il n'est pas alors indifférent, dans un tel contexte, de noter que, même s'il n'a pas obtenu de son vivant la reconnaissance qu'il méritait, il a quand même retenu l'attention, voire suscité d'admiration indéfectible de grands artistes du 20ème siècle, et que lui-même a su reconnaître des personnalités qui marqueront l'histoire de l'art, comme Igor Stravinski, par exemple, et son hallucinante « Histoire du Soldat ».

On pénètre à travers toutes ces attitudes dans cette unique personnalité qui est la sienne (1) ? car l'artiste intrigue : passons sur le volet musicien et violoniste, et sur ce mystère qui fait que l'interprète qu'il est puisse s'arrêter au beau milieu d'un phrase (2) ; outre les aspects purement physiques, il y aurait sans doute des tas d'explications psychologiques à ce phénomène. Mais ce n'est pas le propos du romancier. Préférons nous plonger dans le seul domaine du dessinateur. L'auteur tente de nous expliquer la genèse de la création. Certes les conditions matérielles (entre autres le cadre de vie, l'asile) déclenchent le processus créateur, mais elles ne suffisent pas ! Les conditions relationnelles, ses rapports à ses souvenirs familiaux ou à ses amis, mais ce n'est pas encore suffisant. Le romancier cherche lui-aussi à comprendre, et nous entraîne dans ses interrogations : que de fois ne nous fait-il part de ses doutes !

Et c'est, sans nul doute, pour nous forcer à concevoir … l'inconcevable : la sensibilité d'un artiste résulte d'une toute autre alchimie, de celle qui nous est totalement interdite, et dont nous ne pouvons qu'accepter les manifestations extérieures. Solution facile ? Oui, si on reste à la surface de l'acte créateur, mais pour bien comprendre la douleur de cet enfantement, car il s'agit bien de cela, l'auteur nous montre quelles souffrances doit alors subir l'artiste. Et l'on en prend réellement conscience quand l'artiste devient modèle en chair et en os de l'oeuvre qu'il crée.

On reste alors frappé par cette connivence qui existe entre le romancier et son héros, à ce point que, par moments, on se demande si l'auteur ne parle pas de son travail d'écrivain à travers ce que vit son héros. En tout cas grâce à cette connivence et cette complicité (3), éclate une stupéfiante vérité sur le travail de l'artiste.

Quand on referme ce roman, on se sent riche d'un nouveau trésor ; une porte s'est ouverte sur une route, pleine de brouillard certes, mais on moins on la devine, c'est celle qui nous montre toute cette vitalité qui se cache derrière la création d'une œuvre. Ne nous privons donc pas d'un tel trésor, qui est un véritable antidote à toutes ces fausses valeurs, illusoires veaux d'or, qu'on veut nous imposer de force !

 

-1 J'ai cherché à me faire une opinion par moi-même sur cet artiste ; mais il n'y a que trop peu de représentations sur internet de ces dessins, pourtant elles sont suffisantes pour intriguer et pour donner envie d'en savoir beaucoup plus sur lui.

-2 Quelle coïncidence, je le lis une quinzaine de jours après avoir découvert le saisissant roman d'Olivier Bleis (concerto pour la main morte), où le héros se trouve être pianiste atteint lui-aussi d'un même syndrome, une main droite qui se rebelle en plein milieu d'un morceau !

-3 L'on me pardonnera ces deux termes qui sont complètement anachroniques puisque le roman est écrit plus de 70 ans après la mort de Louis Soutter !

 

PS Editions Zoé, 2016, 238 p., 17,50€

 

Gotlib : la disparition d'un géant

 

                                                                            

^{Gotlib nous a donc tiré sa révérence ; je ne suis pas sûr que ce mot lui aurait plu, lui qui était l'irrévérence même. Etrange paradoxe que celui-ci où un être vous semble familier, voire intime, alors même que vous ne le connaissez absolument pas en tant que personne humaine ! Quand l'ai-je découvert ? sans nul doute dans les années 68 ; mais depuis plusieurs, années, même si j'aimais à relire les aventures de Superdupont, je n'entendais plus parler de lui, un peu comme s'il s'était effacé du monde.}

^{Alors d'apprendre sa disparition, cela m'a remué, et j'ai eu tout à coup envie de relire tout ce que j'ai pu de cet immense talent ; de « Gai Luron » à « Pépère pervers », en passant par toutes les séries de « Trucs à vrac » ou « Rubriques à vrac » et bien évidemment les aventures de Superdupont, j'ai replongé avec délices dans son univers pendant une semaine.}

^{Je te vois venir, lecteur, toi et ton jugement subtil ; tu vas me qualifier de nostalgique, de « soixantehuitard » attardé, de vieux croûton, décati et autre ringard.}

^{Mais après tout, ces jugements-là je m'en moque et m'en contre-moque (1) car il y a dans tous ces albums cités, et bien évidemment je n'ai pas fait le tour de toute la production de Gotlib, une actualité omniprésente ; Gotlib réussit ce tour de force à nous expliquer par la dérision et par la force de son trait tous les grands phénomènes qui nous bouleversent … et bien mieux que tous les traités théoriques de sexologie, de psychanalyse, de relations humaines, de politique ou d'écologie.}

^{Nous expliquer ? Mieux, encore nous forcer à les considérer sous un tout autre angle que celui que nous proposent les habituels présentateurs et commentateurs patentés et officiels.}

^{Le plus évident, le danger de l'extrême droite et de ses références nationalistes, enfin celui qui nous semble actuellement tel, alors qu'il est une des constantes de l'histoire de France : le patriotisme exacerbé d'un Superdupont qui veut fustiger, démasquer et anéantir tous les ennemis anti-France devient une caricature de cette xénophobie et du rejet de l'autre différent de nous que veulent imposer les théoriciens du Front national (et malheureusement pas seulement de ce dernier !) L'on reste alors stupéfait de l'acuité de Gotlib ; l'utilisation du surhomme ou de l'homme providentiel capable de déjouer toutes les menaces de l'anti-France, l'utilisation de l'hymne national comme arme suprême pour démasque les comploteurs, n'est pas une caricature facile, artificielle, sans fondement ; non c'est un procédé qui permet de mieux dénoncer une idéologie néfaste et surtout en contradiction totale avec l'évolution du monde contemporain.}

^{J'aime beaucoup ce personnage de Superdupont, car il permet aussi à Gotlib d'asséner des coups pertinents face à un certain nombre d'aberrations de nos système tant politiques qu'économiques. Souvenons-nous, il y a quelques décennies, et c'était déjà sous la 5ème république, l'Etat en manque de liquidités financières pour faire face à je ne plus quelle catastrophe avait imposé un impôt supplémentaire, et comme de juste tout à fait exceptionnel. En cette période électorale, on se rend compte à quel point les finances publiques sont sollicitées pour soulager des catégories sociales en grande difficulté (est-il besoin de mentionner certains producteurs agricoles?) ; alors Superdupont propose des solutions à l'Etat, et s'offre lui-même comme expérimentateur de ces nouveaux remèdes : il s'impose d'acheter constamment des cigarettes, pour faire rentrer des sous dans les caisses de l'Etat, mais pour ne pas mettre en difficulté les mêmes caisses de l'Etat, et pour éviter que, fumant, il grève le budget de la Sécurité Sociale, alors il ne les fume pas, ces cigarettes qu'il achète, il fait seulement semblant, et les jette au bout de quelques minutes …  Nous sommes là-aussi en pleine caricature, mais c'est par elle que peut s'opérer la prise de conscience du « bien public », car est alors posée la question de fond :est-ce au citoyen de payer les inconséquences des gouvernants, et si non quel contrôle efficace peut le citoyen exercer sur des irresponsables malgré tout élus  ?}

^{On retrouve la même façon d'aborder les problèmes écologiques, mais à une nuance près, Gotlib est beaucoup plus subtil ; je ne sais plus dans lequel des albums cités, il y a une histoire saisissante : les destructeurs de la nature ce sont les … amoureux ! Ils effeuillent des marguerites, ils gravent leurs initiales entrelacées d'un cœur sur les troncs des arbres, ils piétinent les herbes pour pouvoir s'y allonger etc... Certes, le trait est osé, mais il fait mouche, car il force non pas à prendre le contre-pied, ce qui serait trop facile, mais bien à se poser où est la vraie cause de la destruction écologique à laquelle, qu'on le veuille ou non, on participe quotidiennement.}

^{L'on pourrait reprendre les grands questions sociétales (que ce mot est horrible !), et l'on verrait que Gotlib sait utiliser le mode ironique et caricatural approprié pour nous forcer à la meilleure réflexion ; la preuve nous en est donné avec les relations amoureuses, dans « Gai Luron » ou sur l'obsession sexuelle avec « Pépère Pervers ».}

^{Le « phénomène » Gotlib nous oblige aussi à nous intéresser aussi à l'art de la BD. Certes, il utilise le cadre fondamental, raconter une histoire en se servant de l'image. Mais de par les thématiques qu'il choisit et surtout par la volonté pédagogique qu'il utilise pour nous forcer à réfléchir, la BD se transforme alors en un roman d'idées mis en dessin ; le dessin devient « secondaire » et n'est plus que l'accessoire illustratif, le texte prenant alors la première place.}

^{Dans ce sens, Gotlib échappe au phénomène mode momentané dont nombre de BD sont esclaves ; il a une valeur atemporelle qui mérite d'être reconnue.}

^{Vous n'êtes pas convaincus ? Alors, faites un tour dans vos bibliothèques et/ou libraires préférés et replongez-vous dans la lecture de Gotlib : vous risquez d'avoir d'énormes et merveilleuses surprises !}

 

^{1-C'est quand même plus élégant que « je m'en fous et contre-fous » !}

 

Plantu : encore une fois incontournable !

Plantu : Debout !

 

A moins d'être non seulement un très fidèle abonné au « Monde », et surtout un « maniaque » de l'archivage, je suis prêt à parier que vous avez manqué nombre de dessins de l'inimitable Plantu. Heureusement les éditions du Seuil sont là pour suppléer à nos déficiences et ont encore une fois eu la très judicieuse de publier, je ne dirais pas l'intégralité, mais une très grande partie de ces bijoux dont le dessinateur politique a le secret, et dont il nous a régalés tout le long de cette année.

Pour être assuré que le lecteur ne se perde, et surtout pour lui faciliter la tâche de retrouver ce qu'il cherche, l'éditeur a regroupé par thèmes marquants les dessins de cette année 2016, entrecoupés de quelques-uns plus anciens : de plus, pour répondre à une demande affinée des lecteurs, il a publié en fin d'ouvrage un index alphabétique où sont mentionnés personnages, pays, et faits marquant que Plantu a croqués.

Il faut donc relire ces pages qui ont commenté toute l'actualité durant une très grande partie de 2016 ; s'en imprégner pour ce qu'elles nous apportent immédiatement, le plaisir d'un raffinement du dessin, du trait forcé juste ce qu'il faut, et surtout avec cet art de la synthèse qui permet d'un seul coup d'oeil de mesurer l'ampleur du fait traité. Il n'y aurait que cela, on pourrait déjà amplement remercier Plantu, mais cela ne suffit pas, et Plantu de nous éclairer dans sa préface sur le métier qu'est le sien. Savoir distinguer dans l'actualité ce qui est essentiel, savoir se méfier du futile, voire de l'ignorer et de privilégier ce qui préfigure réellement de l'avenir ; un exemple frappant ; cet été, l'attentat de Nice a été vite relégué dans la presse (et non seulement à sensation), par la fameuse affaire du burkini ; la classe politique s'est même déchirée, écharpée à son propos … mais dans le même temps une série de faits, considérés par de nombreux médias comme divers, ont été passés sous silence alors qu'ils auraient dû marquer beaucoup plus profondément l'opinion publique par tout ce qu'ils révélaient : le suicide de cinq infirmières victimes de ce trop sinistre burnout.

Là est donc la nuance entre le dessinateur commentateur de l'actualité de quelque nature qu'elle soit, et le caricaturiste.

La limite, on la retrouve dans l'humour, dans la spécificité de l'humour, là où chez le caricaturiste il est exagéré jusque dans ses dernières limites, on le voit bien avec les caricatures d'un Charlie Hebdo, par exemple, (et je ne porte aucun jugement de valeur sur cet hebdomadaire que, par ailleurs, je dévore chaque semaine avec gourmandise !), chez le commentateur, il doit être beaucoup plus fin (ce qui n'enlève rien, bien au contraire à sa force). D'autant que Plantu nous rappelle fort à propos cette définition de l'humour :

« L'humour est la politesse du désespoir. »

Elle proviendrait de Pologne ; mais comme cette définition se rapproche aussi de celle de l'écrivain tchèque, Jaroslav Hasek, dans ses « Aventures du brave soldat Chveïk » !

Quoi qu'il en soit, quand Plantu approfondit sa pensée et nous la livre, il y a une forme de désespérance qui le fait douter de l'intelligence humaine et qui, nous la présentant, nous fait sourire jaune ; ainsi quand toujours à propos de l'affaire du burkini, il montre sur la même vignette, des Corses qui n'ont pas pu rejeter hors de leur île les Français, et qui maintenant essaient de bouter hors de leur territoire les Arabes, on ne peut que se poser des questions sur la nature des relations possibles entre différentes formes de culture, sur l'essence même de la xénophobie, et sur l'insignifiance de la réflexion et la pauvreté de l'intelligence humaine dont la bêtise se nourrit de la violence primaire affective ; et si l'on prolonge encore un peu plus cette réflexion, alors on est frappé par ce simple fait que quels que soient les progrès de l'humanité, l'humain demeure toujours obsédé et victime de cette xénophobie profondément ancrée en lui.!

On pourrait reprendre tous ses dessins et arriver à une analyse très fine de Plantu : il n'est pas politicien au sens de partisan, mais il l'est au sens où le destin de la Cité et de ses habitants l'emporte sur toute autre considération bien plus viscérale que réfléchie. Deviennent alors cruels ses dessins qui démontrent la vanité de quelques mesures prises par nos gouvernants : comme celle de la déchéance nationale ! Et sous-jacent, comment des hommes politiques qui sont normalement censés savoir réfléchir, ont-ils pu imaginer un instant qu'un terroriste s'attaquant à une nation, puisse tout à coup renoncer à ses menées au prétexte qu'il perdrait la nationalité de cette nation ! « Au secours, Descartes, il sont fous ! »

Alors, me direz-vous, Plantu dessine pour les gens de « gauche » et l'homme de droite que vous êtes va le honnir ! Si vous réagissez ainsi c'est que vous n'avez pas compris grand'chose à tous ces dessins. Pardonnez-moi de vous le dire, mais on s'en fout et contrefout que Plantu soit ou non encarté à gauche (et même s'il l'était cela n'aurait pas grande signification), car le message constant qu'il entend faire passer, va bien au-delà, c'est celui d'un humanisme universel : celui du bon sens, celui absolument nécessaire pour une entente harmonieuse entre êtres humains, où le coeur et la raison font part égale.

Utopie ?

Peut-être, mais comme il serait beau ce monde si tous les responsables à quelque niveau que ce soit tiraient leçon de ces dessins !

Si vous ne savez pas quoi offrir à Noël à l'un de vos chers, alors pas d'hésitation possible, ce recueil de dessins saura remplir admirablement cet office et pour le plus grand bien de la personne qui le recevra !

 

PS Editions du Seuil, 2016, 188 p., 18€

 

Musée et censure, ou la victoire de l'imbécillité et de l'inculture

 

Ma première réaction après avoir lu l'article d'Ouest-France du 18 mai a été d'envoyer une lettre d'insulte à la direction du Musée de Quimper … mais comme il faut toujours se méfier de ses premières réactions, j'ai laissé ma sainte colère se calmer, et je préfère en rire …

De quoi s'agit-il ?

Oh tout simplement ; entre octobre 2015 et janvier 2016, la direction du musée de Quimper organise une opération auprès de 4 école primaires de la ville de Quimper sur le thème « passé/présent », avec à la clé, la possibilité d'être exposé au musée entre le 20 mars et le 24 avril 2016. Les enfants se prêtent au jeu, et juste au moment où se déroulent les attentats du Bataclan …

La prochaine fois que vos enfants vous interrogeront sur l'actualité, faites comme nos parents qui nous disaient de fermer notre petite bouche et de nous occuper de nos affaires et non de celles des grands !

Mais là, vous imaginez, la télé en boucle, les méchants montrés sous toutes leurs coutures, les actes infâmes qu'ils ont commis, amplifiés faisant la une de tous les journaux. Que voulez-vous comment nos chères têtes blondes n'auraient-elles pas ressenti ce trouble (le mot est trop faible !) qui a saisi tous les adultes à commencer par nos hommes politiques ? Alors certains de ces enfants ont décrit à leur manière ces terroristes, ils les ont représentés comme ils les ont imaginés … ou plutôt tels que les informations les faisaient apparaître.

Et deux de ces dessins d'être exposés au musée de Quimper !

Mais un Musée s'est fait aussi pour être vu, sinon à quoi bon dépenser les sous de la collectivité ? Et vu, y compris par les premiers cons (et je ne renie rien de ce mot très vulgaire qui se justifie amplement par la suite !) venus !

Et ils sont venus ! Ils ont crié au scandale que l'on puisse montrer de tels dessins dans un musée, le temple de la culture – comme si la CULTURE était un phénomène complètement aseptisé et totalement indépendant du moment présent ! Ils ont tant et tant tempêté que cédant à leurs pressions, la direction a décroché les deux dessins incriminés !

Alors vous savez quoi ?

Eh bien moi aussi, je vais faire le tour des musées de France et de Navarre, et sitôt que je verrai une vierge, le sein quelque peu dénudé, je vais crier au scandale et exiger qu'on décroche tous ces tableaux, car le sein de la vierge ne doit pas être exposé au public, c'est une dégradation insupportable de l'image même de la vierge !

Qui a déjà écrit : « couvrez ce sein que je ne saurais voir » ?

Et ce n'est pas sans me rappeler ce que les pères du Concile de Trente exigèrent du peintre Daniele di Volterra en 1565 : recouvrir la nudité du Christ que Michelange avait peinte dans le Jugement dernier de la Chapelle Sixtine, au prétexte qu'ils avaient décidé qu'aucune nudité ne devait désormais figurer dans les peintures à l'intérieur des églises, pire même, que les saints et encore plus Dieu et son fils, ne pouvaient être représentés dans leur nudité, puisqu'étant d'essence divine, ils ne pouvaient avoir des attributs purement humains ! Et ce malheureux peintre de gagner ce surnom « il braghettone » (celui qui a mis des culottes!)

Qui parle d'intégrisme religieux de nos jours ???

Et dire que la direction a obtempéré, déclarant : « Nous n'avons pas voulu faire de polémique. Les enfants n'avaient pas à être sanctionnés. »

Mais par leur décision, et donner raison aux premiers cons venus, c'était sanctionner les enfants : c'était faire preuve d'une intolérable censure vis-à-vis d'eux ! C'est justifier tous les autodafés auxquels ont procédé toutes les dictatures, c'est admettre que l'imbécillité, l'ignorance crasse doivent l'emporter sur ce qui permet la réflexion, sur tout ce qui interpelle et permet à l'humanité de progresser !

Ce serait donc cela la société qu'on nous promet pour demain ? Mais attendez, ces gens-là sont aussi dangereux, voire plus, que ces illuminés complètement irrécupérables et devenus des monstres de bêtise qui incendient des voitures de flics !

Mais où sont donc les Socrate et autres Platon pour apprendre aux gens de se servir quelque peu de leurs neurones !

 

 

 

 

 

Cabu : Toujours aussi cons !

Comment ne pas remercier les éditions du Cherche-Midi pour cette anthologie des dessins de Cabu qu'ils ont publiée ?
Je ne dirais pas qu'on l'attendait, ce serait d'une trop grande fatuité de ma part ! Non, mais quand un artiste de cette envergure disparaît et qui plus est de façon aussi tragique (faut-il rappeler que Cabu a fait partie des victimes de l'attentat contre Charlie hebdo le 7 janvier dernier ?), on aspire tant à avoir une trace tangible de tout ce qu'il nous a apporté.
Comment ne pas être frappé par cet esprit qui a présidé à la conception de cette anthologie !
Certes, il y a, au premier plan, une base très affective ; c'est-à-dire une communion intellectuelle entre les responsables de ce recueil et la personnalité de Cabu. Cela se traduit par le rappel de tous ses personnages qu'il a créés de toute pièce et qui sont devenus des archétypes de notre société: le Grand Duduche, (comment ne pas évoquer ses aventures avec la fille du proviseur,-1-?), ce doux rêveur, pacifiste, écolo., tellement représentatif de toute cette mouvance peace and love des années 1970, mais aussi cet adjudant Kronembourg, le type même de la brute dont la seule réflexion se situe au niveau de l'épiderme. Comment ne pas s'interroger sur cette émotion qui nous saisit à revoir ces dessins ? C'est vrai on avait une très grande affection pour ce caricaturiste, mais si elle était aussi profonde c'est bien parce que Cabu était une des rares personnalités avec Reiser à exprimer aussi clairement toutes les aspirations profondes qui fondaient notre démarche et surtout nos espoirs politiques.
Tout était politique chez lui ! Quel que soit le thème qu'il abordait, il était capable de le transcrire en termes politiques, ou plus exactement son dessin devenait par nature politique. N'avons-nous pas exulté devant les caricatures d'un Chirac ou même d'un Sarkozy ? Jamais morbide, et toujours jubilatoire, même lorsque le sujet était grave : comme par exemple ce qu'on a appelé les frais de bouche de la Mairie de Paris, tu temps où Chirac en était le patron ! Que les Chirac se goinfrent sur le dos des Parisiens à raison de 4000 Francs par jour (soit 609 € de nos jours) en frais de repas était propre à scandaliser toutes les bonnes consciences, y compris celles de droite ; donner cette information sans la moindre fioriture, comme la transcription d'une dépêche de l'agence Havas, c'était faire en sorte qu'elle passe inaperçue ou tout au moins qu'elle suscite, par l'énormité des chiffes, plus de scepticisme qu'une indignation. Or la façon dont Cabu va nous la présenter, nous permet d'en prendre toute la dimension et de lui donner tout l'éclairage politique nécessaire pour justifier notre condamnation d'une telle pratique.
Et toutes les caricatures d'hommes politiques (de Sarkozy à Hollande en passant par Ségolène ou Fillon) vont procéder de la même façon : trouver dans le personnage croqué l'élément choc ou clé qui permette à l'analyse politique non seulement de se faire jour, mais surtout de faire mouche. Au contraire d'un Plantu qui excelle aussi en la matière, Cabu force le trait et ajoute le support de la dérision ! Et ce dans tous les domaines, ce que rappellent à la perfection les grandes rubriques choisies par la maison d'édition.
Ce qui frappe aussi, c'est que, en plus d'être un redoutable observateur et caricaturiste, Cabu est capable d'utiliser toutes les ressources de l'art tant graphique que picturale : ce n'est pas pour rien qu'il utilise le pastiche, d'un Georges de La Tour à David. Ce n'est pas pour rien aussi qu'il se sert des « modes » esthétiques : quoi de plus férocement drôle, et caricatural qu'un François Mitterand déguisé en rocker ! Ce n'est pas pour rien non plus qu'il se réfère à de grandes périodes historiques ! Comment ne pas saisir tout le sel de cette Ségolène Royal dans la posture d'une Jeanne d'Arc ?
Quant aux défauts « humains » de ses personnages, ils peuvent apparaître outrés, mais ils sont tellement bien saisis … l'alcoolisme ou la fainéantise d'un Jacques Chirac, s'accorde aussi bien avec la vanité d'un Sarkozy ou l'angélisme faussement béat d'un François Hollande. Et pour tous ceux de ma génération qui ont suivi les péripéties politiques relatées par Cabu (nous sommes de la même génération) ces défaut humains vont de pair avec les erreurs politiques voire les saloperies (il n'y a pas d'autres mots) de ces mêmes personnages.
C'est donc en ce sens que ce recueil est un véritable acte politique : il nous rappelle que la caricature ne saurait être neutre, et que accepter toute sa dimension, c'est aussi admettre elle soit fondamentalement politique.

1- Pour ce héros, comme pour tous ceux que je rappellerais, à ceux qui n'auraient pas connu ces héros (pour une fois que je réclame le bénéfice de l'âge !) je ne peux que conseiller d'aller faire un tour dans les archives de leurs médiathèques.

Editions du Cherche-Midi, 2015, 18,90€