Si vous faites partie de ces esprits précautionneux, qui bannissent toute nouveauté au prétexte qu'elle pourrait être dangereuse, voire pernicieuse et vous entraîner hors des limites de votre monde, alors surtout, ne lisez pas ce livre !
Si vous faites partie de ceux pour qui la littérature ne se résume qu'à ces quelques grands noms que l'Histoire a retenus, ou encore qui n'acceptez pour vérité que celle donnée par quelques très rares grands critiques littéraires, alors, vous n'avez aucune chance d'avoir entre vos mains cet ouvrage !
Avouez, pourtant, « Le grand n'importe quoi » comme titre, c'est fascinant ! Vous vous creusez la cervelle ? Et à juste titre ! L'expression « c'est du n'importe quoi » possède en elle-même ce brin d'impertinence indispensable pour juger en toute sérénité de toute chose … toute chose à commencer par celles qui font appel à l'irrationalité la plus totale : et en premier lieu les faits religieux, y compris ceux qui, à notre époque, s'en rapprochent comme les phénomènes extraterrestres.
Et précisément nous sommes en plein dedans.
Impertinence, ai-je écrit plus haut, oui, au plus haut point et qui, plus est, enrobée d'un humour qui provoque chez le lecteur une extraordinaire jubilation. Pensez, cela commence très fort, avec une association qui réunit toux ceux qui aussi bien par leur nom que par leur physique ressemblent à des êtres illustres, des sosies d'Alain Delon, Gérard Depardieu, François Mitterand, Marilyn Monroe … Dès les premières pages l'auteur nous donne un aperçu de ce tour d'esprit à l'ironie mordante qu'est le sien : vous dégusterez à loisir ce passage où le sosie d'Alain Delon se suicide ; une scène de suicide n'est jamais délectable, mais celle-ci l'est au plus haut degré : badine, se moquant avec l'insouciance de la légèreté de l'acte et des causes qui l'on amené, on balance entre vaudeville, opérette, mais vous ne vous croyez à aucun moment dans le drame … à tel point que vous ne pouvez vous empêcher de vous demander si l'auteur est capable de poursuivre sur le même ton les 276 pages qui suivent, ce qui serait un véritable tour de force …
et cela l'est, hormis quelques très rares pages, où l'on sent l'auteur s'essouffler … mais rassurez-vous il se reprend très vite.
Iconoclaste de la SF ?
Ne soyez pas plus royaliste que le roi, ne soyez surtout pas des idolâtres de la Vie Extraterrestre ! C' en est en tout cas une excellente démonstration. Tout le système des croyances non argumentées se trouve démonté pièce par pièce à partir d'une rocambolesque aventure : un faux enlèvement, une soucoupe volante dé carton mâché, des humains déguisés en E.T., un faux manuscrit, j'en passe et des meilleures !
Le tout dans une structure parfaitement maîtrisée, ce temps qui s'arrête et revient toujours à son point de départ, ce qui permet d'avancer toujours un peu plus dans l'intrigue … car, oui, vous allez être intrigué : si les événements narrés baignent dans une hilarité débordante, par contre l'auteur réussit petit à petit à vous persuader du bien fondé de son intrigue, mieux à vous la faire partager au point que dès le milieu de ce roman vous vous demandez non sans un certain intérêt où l'auteur va vous amener.
Mais en fait c'est beaucoup plus subtil qu'il ne le paraît, et le cheminement beaucoup plus complexe : il y a d'une part un héros (il n'en a ni l'étoffe, ni encore moins l'esprit, alors pensons-le comme personnage principal Arthur) qui se cherche, qui voudrait bien réussir à savoir dans quelle histoire il est plongé, et d'autres part toutes les aventures loufoques, ou tout au moins présentées comme telles ! Deux exemples stupéfiants : une mairesse qui s'ennuie dans son rôle d'élue, et qui pour pimenter la vie du village dont elle a la charge, s'amuse nuitamment et notamment à endommager les véhicules de ses concitoyens ; quant au deuxième, une fausse soucoupe volante, imaginée par des farceurs, se transforme tout à coup en une véritable invasion européenne et déclenche une guerre atomique universelle entraînant l'apocalypse finale.
Pour notre plus grand plaisir, l'auteur joue sur cette ambiguïté où il y a tout le temps chez le lecteur cette série d'interrogations : la quête d'Arthur est-elle sérieuse ? Les événements le sont-ils, malgré leur présentation plus que comique ? Si on admet qu'ils ne sont qu'une formidable (au sens étymologique du terme!) farce, la démarche d'Arthur l'est-elle pour autant ? Et pour mieux enfoncer le clou l'auteur ses sert du procédé de répétition, à la fois inquiétant et farceur, profond et désinvolte, sensé et extravagant :
la même date qui revient, gommant tout le passé précédent, mais aussi ce même passé qui resurgit pour déboucher sur d'autres événements.
Que signifie pour autant cette opposition qui n'a jamais été aussi forte entre forme et fond, exprimée avec un remarquable talent : certes au premier degré c'est une caricature et une satire fabuleuse de la naïveté populaire en général et de la croyance en particulier dans les extraterrestres ; pourtant à semer le doute dans notre esprit quelques démonstrations mathématiques et scientifiques qui prouvent que la vie extraterrestre est tout aussi possible que la présence des acariens dans nos maisons !!!
En tout cas c'est très drôle, et le mot jubilation revient encore et immédiatement à l'esprit ! En sont d'excellents exemples ces critiques que l'auteur porte sur nommément ou non sur notre société, notre monde politique ou économique ! On pourrait ne les considérer qu' au premier degré, mais force aussi est de constater comment, sous un dehors très léger, elles peuvent laisser transparaître une impitoyable dureté : à l'exemple de ces entreprises malgaches qui se seraient emparées de l'économie mondiale, transformant l'Europe et les Etats-Unis en de simples et insignifiantes colonies ! La raillerie est alors très forte, cette dépendance des pays sous-développés aujourd'hui devenant les maîtres économiques du monde demain ; et elle rejoint aussi dans sa férocité toutes les piques que l'auteur envoie contre toutes les personnalités de notre temps. Ces caricatures devenant alors une des composantes de l'extravagance de l'auteur, et de l'immense contentement qu'elle provoque sur le lecteur.
Quoi qu'il en soit, ce J.M. Erre a commis un très bon roman ; on pourra le porter aux nues ou au contraire le détester, le démolir, et étrangement ce pour les mêmes raisons ; mais il est impossible de rester indifférent face à cette série d'inventions que l'auteur nous offre comme une immense bouffée d'oxygène, dans notre monde triste et terne.
Et c'est peu dire que l'on attend avec impatience la suite, puisque la dernière page est remplie de ces seuls deux mots « à suivre » .
Editions Buchet-Chastel, 2016, 297 p., 19€