Quelle belle chose que la diplomatie, surtout lorsqu'elle est le fait des rois ! Pensez ! Je l'ai sans doute appris, mais je m'étais empressé de l'oublier tant cet « événement » avait du me paraître insignifiant !
Après la mort de Louis XIV, Philippe d'Orléans, le Régent, gouverne la France en attendant que le tout jeune roi, Louis XV, soit en mesure de le faire. Pour assurer définitivement un état de paix entre l'Espagne et la France, il a ce qu'il pense être une trouvaille : marier le futur Louis XV à la fille du roi d'Espagne, Anna Maria Victoria, qui n'a que … quatre ans ! Et profitant de l'occasion, marier sa propre fille, Louise Elisabeth d'Orléans, d'une douzaine d'années au futur roi d'Espagne …
Genre conte de fées, propre à faire pleureur toutes les Margot qui sommeillent dans le cœur de nombre de petites française, on ne fait pas mieux.
Et tout le début de ce roman ressemble étrangement à cette littérature fleur bleue qui encombrait nombre de kiosques des gares de la SNCF. Oh, c'est bien écrit, et c'est donc agréable à lire … mais Dieu ce que cela peut être fade ! Il n'y aurait le rôle oh combien hypocrite des grands de ce monde qui tirent les ficelles de cette situation, il n'y aurait cette discrète intrusion dans le monde des courtisans, il n'y aurait cette ébauche de caricature de la royauté espagnole, on s'ennuierait, et on aurait tôt fait de fermer ce roman.
Mais voilà, il ne faut jamais désespérer, car l'auteure, est beaucoup plus subtile qu'il n'y paraît ; et très rapidement, elle nous fait prendre au jeu de cette histoire qu'elle raconte, par une astuce, que lui a sans doute soufflé l'Histoire mais qu'elle s'approprie : la différence totale de caractère entre les deux princesses ! Et là on commence à s'amuser, à voir comment Dame nature peut se moquer des grands de ce monde et défaire tous les plus beaux plans qu'ils peuvent tirer sur la comète.
Autant l'Infante d'Espagne se prête immédiatement au jeu : tombant franchement amoureuse de son futur royal époux (un grand regret, pourtant, telle qu'elle nous est présentée l'Infante, raisonne et se comporte beaucoup plus en jeune fille préadolescente qu'en gamine de 4 ans !, et à tel point qu'on se méprend très souvent, et qu'on a énormément de mal à imaginer ses réactions comme étant celles d'une si petite fille !) elle obéit strictement à ce que le protocole et l'Histoire attendent d'elle.
Autant Mademoiselle de Montpensier (c'est le titre de Louise Elisabeth) est une « rebelle » ; elle va tout chambouler, dans cette austère cour espagnole, se mettant à dos ses futurs beaux-parents, et en particulier la belle-mère ; ses « fantaisies » alimentaires, ses comportements douteux avec ses dames de compagnies, ses « lubies » tels que laver à longueur de journées des mouchoirs, toutes ses provocations d'adolescente amusent et pimentent la narration. Elles mettent en lumière par contraste tout l'ennui qui transpire d'une cour dont la rigueur, l'austérité, et la petitesse semblent être les règles immuables de conduite.
Le récit commence à devenir intéressant lorsque les deux princesses passent du statut de futur reine à celui de future rejetée et répudiée.
Pour l'infante, comme pour Louise-Elisabeth, l'auteure réussit à démontrer que leur sort n'est plus entre leurs mains, mais dépend totalement des sphères de pouvoir qui les entourent ; elles ne sont que jouet, la façon par exemple dont les futures beaux-parents de Louise-Elisabeth interviennent sur leur fils pour qu'il agisse non en fonction de son amour (réel) mais pour se conformer aux étiquettes et usages ! Quant à l'infante, c'est sans doute bien pire, car à la mort du Régent, elle n'est plus qu'un jouet entre les mains de ceux qui influencent désormais Louis XV.
Dès lors leur sort est scellé : Louise-Elisabeth retournera en France, lorsque son mari viendra à mourir de la petite vérole, 7 mois après son mariage ! Quant à l'Infante, elle est sacrifiée à la raison d'Etat et rejoindra son Espagne natale.
On sent dans la construction de cette dernière partie l'accélération du destin qui va s'acharner progressivement sur les deux princesses, et les faire passer du statut de privilégiées, heureuses à celui de bannies, bafouées dans leurs aspirations de bonheur, et de vie facile. L'auteure leur donne alors en quelques pages, une stature d'héroïnes modernes. Elles nous intéressent non plus en tant que princesses à l'avenir doré et insouciant, mais bien en tant qu'êtres humains traversés par des éléments tragiques sur lesquels elles ne peuvent avoir de prise. Le roman passe alors lui aussi de ce statut facile de roman à l'eau de rose pour rentrer dans une autre catégorie, celle qui force le lecteur à s'interroger, à réfléchir sur la condition humaine.
PS Editions du Seuil, 2013, 335 p., 20€