Insulomontanus, abbé d'une abbaye norvégienne, reçoit l'ordre de Johan Einar Sokkason, Eminentissime Cardinal-archevêque de Nidaros (l'actuelle Trondheim en Norvège) d'aller secourir la population de Gadar (évêché du Groënlant) dont on est sans nouvelles depuis trop de temps. Pour ce faire, on va construire un bateau selon les techniques ancestrales, « Court serpent ».
C'est le carnet de bord (au sens très large du terme, et sans doute imaginaire) que nous livre l'auteur.
Après de multiples péripéties, dont un hivernage forcé sur la banquise, l'expédition réussit à rejoindre le territoire de la « Nouvelle Thulé » ; là elle découvre une population plongée dans la désolation et le plus total désarroi ? Montanus va tenter de réinstaller un semblant de civilisation, avec des règles, basées bien évidemment sur les préceptes religieux de l'époque, y compris ceux de l'Inquisition.
Les conditions particulièrement dures l'empêchent de réaliser sa mission, d'autant qu'il est à son tour accusé d'avoir forniqué avec une très jeune autochtone dont il aurait un fils. Résultat il est obligé de repartir … et le livre s'arrête sur ce départ, laissant le lecteur libre de poursuivre selon sa propre inspiration ce récit et de le conclure.
Comme tous les récits d'aventure celui-ci se lit avec beaucoup d'intérêt, même si les épreuves relatées l'ont été déjà par de nombreux explorateurs. Mais il en est des thèmes en littérature comme en musique : ce n'est pas parce qu'un jour un compositeur, sans doute au 16ème siècle, a eu l'idée de composer un motet sur le thème de « Suzanne un jour » qu'il faille pour autant dénigrer les soixante autres compositeurs qui pendant deux siècles ont écrit sur le même thème, et leur refuser le titre de compositeur !
Ce qui fait donc la valeur de ce récit, c'est que, même s'il a un air de déjà connu, on le sent authentique, c'est-à-dire que l'auteur s'est suffisamment imprégné de ces circonstances pour les retranscrire naturellement comme s'il les découvrait avant tous les autres.
On pourra regretter la part trop belle faite à la religion, et surtout à son aspect intransigeant, ce n'est pas pour rien qu'Insulomontanus est aussi présenté comme un grand inquisiteur ! C'est une vision très dure, où pour le bien d'un être et le salut de son âme, on n'hésite pas à le torturer et le tuer ! Et même si ce grand inquisiteur est capable de préconiser des mesures de salubrité publique, il n'empêche que cela n'est jamais dans le cadre d'une vision humaniste de la société, mais seulement dans celui beaucoup plus étriqué de la foi aveugle, et donc bornée.
Ce contenu, c'est du seul ressort de l'écrivain, et en tant que lecteur, même si nous pouvons le critiquer en termes idéologiques, du moment qu'il corresponde à l'esthétisme tant du roman que des critères littéraires, nous ne pouvons, à moins d'être nous-aussi sectaires, lui dénier le droit à l'existence.
Mais voilà …
J'ai beau être prévenu qu'il s'agit là d'un premier roman, un certain nombre de maladresses (pour ne pas dire d'erreurs) me font sursauter. A commencer par la façon dont sont rédigées les prescriptions du cardinal-archevêque. Je sais bien que nous sommes au 16ème siècle, que le langage tant juridique que religieux sait s'auréoler de la pompe et de la grandiloquence, il n'empêche que là l'auteur en fait vraiment trop. C'en est même insupportable, et ne serait cette envie qu'il réussit néanmoins à distiller en nous de connaître le récit à venir, on a vraiment envie d'arrêter.
De même la fin me semble quelque peu redondante ; il y a eu une mode que j'ai partagée, et partage encore, où l'on donne au lecteur deux versions différentes de la fin d'un récit, à lui de choisir celle qu'il préfère. Ce processus qui s'intègre très bien dans la perspective de l'oeuvre ouverte, si chère à Umberto Eco, par exemple, trouve ici une application bâclée, voire impropre : car il ne s'agit pas de deux versions différentes mais de la même avec quelques variantes dans la forme et non dans le fond. Impression assez désagréable d'une espèce de brouillon où l'auteur suggérerait presque qu'il ne sait pas comment les faits se sont exactement déroulés.
Ajoutez à cela quelques erreurs de vocabulaire, comme par exemple l'utilisation du mot bosco (maître d'équipage) apparu dans la langue française courant 19ème siècle …
et vous vous apercevez que ce récit aurait pu prendre une autre dimension et devenir absolument fascinant, à condition que …
Dommage !
PS Editions Gallimard, 2004, 133p., 12,90€